Le témoignage de Michel Tubiana

’La Réunion est, au sens propre et au figuré, sur un volcan’

12 mars 2005

Comme on le sait, Michel Tubiana a effectué récemment un bref séjour dans notre île, à l’occasion du Forum social réunionnais. Au terme de sa visite, le président de la Ligue des droits de l’Homme en France a accordé un entretien au journal “l’Humanité-Hebdo”, en particulier sur les problèmes de La Réunion et sur la ’traque’ à laquelle se livre le gouvernement contre les étrangers qui viennent sur le territoire de la République. On lira ci-après des extraits de cette interview réalisée par Émilie Rive.

(Page 4)

Michel Tubiana : "(...) La Réunion est, au sens propre et au figuré, sur un volcan. La fracture sociale ici, c’est plus de 35% de chômage, 125.000 illettrés, un nombre de érémistes incommensurable par rapport à la métropole. Tout cela finira un jour par éclater si l’on n’adopte pas une autre politique d’État et si l’on ne trouve pas de sortie vers un autre mode de développement.
À titre d’exemple, il sort 10.000 étudiants par an d’une université qui marche bien, mais ils n’ont aucun débouché. Même pas en métropole, où règne une discrimination dont les gens des DOM-TOM sont particulièrement victimes".

Relent de colonialisme ?

Michel Tubiana : "(...) La Réunion vit sur une économie de comptoir : on insuffle, massivement, des fonds publics qui sont transformés en argent privé au profit de très grosses fortunes locales.
Et l’on retrouve des structures de domination que l’on peut appeler néocoloniales. Je ne peux pas m’empêcher de relever la contradiction entre l’attribution d’un indice de correction pour cherté de vie pour les fonctionnaires, et l’allocation de minima sociaux inférieurs à ceux de la métropole.
Au niveau des mentalités, on retrouve les mécanismes néocoloniaux actuels. Il existe une classe de possédants, qui n’est pas uniquement blanche.
Mais en même temps, il y a une réelle capacité d’absorption par la société réunionnaise, et une diversité assez rare. Même si l’on commence à voir ici, à l’égard, en particulier, des Comoriens ou des Mahorais, des manifestations d’exclusion et de racisme, nous aurions, en métropole, bien des leçons à prendre sur le vivre ensemble réunionnais".

En métropole, nous sommes en plein débat sur le ménage que nous n’avons pas fait de l’esclavage et de la colonisation. Partagez-vous cette opinion ?

Michel Tubiana : "En métropole, on reproduit des mécanismes néocoloniaux basés sur des représentations figées des populations maghrébines ou africaines. Il y a une vraie négation du fait historique, que ce soit de l’esclavage ou du colonialisme, dans l’inconscient collectif français, et ce n’est guère plus brillant au niveau de ce qu’on apprend au lycée. Il y a un profond déficit de mémoire et des injustices commises.
En 2005, nous fêtons les soixante ans de l’armistice de la Seconde Guerre mondiale. Nous organisons, nous, un colloque sur l’absence de mémoire de ce qui s’est passé à Sétif le 8 mai 1945, le massacre de quelques dizaines de milliers d’Arabes, dont les parents ou les proches se battaient, pour certains d’entre eux, sous les couleurs de l’armée française". (...)

Actes de violences de la part de la police à Roissy, tentative de renvoi d’une femme enceinte malade, révolte des agents de la commission de recours des réfugiés ou des avocats contre les préjugements, accélération des procédures contre les enfants..., la facture de l’actualité contre les étrangers est lourde. Qu’en pensez-vous ?

Michel Tubiana : "De manière générale, le gouvernement se livre à une traque des étrangers qui a des effets insupportables très directs. En n’ayant pas cessé, depuis des années, et particulièrement ces deux dernières années, d’assimiler l’étranger au délinquant, en niant ses droits, en rognant sur son statut, en créant des zones de situation totalement arbitraire - zone d’attente de Roissy, mais aussi bien d’autres où personnes n’a droit de regard - le gouvernement renvoie une image détestable des étrangers.
Je pense que ce genre de comportement a un effet délétère qui conduit directement au réflexe de xénophobie et de racisme".

Dominique de Villepin vient de faire un catalogue de ses mesures contre l’immigration clandestine, et une chaîne de télévision, prétendument éducative, a présenté une émission intitulée “Délinquance : la route des Rom”. Qu’en pensez-vous ?

Michel Tubiana : "(...) Toute cette politique conduit à des tendances lourdes. Le préfet des Pyrénées-Orientales veut retirer sa carte de séjour de dix ans à une mère algérienne parce qu’elle a accueilli ses deux enfants qui sont dans une situation irrégulière. On croit rêver. Ces politiques, en dehors, du fait d’être absolument inhumaines, et insupportables au niveau des principes reposent sur des mensonges éhontés. Elles sont et resteront totalement inefficaces.
Plus on désigne des boucs émissaires, moins on fait de politique. On dit souvent que la prison est le révélateur de l’état d’une société, mais le droit et le statut des étrangers sont encore plus révélateurs de l’état de la démocratie. Elle se porte mal".

(Source : L’Humanité hebdo)


La L.D.H. de La Réunion solidaire des Anjouanais

La Ligue des Droits de l’Homme (L.D.H.) de La Réunion a publié un communiqué sous la signature de son président, Canda Sawmy Pillay, en réaction aux récents événements qui se sont déroulés à Anjouan. Dans ce communiqué, la LDH exprime "son indignation et son inquiétude à la suite des violences policières qui ont coûté la vie à un jeune étudiant à Anjouan
et blessé gravement au moins deux autres manifestants"
.
La Ligue ajoute qu’elle "ne peut que condamner le comportement des autorités autonomes de cette île des Comores qui, face à une manifestation pacifique des étudiants qui réclamaient le retour de leurs enseignants absents pour cause d’arriérés de salaires, ont choisi la répression brutale et semblent maintenant vouloir criminaliser ce mouvement estudiantin pour occulter et les dérives policières et ses propres insuffisances en matière de gestion des finances publiques".
La section réunionnaise de la LDH "apporte son soutien à la Fédération comorienne des Droits de l’Homme et se joint à elle pour réclamer :
1. la traduction en justice des auteurs de ces violences meurtrières ;
2. l’indemnisation des victimes ou de leurs familles ;
3. l’ouverture de négociations immédiates sur les arriérés de salaire dus aux enseignants"
.


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