Femme, violence, société multiculturelle

La violence plonge ses racines dans l’histoire

9 octobre 2004

Dans leur sécheresse, les chiffres sont accablants : ’Proportionnellement deux fois plus de femmes décèdent à La Réunion qu’en Métropole par suites d’homicides.’ Au carrefour qui s’est tenu à Saint-Pierre, il a été montré combien il est difficile et nécessaire de lutter contre la violence sociale.

La société réunionnaise évolue dans un contexte global de violence. Et dans ce dernier, les femmes sont particulièrement visées. Dès lors, un carrefour de réflexion sur le thème de "Femme et violence dans une société multiculturelle" ne peut que participer à mieux armer les professionnels qui travaillent dans ce secteur.
Trois cents d’entre eux ont participé, hier et avant-hier à Saint-Pierre, à ce carrefour de réflexion organisé à l’initiative du Comité départemental de lutte contre les violences (Codev).

La violence domestique touche essentiellement les femmes... les enfants aussi fera remarquer dans son intervention l’anthropologue Stéphane Nicaise.
Dans leur sécheresse, les chiffres sont accablants : "Proportionnellement deux fois plus de femmes décèdent à La Réunion qu’en Métropole par suites d’homicides... L’agresseur, majoritairement un parent proche... L’alcool, facteur aggravant... 15 % de femmes victimes de violences conjugales... 36 % des tentatives de meurtre par l’ex-conjoint..." (1).

Et comme on ne peut accuser la latitude ou le climat, c’est bien dans la situation sociale, dans la construction de la société qu’il faut aller chercher les causes de cette violence machiste.

La moitié de La Réunion en panne sociale

Ce qu’a bien montré Stéphane Nicaise dans son intervention "Violence sociale et apaisement culturel". Il estime que la structuration d’une société moderne dans les années soixante/soixante-dix aurait pu voir la population de La Réunion "apaisée".
Ce qui n’est pas le cas, "loin de là". Il y a comme une impossibilité "de sortir du jeu d’observation des regards qui ne se croisent jamais et qui nourrissent méfiance et ‘’jalouzri’’" .

La situation sociale, la démographie "qui n’est pas une fatalité", échec scolaire, illettrisme, chômage, crise du logement... mais aussi dynamisme économique, "tout cela fait que plus de la moitié de La Réunion est en panne sociale et que globalement, la violence ne peut que s’amplifier jusqu’à atteindre le fondement de la société qui est la famille".

C’est aussi au passé qu’il importe de se référer. Car selon l’anthropologiste, il "permet de mettre en vis-à-vis la violence engendrée par l’histoire sociale de l’île et les forces de cohésion sociale dégagées par le processus social. Or, la société réunionnaise cumule beaucoup de forces qui concourent à conserver cette cohésion que l’on doit, pour une bonne part, au métissage et au processus de créolisation qui font émerger des solutions".
Certes mais un peu plus loin, l’intervenant note que "le dynamisme culturel créole s’est dilué dans la société dite de consommation qui a émergé dans les années quatre-vingt, ce qui explique l’intolérance devant la moindre des frustrations".
D’après lui, la société réunionnaise est une société en panne, dont la majorité de la population ne dispose d’aucune perspective sur plusieurs générations : "il y a eu rupture sur trois générations, alors que peu d’endroits dans le monde ont connu un tel phénomène".

Transmettent-ils la violence ?

Le débat a été passionné, productif. Il revenait à Liliane Daligand (2) de conclure les travaux. Elle a souligné les enjeux ambitieux de ce carrefour : approfondir la connaissance, favoriser les échanges de compétences interdisciplinaires et créer du lien entre les professionnels.
S’agissant de la transmission de la violence, elle a souligné l’intérêt, pour La Réunion, d’une véritable étude rétrospective afin de voir si les enfants maltraités sont devenus maltraitants ou "ne transmettent pas la violence".
Elle croit que ceux qui ne transmettent pas la violence, "ce sont les enfants qui ont rencontré des humains, des témoins qui leur ont permis de prendre corps, de se construire envers et contre tout". D’où l’importance d’armer les professionnels, les associations... et c’était bien là un des objectifs de ce 2ème carrefour de réflexion.

L.M.

(1) Extraits de l’enquête ENVEFF Réunion 2002.
(2) Psychiatre, présidente de l’Association Villeurbanne information femmes-familles, présidente du conseil scientifique de l’Institut national d’aide aux victimes et de médiation, auteure de nombreux articles et de deux livres sur les violences domestiques.


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