RFO : droit du sol / droit du sang

Le débat dérape

27 septembre 2005

L’UMP s’avance masquée derrière ’de grands principes’ pour remettre en cause des droits constitutionnels, sans avoir la moindre idée des conséquences de ses choix. Par exemple, le test ADN proposé pour déceler de supposés ’trafics de paternité’ n’entraîne-t-il pas une remise en cause de la paternité adoptive ?

Il ne faut jamais perdre de vue qu’à l’origine de la proposition du ministre Baroin et de tous ceux qui s’engouffrent à sa suite dans la surenchère avec les visées de Nicolas Sarkozy, il y a la hantise de "l’envahissement" de la France par la misère du monde.
Rapportée à notre région, cette fantasmagorie de “l’envahissement” de la France par les îles comoriennes prêterait à sourire si la France n’avait une responsabilité aussi lourde et dans la partition de l’archipel - qui est à l’origine de ces migrations dramatiques - et du maintien du sous-développement. On peut toujours, bien sûr, évoquer avec mépris, comme l’ont fait MM. Virapoullé et Dindar, la "corruption" et les "dictateurs qui envoient leur trop-plein de population" , mais ce n’est pas de cette façon que vont pouvoir s’instaurer les relations de co-développement qui justement seraient utiles à ces pays pour sortir de la misère.
Sur des fondements aussi injustes, les mesures du gouvernement et de leurs émules choquent par leur outrance. David Ibrahim Dindar dénonce des "trafics de paternité à Mayotte, (...) où des pères fictifs vendent la reconnaissance de paternité à des mères comoriennes pour que leur enfant acquierre la nationalité française et qu’elles mêmes ne soient pas expulsées." Il a fait cette déclaration hier dans Questions d’actualité, sur RFO radio.

En quoi y a-t-il trafic ?

Cette façon de présenter les choses fait fi d’une part de l’existence de liens familiaux effectifs entre les îles : un Mahorais peut très bien avoir de la famille à Anjouan ou à la Grande Comore et faire jouer la solidarité familiale, même sans paternité directe, envers ses proches. Le positionnement ultra de ceux qui prétendent traquer des “paternités fictives” est d’abord une agression sans nom de la structure familiale de ces peuples.
Ensuite, la présence d’argent dans un réseau, de solidarité ou autre, ne permet pas forcément de parler de “trafic”. Combien de nos tractations, ici, sont scellées par des apports d’argent ? Ce ne sont pas nécessairement des “trafics”. Quand dans une même famille, une parentèle accueille les enfants d’une autre parentèle, il n’est pas rare que de l’argent circule, en forme de solidarité et d’échange : en quoi y a-t-il trafic ? Si un oncle héberge des neuveux ou nièces pour leur permettre de s’inscrire dans un établissement auquel ils n’auraient pas accès sans cette domiciliation : est-ce une fraude ? est-ce de la solidarité familiale ?

Un visa cause de nombreux drames

On devine, dans la douleur où sont les familles comoriennes et mahoraises, toutes les formes de solidarité qu’elles sont capables de mettre en action.
En quoi cela autorise-t-il des nantis de La Réunion de les tancer de leur mépris en parlant de “trafic” ou de “paternité fictive” ou encore de “fraude à la paternité” ?
Si l’on suit le raisonnement d’Ibrahim David Ingar, qui voudrait instituer des test ADN pour prouver la non-paternité sanguine d’un Mahorais élevant un enfant anjouanais ou comorien, on débouche très vite sur l’impossibilité de la paternité adoptive : elle aussi tombe sous le coup de la “fraude à la paternité”.
Qu’est-ce qui pourrait encore permettre à des parents français d’adopter des enfants originaires de pays du tiers-monde, si une telle mesure est adoptée ? Et si cette mesure devait s’appliquer aux seuls Comoriens de façon discriminante, elle tomberait d’évidence sous le coup des lois anti-discrimination.
De telles propositions sont choquantes par leur manque de générosité, mais aussi par leur bêtise.
Enfin, un dernier point, par lequel nous aurions pu commencer : l’usage de test ADN est généralement réservé à l’identification ou au contrôle des délinquants et des criminels, ou encore pour prévenir la récidive. Il n’a encore jamais été fait usage d’un tel procédé pour contrer des valeurs socialisantes et positives, en l’occurrence : l’exercice de la paternité. On s’en sert plutôt pour identifier des pères qui fuient leur responsabilité.
Ce seul fait montre que cette proposition est une dérive. Il est possible de faire reculer la misère aux Comores, mais la France ne fait rien pour cela, ou si peu. Il est possible de réguler les échanges entre les îles : en supprimant un visa imbécile qui est la cause de nombreux drames et qui fige les échanges humains dans les formes tragiques qu’ils ont pris depuis son instauration. Il est surtout possible d’être moins bête et moins dogmatique dans l’approche de questions aussi sensibles. Mais pour cela, il faudra peut-être changer de gouvernants.

P. David


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