À propos de la loi du 23 février

Le décret du déni

30 décembre 2005

Le 23 février dernier, une loi portant sur le rôle positif de la présence française outre-mer était votée, imposant ainsi une loi officielle, pour le plus grand bonheur des nostalgiques de l’impérialisme français.

La loi du 23 février 2005, en son article 4 alinéa 2 stipule : "les programmes scolaires reconnaissent le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord, et accordent à l’histoire et aux sacrifices des combattants de l’armée française issus de ces territoires la place éminente à laquelle ils ont droit". Cet alinéa est né d’une proposition de loi du député Jean Léonetti, portée le 15 mars 2003, que l’on avait cru abandonnée.
Jusqu’à la date fatidique du 23 février dernier, où - on ne sait trop comment - la proposition de Jean Léonetti est passée en catimini dans une loi, qui visait "normalement" l’octroi d’un statut et une allocation de reconnaissance aux Français rapatriés et aux harkis qui ont défendu le drapeau tricolore. Seulement voilà, l’alinéa 2 demande aux historiens-chercheurs, aux professeurs et instituteurs de raconter l’histoire coloniale de manière "joviale", en omettant la souffrance des peuples colonisés.

"Cette loi impose l’oubli..."

Pour Willy Técher, Président de l’association Art Sénik, "cette loi est encore un exemple de la non-reconnaissance des peuples aliénés par la colonisation française. Rappelons-nous qu’il a fallu attendre les années 1980 pour que le maloya soit joué librement. Notons aussi que l’application de la loi Deixonne, votée en 1951 pour l’étude des langues maternelles et des cultures régionales, n’a été appliquée à l’Île de La Réunion qu’en 2000, après une lutte sans merci menée par le Mouvement pour le respect de l’identité et de la culture réunionnaise (MRICR). Et aujourd’hui encore, il faut se battre pour que l’Éducation nationale applique cette loi, que les écoles intègrent dans leur programme l’étude objective de l’histoire réunionnaise". Ce militant culturel, affilié à Lantant Pikan, fédération d’associations culturelles et artistiques réunionnaises, note qu’il faut se battre, surtout dans la rue, pour que cette loi soit abrogée. "Cette loi impose l’oubli de ceux qui ont donné leur vie, perdu leur nom, leur histoire, leur culture originelle. Nos ancêtres esclaves doivent encore s’effacer. Nos marrons doivent encore courir", déclare-t-il. Et de poursuivre : "on propose donc une histoire officielle, qu’il faudra apprendre par cœur. Cela, en allant à l’antipode du principe de neutralité que l’on attend de l’école. La science nous impose de dire aux mots le plus près, aux chiffres le plus complet".
Jean Léonetti oublierait-il les millions d’hommes, femmes et enfants, qui ont subi la colonisation, plus que de l’avoir apprécié ? Fussent-ils esclaves, engagés, petits exploitants victimes de la paupérisation. En oubliant ceux qui ont fait La Réunion, ceux qui l’ont créé, à la force de leur volonté, de leur courage, de l’obligation, cela malgré l’adversité d’un système colonial, qui d’ailleurs écrivait en toutes lettres les commandements du Code noir, on oublierait une partie essentielle de l’Histoire. Nous omettrions tout le pan historique qui explique notre histoire présente, et celle à venir.

À quand l’abrogation ?

En lisant les nombreuses réactions sur le sujet, on peut facilement observer que nos avis se rejoignent. Français, Antillais, Réunionnais, Mahorais, Algériens, Outre-Mer et Afrique du Nord, ne peuvent accepter que La France omette de lire les pages les plus obscures de son histoire coloniale. Cette loi, il faut que tous contribuent à la faire abroger. D’ailleurs, le chef du gouvernement, Dominique de Villepin, s’est lui-même indigné de cette loi. "Il n’appartient pas au Parlement d’écrire l’histoire", déclarait-il à nos confrères de Radio France internationale (RFI).
Attention aux révisionnistes ! Le président de la République, Jacques Chirac déclarait lui-même le 9 décembre 2005 que "dans la République, il n’y a pas d’histoire officielle. Ce n’est pas à la loi d’écrire l’Histoire. L’écriture de l’Histoire, c’est l’affaire des historiens". Lors de l’assemblée plénière du 19 décembre dernier, des conseillers régionaux du propre camp politique du député Jean Léonetti (UMP) s’indignaient de cette loi, notant que "nous devons assumer nos heures de gloires, mais aussi les moments critiques et les plus sombres".
Huguette Bello, députée PCR, a fermement rappelé le gouvernement à plus de regard sur l’histoire vraie, et entière, de la colonisation. La présence coloniale française, fusse-t-elle positive, a maintes fois été associée à des faits atroces, qu’un jour peut-être la France parviendra à reconnaître comme "crimes contre l’humanité". Pour l’heure, nous demandons juste l’abrogation de cette loi !

Hénel


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