Ce soir sur Télé Réunion : ’Noires mémoires’

Le malaise des descendants d’esclaves

31 octobre 2005

Vendredi dernier, la Rédaction de Télé Réunion a organisé en avant-première une projection pour la presse de "Noires mémoires", le documentaire de Luc Laventure consacré au malaise noir dans notre société post-coloniale.
Il est indéniable que RFO, depuis sa fusion dans le groupe France Télévision, tente de faire des efforts pour nous sensibiliser sur le passé colonial de la France et parfois même sur l’histoire toute proche qui lie l’Outre-mer à la Métropole.
Dernièrement, ce fut le cas douloureux des enfants de La Creuse que la chaîne du Barachois avait décidé d’aborder, et il faut bien le reconnaître, avec un reportage sans concessions.

Je dois vous dire qu’après la projection de "Noires mémoires", je suis sorti de la salle avec un avis beaucoup moins enthousiaste, et le jugement que j’aurai de cette production serait plutôt circonspect. Non pas que le sujet fut abordé de manière tronquée, mais il y a tout de même loin de la coupe aux lèvres. Ce reportage a été remis à l’ensemble des Rédactions de RFO après diffusion sur la chaîne satellitaire France O. Toutes les Rédactions ont décidé de le diffuser le 25 octobre, sauf Télé Réunion qui a choisi de le programmer le 1er novembre. Il y a eu quelques protestations ici ou là, notamment sur les ondes radiophoniques, pour dénoncer le fait que la station du Barachois nous privait de ce reportage alors qu’en réalité, il n’en était rien.

Mais je dois dire que si ce reportage est une parfaite réussite en matière de recherche d’identité caribéenne, bon nombre de Réunionnais ne vont pas se retrouver dans cette vision de la période coloniale et esclavagiste française. Ce sujet, certes fort intéressant, n’apporte aucun éclairage sur l’esclavagisme à La Réunion. De l’aveu-même de ceux qui animent ce reportage, 80% du commerce triangulaire se sont déroulés entre l’Europe, l’Afrique et la Caraïbe.
À la suite de ce reportage, je me suis demandé à qui la faute si, lorsque que l’on parle des heures noires de la France que paradoxalement on appelait le "siècle des lumières", on efface d’un revers de main l’histoire de l’océan Indien.
Il faut se rendre à l’évidence, le politique n’est pas loin. À force de renoncements et de luttes acharnées d’une certaine classe dirigeante réunionnaise, nous récoltons ce qu’elle a semé.

La Réunion a vendu un peu de son âme

Nous verrons lors de ce reportage à quel point avec l’aide d’une diaspora engagée, les Antillais expliquent leur mal de vivre et défendent leur histoire. À trop vouloir calquer les lois de la République française, La Réunion a vendu un peu de son âme, et c’est cela que nous ressentirons dans ce reportage.
Il semblerait que les Antillais aient réussi, seuls face au monde, à redresser la tête pour dire : "plus jamais cela". Voir une députée guyanaise (Christiane Taubira) plus que jamais pugnace qui défend bec et ongle sa culture, son identité afro-caribéenne, et qui montre au reste de la planète que l’on ne gagne rien à vivre couché, nous rassure sur le rôle de l’élu. On a les élus que l’on mérite, voilà ce que je serais tenté de dire après le film. Quoi qu’il en soit, lorsqu’un Virapoullé ou un Victoria s’aplatit devant la représentation nationale pour être plus blanc que blanc, pour être plus Français que les autres, rien de plus normal qu’ils ne soient pas réellement représentatifs pour défendre la culture réunionnaise.

C’est pour cela que je vous recommande de regarder ce reportage. D’abord parce qu’il est bon et foncièrement honnête, ensuite parce qu’il nous démontrera à nous autres Réunionnais, à quel point une certaine classe politique, en léchant les bottes du pouvoir, n’a pas réussi à élever le débat sur les origines réunionnaises.
Il est évident pour moi que la vue d’une Taubira défendant son projet pour que l’État français reconnaisse comme crime contre l’humanité l’esclavage, a plus de gueule qu’un Virapoullé sautant comme un cabri sur les bancs de l’assemblée en vociférant : "Coup pa nou, coup pa nou", ou qu’un Victoria avec une tête de premier de la classe, la voix mielleuse demandant à cette même assemblée que notre département soit exactement calqué sur les départements métropolitains.
Dans “représentation nationale”, il y a "représentation", et le moins que l’on puisse dire, c’est que certains élus réunionnais ont perdu depuis bien longtemps le sens de leur devoir. Si l’on regarde la succession de ces tristes sires, il faut prendre peur. Il ne manquerait plus que David Dindar soit élu et nous verrions les rêves d’un illustre borgne se réaliser.

Un reportage tourné vers la mémoire et l’avenir

Tout ceci pour vous dire que ce que nous verrons sur nos écrans, c’est un reportage tourné vers la mémoire, mais aussi vers l’avenir du peuple antillais, et bien plus qu’aux Réunionnais, il s’adresse à nos compatriotes Métropolitains.

Il faut tout de même remercier RFO qui nous sert un très bon programme d’Histoire ou de psychanalyse afro-caribéenne, mais notre île dans cette histoire n’aura pas son compte. Pour l’anecdote, j’ai compté le nombre de fois où l’on cite le nom "Réunion". Il est prononcé 5 fois à la fin.
Surtout ne voyez pas de ma part une sorte de jalousie, car l’histoire de la Caraïbe, quoi qu’en pensent certains, est étroitement liée à la nôtre, et disons plutôt merci à ces Antillais qui par leurs bavardages nous donnent une leçon identitaire.
Je tiens quand même à préciser que la critique de cette émission se borne au seul reportage. En effet, il ne nous a pas été donné de voir le débat, mais je peux présumer qu’avec Nassimah Dindar comme défenderesse de la cause des descendants d’esclaves à La Réunion, cela risque d’être un peu court. Que voulez-vous, comme je vous l’ai dis plus haut, nous devons faire avec les élus que nous avons. Si je devais qualifier cette émission, je dirai qu’il est indispensable de la regarder, car elle nous démontre qu’il y a vraiment un mal de vivre des descendants d’esclaves.
Pour résumer, j’ai envie de mettre en exergue la phrase que Lilian Thuram cite dans le reportage et qu’il nous envoie comme un coup de pied : "Le jour où tous les Noirs et tous les Arabes seront riches et célèbres, comme Zidane et moi, il n’y aura plus de racisme". M. Dindar a encore de beaux jours !

Philippe Tesseron

http://www.espaceblog.fr/teletesseron/


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