Politique de l’immigration : la résistance se poursuit

« Le seul but de Sarkozy est de glaner des voix au FN »

20 avril 2007

6.924 personnes régularisées sur 33.538 dossiers déposés : des milliers de sans papiers désormais fichés sont chaque jour expulsés avec force du territoire français. Des milliers de drames humains commandités par l’ex-ministre de l’Intérieur, candidat à la Présidentielle. Le Réseau Education Sans Frontières poursuit ses actions de résistance, de désobéissance civique.
Témoignage de Pierre Cordelier, son fondateur.

Depuis la circulaire fixant les critères de régularisations, jusqu’à aujourd’hui, quels sont les effets de la politique de l’immigration conduite en Métropole ?

- L’annonce de la mise en application de la circulaire du 13 juin 2006 a suscité une ruée. Beaucoup de familles y ont cru et se sont fait connaître. Des familles qui ne s’étaient jamais révélées auprès du RESF. 33.538 dossiers ont été déposés. Mais dès le départ, avant même que les dossiers ne soient examinés, le ministre avait annoncé que seulement 30% des demandes seraient prises en compte. L’arnaque était posée d’avance. Aujourd’hui, 6.924 individus, pas des familles mais bien des individus, ont été régularisés. Les dossiers ont été examinés n’importe comment en dépit des critères fixes (résider au moins depuis 2 ans en France, avoir un enfant scolarisé depuis septembre 2005...) et des critères flous comme l’intégration dans la société française, dont on ne sait pas très bien ce que cela veut dire. On a pu constater des refus injustifiés : pour 2 cas identiques traités dans la même préfecture, l’un était accepté, l’autre refusé. N’importe quoi !

« L’arnaque était posée d’avance »

Le 24 juillet, le ministre a convoqué les préfets pour soi-disant faire un point sur la situation, pour calmer les associations, mais c’était en fait pour donner la consigne que le quota était atteint. Les refus se sont alors amplifiés. A la rentrée scolaire, des familles n’avaient toujours pas obtenu de réponse. Nous avons engagé des recours en préfecture, fait des dépôts collectifs, et à force de bagarres, d’autres personnes ont été régularisées par la suite. Mais beaucoup de gens vivent aujourd’hui dans la terreur quotidienne, ne veulent plus déposer leurs enfants à l’école de peur qu’ils ne soient raflés à la sortie. Nous les encourageons à les emmener en classe car la communauté scolaire est là pour les protéger. La Halde a interpellé le ministre pour en savoir plus sur les méthodes d’application de la circulaire. Les associations ont quant à elles sollicité une enquête parlementaire, qui a été refusée. Finalement, il ne s’agissait que d’une stratégie pour déminer le terrain dangereux de la mobilisation association et montrer le visage d’un Sarkozy humaniste, mais ferme.

« Les interpellations se font au faciès »

De quelle manière les interpellations sont-elles pratiquées ?


- Beaucoup d’expulsions se font de façon extrêmement brutale. On assiste depuis plus de 1 an à Paris à des mini-rafles. Dans des endroits à forte concentration de population immigrée, des camions de police sont régulièrement postés et les interpellations se font au faciès. Si la personne n’a pas ses papiers sur elle, elle est menottée, embarquée dans le camion et conduite au poste. Si elle ne peut pas fournir ses papiers, elle est alors conduite en centre de rétention et rapidement expulsée du territoire. Nous rencontrons, de par nos actions, beaucoup de petits sans papiers qui ne mettent pas encore des mots, mais sentent le malaise, voient que papa se cache ou entre dans une procédure d’évitement de la vie sociale. Ce sentiment de crainte n’est pas sans conséquences sur la socialisation, la santé physique et mentale. Les ados, eux, ont bien compris les choses et manifestent une mésestime de soi, une honte de soi. Nous constatons aussi que la dureté de cette réalité sociale n’est pas sans conséquences pour l’entourage des personnes menacées d’expulsion (voir encadré) .

Vous-mêmes, vous avez déjà été interpellé par les forces de police, je crois ?

- Oui. Pour les militants associatifs, il ne s’agit pas d’un délit de faciès, mais de photographie. Nous sommes fichés depuis longtemps, comme tout le monde d’ailleurs aujourd’hui. J’étais à Belleville, je me rendais au tribunal, une dizaine de CRS m’a suivi dans la bouche de métro pour procéder à un contrôle d’identité.

Est-ce que les associations ont suffisamment de poids face à la machine politique et policière en place pour empêcher ces expulsions ?

- Après une bagarre, une mobilisation, on obtient des régularisations. Le Préfet a le pouvoir de régulariser en dépit de l’ordre ministériel de faire du chiffre, une grande idée de Sarkozy qui prétend qu’il va ainsi résoudre le problème de l’immigration clandestine en France. Argumentation mensongère, le seul but de Sarkozy est de glaner des voix au FN. Il peut expulser 10.000, 50.000 personnes, cela ne changera rien. Les gens qui ont peur et faim fuiront toujours pour sauver leur vie. Le problème de l’immigration est mondial, c’est celui de la répartition des richesses dans le monde. Celui-là, RESF ne peut pas le régler, mais il parvient à empêcher, voire à corriger, certaines expulsions.

« Pour expulser 5 personnes, la France a dépensé 80.000 euros ! »

Corriger ?

- Oui, nous avons fait par exemple revenir Suzie Laine, une jeune étudiante, à nos frais. Nous espérons pouvoir faire de même avec la famille Rabba, avec qui nous avons des contacts réguliers et qui est dans un grand désespoir. Cette famille vivait depuis 5 ans dans une petite ville de l’Est de la France. Le père, Kosovar musulman, a refusé de participer à des attaques militaires dans des villages voisins. Il a fui son pays avec sa femme et son enfant, puis a eu deux autres enfants en France. Un matin, ils ont été embarqués manu militari puis conduits de centre en centre avant d’être mis dans l’avion, encadrés par 10 flics (2 par personne), un avion privé. Nous avons calculé le coût : pour expulser 5 personnes, la France a dépensé 80.000 euros !

Quelle a été votre réaction à l’annonce de Nicolas Sarkozy de créer un ministère de l’immigration et de l’identité nationale ?

- C’est l’expression d’un nationalisme dans le plus mauvais sens du terme. Il a en même temps signifié son mépris à une grande part de ceux qui vivent en France. Ce n’est pas vraiment une surprise. J’ai été par contre déçu de voir que Mme Veil a certes dit sa désapprobation, mais reste tout de même du côté de Sarkozy. C’est un projet extrêmement malsain dans une société multiple de par les origines et cultures qui la composent ; un projet qui rejette un peu plus les gens déjà dans la difficulté. Un projet empreint de relents vichystes.

Si Nicolas Sarkozy accédait à la présidence, cela sonnerait-il la fin du combat pour la défense des sans-papiers ?

- L’histoire n’est jamais écrite d’avance. Si cela devait arriver, on n’aurait pas le choix. On est tout de même dans une période qui implique des actions de résistance et de désobéissance civique. Pour dire les choses franchement, nous n’avons pas vocation à être martyres, mais nous sommes contraints, pour être en accord avec nous-mêmes et avec les principes éducatifs de la République, d’aller contre la loi.

Entretien réalisé par Stéphanie Longeras


RESF lance une enquête sur « l’effet miroir »

« Notre société peut-elle sortir indemne de l’expulsion d’enfants sans-papiers ? »

Outre le traumatisme psychologique qu’entraînent pour les enfants les actes violents d’enfermement, de menace d’expulsion, voire d’expulsion, RESF s’inquiète aussi d’un autre risque, plus massif et plus grave en termes de santé publique : l’effet miroir.

« Une injustice anxiogène, voire pathogène »

Il souligne que « si maintes études existent sur les effets subis par des personnes victimes directes d’actions violentes et autoritaires, on s’est rarement intéressé aux effets psychopathologiques et aux séquelles que laissent de tels actes dans la population non directement touchée ». Cette enquête épidémiologique de terrain, menée à partir d’un questionnaire établi par des professionnels de santé mentale et conduite par le professeur Miguel Benasayag, psychanalyste et philosophe, s’intéressera à comprendre les effets pathogènes chez les voisins, amis, l’entourage d’enfants qui vivent aujourd’hui sous la menace d’expulsions ou qui ont assisté à des actes d’expulsion plus ou moins violents. L’hypothèse soutenue par RESF est qu’« il est presque impossible que les élèves d’une classe d’école, de collège ou de lycée puissent élaborer psychologiquement sans problème le fait qu’un ou une de leurs camarades soit menacé d’être expulsé de France ou soit obligé de se cacher en raison du seul délit d’exister. Pour un enfant, le fait qu’un camarade soit victime de violence ou qu’il en soit menacé du seul fait que ses parents ne possèdent pas exactement le bon papier au bon moment, cela relève d’une injustice anxiogène, voire pathogène (...). Aujourd’hui, il faut comprendre que celui qui laisse exister de tels actes ne reste pas indemne du point de vue de sa santé (...), la non réaction exige toujours un effort de refoulement très actif qui porte à conséquence ». L’objectif n’est pas de procéder à une interpellation morale pour convaincre à la solidarité, mais de démontrer qu’il n’existe pas de possibilité pour les personnes indirectement touchées, par effet miroir, de sortir indemnes d’une telle réalité sociale. Subir sans réagir physiquement ne signifie pas que la population est vaccinée par des attaques injustes et autoritaires à l’encontre des plus faibles, les enfants.
La conduite de cette enquête nécessitera la participation de professionnels, d’étudiants en médecine, d’enseignants, de doctorants qui peuvent prendre contact avec le RESF ([email protected]). Ce dernier souhaite également intervenir dans les congrès de pédiatrie, pédopsychiatrie, psychanalyse et psychologie de l’enfant afin de pouvoir expliquer sa démarche et avancer ses hypothèses. Parmi toutes les nouvelles psychopathologies émergeantes liées au contexte de crise sociale, RESF estime que la menace qui pèse sur certains enfants n’est pas à négliger. Enfin, il souhaite créer, avec l’aide des centres ressources, un groupe de travail thérapeutique avec une fonction clinique préventive auprès des victimes directes, les enfants.

S.L.


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