Loi sur le handicap

Les moyens d’un grand chantier ou de petits travaux ?

22 février 2005

Le 14 juillet 2002, Jacques Chirac s’engageait à améliorer la situation des personnes handicapées. Plus de deux ans après, le texte de loi pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées s’avère bien en deçà des attentes des quelque 4 millions de Français ayant un taux d’incapacité reconnu.

(Pages 4 et 5)

Vieille de trente ans, la loi d’orientation sur le handicap avait grand besoin d’être réformée. Difficile pourtant pour la secrétaire d’État aux personnes handicapées, Marie-Anne Montchamp, de mener à bien ce “grand chantier” censé “marquer le quinquennat”, avec une enveloppe budgétaire limitée.
Si le texte comporte certaines avancées s’agissant de la participation à la vie sociale et au principe d’accessibilité généralisé, en revanche le volet majeur qu’est la compensation du handicap et les ressources s’avère plus décevant. La mise à effet de la promesse de Marie-Anne Montchamp de "garantir [aux personnes handicapées] le libre choix de leur projet de vie" semble compromise.

Bon pour le principe...

Jusqu’alors, les personnes handicapées bénéficiaient d’une allocation forfaitaire leur permettant de financer, au mieux, trois heures d’auxiliaire de vie par jour. Pour pourvoir à leurs autres besoins, elles devaient compter sur les aides extra-légales des collectivités locales, des mutuelles et autres.
Grâce à la loi dite de modernisation sociale de janvier 2002, qui prend en compte le droit à la compensation, une équipe pluridisciplinaire établira désormais pour chaque personne, un plan personnalisé de compensation du handicap.
C’est à partir de ce plan que sera attribuée une "prestation de compensation" visant à absorber les surcoûts liés au handicap, c’est-à-dire, la partie non prise en charge par la sécurité sociale des aides humaines et techniques (fauteuil, lève personne...), mais aussi l’aménagement du logement, du véhicule, et les aides spécifiques (chien...).
Présenté ainsi le principe semble bon, mais dans la réalité, il en est tout autre. La somme versée dépendra en fait des revenus de la personne et plus ils seront élevés, plus la compensation restant à sa charge sera importante.

Mais pour les fonds...

La prestation de compensation sera versée par la nouvelle Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie, principalement financée par la cotisation de 0,3% prélevée sur les employeurs en contrepartie du jour de travail “gratuit” imposé aux salariés. 850 millions d’euros seront ainsi consacrés aux personnes handicapées, dont 300 millions pour la création de places en structures spécialisées et 550 millions pour la prestation de compensation.
Si Marie-Anne Montchamp affirme que le financement des aides humaines va ainsi être augmenté de 70%, les besoins étaient jusqu’alors si faiblement couverts que les associations de personnes handicapées estiment que cela sera rapidement insuffisant.
S’agissant de la question des ressources, le souhait émis par les associations que les personnes dans l’incapacité de travailler puissent bénéficier d’un revenu d’existence au moins égal au SMIC, ne sera pas entendu. Certes la loi créé une garantie de ressources, composée de l’AAH (Allocation aux adultes handicapés) et d’un “complément de ressource” de 130 euros par mois - soit 35 euros de plus que l’allocation autonomie qu’il remplace et qui s’élevait à 96 euros -, mais elle ne permettra d’atteindre que 80% du SMIC soit 730 euros par mois.
De plus, cette garantie de ressource sera indexée sur le SMIC, au risque qu’elle progresse moins vite que le salaire minimum. Enfin, le droit à l’AAH dépendra toujours des ressources du conjoint, ce qui maintient la personne handicapée sous dépendance d’un tiers.
Bien qu’il symbolise un nouvel élan en faveur d’une réelle prise en compte du handicap en France, entre lacunes et avancées, le bilan du nouveau texte reste néanmoins plutôt mitigé. Mais pour que cette nouvelle volonté politique débouche véritablement sur une meilleure intégration des citoyens handicapés, il faudrait que les moyens débloqués soient à la hauteur des ambitions affichées.

Estéfany


Des progrès et des ombres

Le volet accessibilité de la loi s’avère plus prometteur. Mais les promesses...
o Jusque-là rien n’obligeait une commune ou un commerçant à rendre accessible ses locaux. La nouvelle loi stipule que d’ici à 10 ans, tous les bâtiments recevant du public devront être accessibles. Au vu des retards accumulés par la France dans ce domaine, il n’est jamais trop tard pour combler cette lacune. Un bémol pourtant : des "dérogations exceptionnelles", pourront être accordées "lorsqu’il y a disproportion entre les aménagements apportés et leurs conséquences". De plus, l’État, dans le cadre du transfert de compétences, soutiendra-t-il financièrement les communes qui auront à mettre en application les prétentions de cette loi ?
o D’ici 10 ans également, les services de transport collectif, qui n’étaient jusqu’alors soumis à aucune réglementation, devront être mis en accessibilité. Un souhait légitime, mais là encore, se pose la question des moyens lorsque l’on sait que l’État se désengage du financement des transports en commun en site propre. Et puis, les bus d’avant cette loi ne sont pas contraints à la mise en accessibilité, ce qui signifie que des lignes vont être moins accessibles que d’autres ou au pire que ces nouvelles exigences vont limiter l’effort d’extension du réseau, ce qui va à l’encontre des priorités pour La Réunion.
o "Tout enfant, tout adolescent présentant un handicap ou un trouble invalidant de la santé est inscrit dans l’établissement scolaire le plus proche de son domicile". Un net progrès par rapport à la législation antérieure qui parlait juste de préférence pour l’accueil en milieu ordinaire. Si ce n’est que le Sénat a adopté un décret mettant un frein à cette avancée, "lorsque ce choix provoque des troubles qui perturbent, de manière avérée, la communauté des élèves". D’autres questions restent aussi en suspens. Les enfants handicapés bénéficieront-ils des aides humaines et techniques adéquates ? Y aura-t-il un renforcement des auxiliaires de vie scolaire, des traducteurs pour les malentendants et une pérennisation de leur emploi au sein de l’Éducation nationale ? Les quelque 1.300 enfants handicapés en attente de scolarisation auront-ils enfin une place au côté de leurs jeunes camarades valides ?
o Les entreprises ne respectant pas le taux de 6% de travailleurs handicapés dans leur effectif, devront verser une contribution plus lourde à l’Agefiph : jusqu’à 600 fois, au lieu de 500 actuellement, le SMIC horaire par bénéficiaire non employé. Elles devront également engager chaque année une négociation sur l’insertion professionnelle de ces personnes et leur maintien dans l’emploi. Les employeurs publics qui ne respectent pas le taux de 6% devront cotiser à un fonds pour l’insertion des personnes handicapées dans la fonction publique, à l’instar de l’Agefiph pour le privé. Dommage qu’il ne soit pas prévu un plan de reconversion dans l’entreprise pour les accidents du travail.

S. L.


Questions à Jean-Yves Barreyre*

Pouvez-vous nous en dire plus sur la mise en place du projet personnalisé qui est au centre de l’organisation de la prise en charge du handicap ?

Le projet personnalisé sera mis en place seulement pour ceux qui bénéficieront d’un plan de compensation. L’État s’est en fait rendu compte que les Maisons du handicap ne pourraient pas assurer systématiquement la mise en place d’un projet personnalisé pour tous. Je pense que l’idée devrait pourtant faire culture et être à la base de la méthode d’appréhension des situations de difficultés. Il faudrait même l’étendre à tout dispositif et le substituer aux "projets individuels" qui sont trop souvent des projets d’institutions.
La mise en œuvre de ces projets personnalisés dans le cadre de la compensation se fera par les Maisons départementales des personnes handicapées qui pourront s’appuyer ou travailler avec les centres communaux ou intercommunaux des affaires sociales. Nous pourrions dans ce cadre voir se redéfinir les missions des assistantes sociales de secteur qui pourraient se trouver au plus près du territoire de vie des personnes. Cela se jouera sans doute dans la mise en place des maisons et selon la méthode choisie par les élus.

S’agissant de la compensation, il est suggéré par le Sénat la mise en place d’un fonds départemental. Il semble que l’on s’inscrive dans la politique de transfert de compétences mais là encore se pose la question des moyens financiers ?
Au cœur de la compensation, la question financière n’est pas résolue : si on applique l’esprit de la compensation, celle-ci recouvre des domaines très larges et demandera notamment des aides humaines importantes. Nous allons assister à une forte tension entre les associations d’usagers qui défendront cette position et les collectivités territoriales voire l’État qui tenteront de restreindre la notion de compensation aux actes essentiels de la vie quotidienne et à une population lourdement handicapée. En fonction de l’option choisie, nous aurons ou pas les moyens de répondre aux besoins des gens. Si l’État s’en tient à une enveloppe fermée, il renverra aux Conseils généraux le choix et la responsabilité d’aller au-delà en rajoutant directement des fonds et aides ou en abondant pour les plus démunis le fonds départemental. Tout se jouera dans un "premier set" avec la définition du référentiel national d’analyse des situations que doivent coproduire la DGAS et la CNSA.

Une répartition des financements par territoire est-elle envisagée après évaluation des besoins respectifs ?


En ce qui concerne les équipements et services pour répondre aux besoins, la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie proposera une répartition équitable en fonction des retards. Elle délivrera des enveloppes issues de l’Objectif national des dépenses d’assurance maladie (ONDAM), voté par les députés.

À La Réunion, nous connaissons d’importants retards structurels. Les évaluations relatives à la situation du handicap sont encore lacunaires. Pourra-t-on bénéficier d’un soutien au diagnostic et d’une aide pour la mise en place de structures spécialisées ?

En matière d’évaluation des besoins, c’est à la collectivité territoriale d’effectuer ce travail via les schémas départementaux. Il n’est pas envisagé à ma connaissance d’aide particulière à ce sujet pour les RUP. En ce qui concerne les structures, a priori le gouvernement proposera les réponses pour les handicaps lourds, mais en même temps, il espère que la scolarisation des enfants fera se développer les Services d’éducation spécialisée et de soins à domicile (SESSAD) et “videra” aussi en partie les instituts spécialisés.

S. L.

(*) Sociologue, actuellement directeur du CEDIAS (Centre d’études, de documentation, d’information et d’action sociales) et délégué régional de l’ANCREAI (Agence nationale des centres régionaux pour l’enfance et l’adolescence inadaptées) Île-de-France. Auteur de “L’Observation médico-sociale” chez ENSP éditions et “Classer les exclus” chez Dunod, il vient de publier avec Carole, peintre, toujours chez Dunod, “Évaluer les besoins des personnes en action sociale”. Il participe activement aux groupes de travail préparant la loi sur l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées. Il intervient et collabore régulièrement avec l’IRTS Réunion dans le cadre des missions CREAI (Centres régionaux pour l’enfance et l’adolescence inadaptées).


Nouvelle parution de l’O.D.R. : “Vivre avec son handicap”

Intégration des handicapés : une évolution difficile des mentalités

Les personnes handicapées étaient au cœur de l’actualité en 2004 : l’année européenne du handicap, la semaine pour l’emploi des personnes handicapées, la loi relative à l’égalité des droits et des chances, participation et citoyenneté des personnes handicapées...
Pourtant, presque trente ans après la loi d’orientation du 30 juin 1975, fixant l’intégration des personnes handicapées comme obligation nationale et reposant sur la notion de solidarité, les personnes handicapées rencontrées pour cette étude pensent que la logique même d’intégration n’est pas encore effective.

Tout d’abord, l’évolution du regard que portent les personnes valides sur les personnes handicapées fait encore partie des principaux changements souhaités pour améliorer leurs conditions de vie. Même si des changements sont constatés, il faudra encore beaucoup de communication autour du handicap pour faire évoluer les mentalités.
L’accessibilité de la cité reste encore trop souvent illusoire, dans la mesure où les personnes dont le handicap réduit la mobilité ne peuvent pas encore se déplacer dans les lieux de vie et utiliser les transports en toute autonomie.
Les taux d’emploi des personnes handicapées sont faibles et l’insertion professionnelle encore difficile. Les personnes interrogées évoquent les réactions de rejet de certaines entreprises, mais espèrent changer leur regard, à travers notamment des rencontres telles que la semaine de l’emploi des personnes handicapées et par le biais de l’affirmation de leurs compétences et réussites.
Enfin, les dispositifs d’aides financières des personnes handicapées, même s’ils sont jugés nécessaires par l’ensemble des personnes rencontrées, font l’objet de plusieurs réserves. Certains évoquent les difficultés financières qu’éprouvent les personnes handicapées à vivre des minima sociaux qui leur sont attribués, d’autres encore pensent que les situations de handicap sont tellement diverses, qu’une attribution personnalisée des aides devrait s’imposer. D’autre part, une partie des personnes rencontrées souhaiterait une implication des personnes handicapées dans les décisions prises à leur sujet.

Source : Observatoire du développement de La Réunion


Signaler un contenu

Un message, un commentaire ?


Témoignages - 80e année


+ Lus