Laurent Médéa : témoignage sur la violence

’Les remèdes sont les choix des décideurs politiques au niveau local et de l’administration publique au niveau de l’État’

22 septembre 2006

Laurent Médéa porte son regard de sociologue sur la violence au sein de la société réunionnaise. Il explique notamment le rôle joué par les médias.

Au quotidien, des images de menaces, de coups, de meurtres, de viols, de tortures, d’humiliations... sont déversées sur les gens. Quelles sont, d’après vous, les conséquences d’une telle pollution mentale sur soi-même ? Sur la famille ? Sur la compagne, le compagnon ? Sur les jeunes ?
Laurent Médéa : C’est une question que toute la société doit en effet se poser, y compris et peut-être en premier lieu, les médias que vous êtes. L’image violente (catastrophe, drame), qu’elle vienne de l’actualité ou de la télé réalité, est “vendeuse” car elle fait monter l’audimat. La violence médiatique est donc de plus en plus répandue et il faut dès lors se soucier de son impact.
Le principal danger vient de cette profusion d’images violentes (TV, Internet, téléphones portables avec le “happy slapping”) qui conduit à la banalisation. Ce qui se traduit par une habitude de violence qui la rend supportable à l’écran et dont indirectement moins grave.
D’autre part, le fait de filmer une action violente et de la diffuser en fait un véritable spectacle, ce qui lui donne une autre dimension, terrifiante. Au-delà de cette avalanche d’images violentes, ce sont toutes les représentations véhiculées par le culte de la consommation qui me semblent également préoccupantes. Nous vivons désormais dans une société de consommation de biens et de surconsommation de médias. L’un nourrissant l’autre et réciproquement : on consomme toujours plus, y compris des médias, qui eux-mêmes jouent le jeu de la consommation à outrance. On n’achète plus par besoin mais pour paraître.
Et lorsqu’on n’a pas les moyens de se procurer tel ou tel bien, naît alors un mécanisme de frustration sociale et psychologique. Pour exister et être reconnu dans l’espace public, il faut rouler dans une grosse voiture, vivre dans une belle maison, s’afficher avec de beaux bijoux et vêtements, etc... Ceux qui n’y ont pas accès peuvent être conduits au vol, y compris avec violence. En même temps, je constate à l’occasion de mon travail de terrain, dans les quartiers dits populaires et difficiles, l’augmentation criante des inégalités sociales, financières, éducatives, etc.
On peut considérer que l’idéologie de la société de consommation et son vecteur, la publicité (exemple : le Mondial) ont contribué indirectement et structurellement à l’augmentation des comportements déviants depuis une dizaine d’année. Aujourd’hui, cette “pollution mentale” qui attise les frustrations sociales en vantant un bonheur uniquement matériel, explique en partie la souffrance de la société réunionnaise. La question que l’on doit désormais se poser est la suivante : quel avenir propose-t-on à la jeunesse réunionnaise à La Réunion ?

Est-ce que cela a des effets sur le travail ?
- La profusion d’images a peut-être moins d’impact sur les personnes ayant une situation sociale stable, mais elle en a beaucoup sur les enfants et les adolescents.

Est-ce que l’impact est différent dans un milieu aisé et un milieu défavorisé ?
- Je pense que l’impact est différent, mais je ne peux pas me prononcer sur la question car je n’ai pas étudié cette problématique à La Réunion.

L’Homme à La Réunion est-il plus violent que celui de métropole ?
- Je ne crois pas qu’on puisse affirmer scientifiquement que l’Homme est plus violent dans telle ou telle société. Là encore, je conseillerai d’analyser la médiatisation des phénomènes de violence, qui conduit à de nombreuses dérives notamment à déformer la réalité. Dans un autre domaine, l’actuelle sur-médiatisation du Mondial de foot, jamais égalée dans le passé à mon avis, est révélatrice. La Réunion est matraquée par ce sujet, peut-on pour autant dire qu’à La Réunion, on est plus footballeur ou sportif qu’ailleurs ? Je ne le crois pas. La médiatisation d’un sujet ou d’un événement est une manière virtuelle de consommer...
Au sujet de la Coupe du Monde, on choisit de quoi on parle, les médias évitent par exemple de parler de l’exploitation sexuelle des prostituées autour des matches en Allemagne... Car le sujet est beaucoup moins vendeur.
Pour revenir à La Réunion, ce que l’on peut constater de manière tangible, en s’appuyant sur des statistiques officielles, c’est qu’un grand nombre d’hommes, de femmes et de familles vivent dans la précarité, et en proportion, plus que sur le territoire hexagonal. Un grand nombre de Réunionnais vivent en dessous du seuil de pauvreté établi au niveau national. Lorsque l’on s’intéresse aux quartiers populaires et très difficiles, on frôle les 80% de chômage selon l’INSEE. Le travail et l’activité quotidienne restent pour l’instant les seuls moyens pour ne pas tomber dans le désespoir, l’oisiveté et la dépression. On comprend alors que l’inactivité entraîne une perte du sens de la valeur du travail et parallèlement rend difficile l’acquisition de biens nécessaire à l’épanouissement des individus. Tout cela alimente le mécanisme de frustration socio-psychologique expliquée plus haut.

Selon vous, existe-t-il des remèdes à la violence ?
- Je suis sociologue. La sociologie est un outil pour étudier le phénomène de violence ainsi que tous les processus qui amènent à la déviance et aux comportements anti-sociaux des sujets réunionnais. Je me limite à expliquer les phénomènes sociaux. Je me cantonne à analyser et à essayer d’expliquer la situation sociale, mais surtout à éclairer les décideurs locaux concernant la violence juvénile. Les remèdes sont les choix des décideurs politiques au niveau local et de l’administration publique au niveau de l’État. Mon statut et ma position actuels ne me permettent pas de dire s’il existe des solutions ou pas. Ce n’est pas à moi de “moraliser” le débat, en distribuant les bons ou mauvais points concernant telle ou telle mesure car je souhaite rester objectif et ne pas orienter mes réflexions scientifiques et sociologiques.

Entretien : Jean-Fabrice Nativel


Signaler un contenu

Un message, un commentaire ?


Témoignages - 80e année


+ Lus