Un entretien avec Marc Kichenapanaïdou sur les violences policières contre nos compatriotes émigrés

Patrick, Jean-Luc, Asif... : victimes du racisme institutionnel

10 juin 2004

En un mois, deux Réunionnais ont été victimes de violences policières en France. Tous deux ont été marqués dans leur chair et leur âme. Particulièrement Jean-Luc Fatol, dont le cancer est au stade final et qui serait au plus mal. Racisme institutionnel, délit de “sale gueule’’, qui se cumule avec le racisme “ordinaire’’ dont a été victime une jeune fille qui, agressée dans le métro parisien, est rentrée dans son île en abandonnant tout.
Et puis il y a également le cas de ce Dionysien emprisonné pendant cinq mois aux États-Unis après les attentats du 11 septembre 2001. La malchance d’avoir été là au mauvais moment avec un nom à consonance arabe. Des hommes et des femmes victimes, au moins pour trois d’entre eux, d’une mondialisation sécuritaire. D’une politique sécuritaire dénoncée en France dans le rapport de la commission nationale de déontologie de la sécurité, qui s’inquiète de la recrudescence des bavures policières.
Nous publions ci-après un entretien avec Marc Kichenapanaïdou, responsable du Comité d’Outre-mer contre le racisme créé pour venir en aide à Patrick Marouvin, et qui a depuis élargi son action.

“Témoignages” : Deux bavures policières touchant des Réunionnais en l’espace d’un mois, cela fait un peu beaucoup...

- Marc Kichenapanaïdou : Le Comité d’Outre-mer contre le racisme a été créé pour venir en aide à Patrick Marouvin. Un Saint-Paulois qui a connu une vie difficile avant de devenir steward à la British Airways. Il vient à Paris pour accompagner une amie. Il traverse en dehors des clous et il est alors tutoyé, insulté et tabassé par des policiers. Des coups dont il gardera peut-être des séquelles. Alors qu’il n’a pas de protection sociale.
Une semaine après la constitution du comité, c’est le tour de Jean-Luc Fatol. De sa fenêtre, il voit son fils de seize ans interpellé par la police. Il descend et là, alors qu’il est en phase terminale du cancer et donc très diminué, il est tabassé par les policiers. À la suite de ces coups, il est transporté à l’hôpital. Sa femme affirme haut et fort qu’elle va porter plainte, pour défendre l’honneur de son mari.

On parle d’un troisième cas...

- Il ne s’agit pas d’une bavure policière. C’est une jeune femme qui a rencontré beaucoup de difficultés, malgré ses diplômes, pour trouver du travail. Dans le métro, des jeunes qui l’ont prise pour une Maghrébine, l’ont tabassée. Choquée la jeune femme qui tient à garder l’anonymat a été prendre un billet de retour pour La Réunion, abandonnant sur le champ son travail et toutes ses affaires.

C’est très inquiétant...

- D’autant qu’à notre avis il ne s’agit pas de cas isolés. Ici, nous vivons sur un petit nuage. Il n’y a pas vraiment de problèmes, bien qu’il existe quelques cas de racisme. Là-bas, les Réunionnais sont confrontés au racisme et trop souvent, ils ont honte d’en parler.

Dans le cas de Patrick Marouvin et de Jean-Luc Fatol, il s’agit de racisme institutionnel...

- Le Comité d’Outre-mer contre le racisme est là pour dénoncer ces bavures. Quand je pense qu’un syndicat de policiers a osé déclarer que Jean-Luc Fatol s’était rebellé... Comment un homme dans son état, squelettique, a-t-il pu se rebeller ? Nous voulons que l’on respecte notre identité. La police est nécessaire. Mais elle ne doit pas se substituer à la Justice. Et c’est ce qu’elle a fait. Ces policiers qui sont toujours en liberté se sont érigés en juges.

Qu’attendez-vous des hommes politiques réunionnais ?

- Nous attendons qu’ils prennent en compte ce phénomène du racisme. On travaille sur la mobilité. Mais il faut au départ prévenir nos jeunes qu’ils vont être confrontés au racisme. Les hommes politiques réunionnais n’ont pas pris en compte ce phénomène du racisme.

Comment allez-vous agir ?

- Teddy Soret (conseiller général) et Jocelyne Lauret (conseillère régionale) devraient déposer une motion respectivement au Département et à la Région Réunion. Nous allons écrire aux parlementaires de La Réunion en leur demandant de poser des questions écrites et orales.
Nous expédions ce jour une lettre à Dominique de Villepin, ministre de l’Intérieur, en lui demandant de “faire le ménage’’ et de téléphoner à Patrick et à Jean-Luc comme il a téléphoné à deux jeunes Français de confessions juive et musulmane qui avaient été agressés. Il existe un racisme dans les services de l’État et les gouvernements successifs n’ont pas “fait le ménage’’.
Ce ne sont pas seulement les bavures policières que nous mettons en cause, mais aussi les cas de discrimination à l’embauche, les cas de harcèlement dans les entreprises. Ce n’est pas la couleur de la peau qui doit être prise en cause, mais le savoir-faire, l’intelligence...

N’y aurait-il pas une action de sensibilisation à mener ?

- Nous allons demander un rendez-vous au recteur de l’Académie de La Réunion et nous allons saisir le ministre de l’Éducation nationale pour que l’on parle du racisme dans les écoles dès la maternelle. Cela doit être un travail de tous les jours.

Le Comité va-t-il également se saisir du cas d’Asif Safi emprisonné cinq mois aux États-Unis après le 11 septembre 2001 ?

- Nous sommes sensibles au cas de cet homme qui a été enfermé sans raison. Mais nous ne pourrons pas tout faire et une organisation s’occupe déjà de lui. Par contre l’histoire de cette jeune Comorienne arrêtée à la frontière et renvoyée à La Réunion au prétexte que son passeport était falsifié nous intéresse. Notre Histoire nous amène à lutter contre ces inscriptions que l’on a vu sur les murs : “zorèy déor’’, “Komor déor’’, “Malgaches déor’’.

Patrick, Jean-Luc, Asif... ne sont-ils pas des victimes de la mondialisation sécuritaire ?

- C’est tout à fait vrai. Nous vivons dans un monde qui repousse les exclus qui se trouvent en Afrique, en Amérique du Sud... Nous vivons dans un monde qui interdit toute dignité aux exclus.

Propos recueillis par Lilian M. 


Réaction des élus

Le Conseil général : Protéger les Réunionnais émigrés contre le racisme

Réunis hier en Commission permanente, le Conseil général a adopté la motion du “Comité Outre-mer contre le racisme” que nous reproduisons ci-après.

- Considérant que les Réunionnais quittent de plus en plus leur île pour travailler ou pour poursuivre leurs études sur le sol métropolitain et pourraient faire l’objet d’agressions racistes voire de bavures politiques ;

- Considérant que le “Comité Outre-mer contre le racisme” a eu à déplorer trois cas récemment :
o Patrick Marouvin a été victime de violences policières dans la nuit du 9 au 10 mai 2004 à Paris. Il y a eu clairement un délit de faciès. Il a reçu des coups de genou dans les testicules. Il a du subir une intervention chirurgicale. De graves séquelles sont à craindre.
o Lundi 31 mai, Jean-Luc Fatol, un Réunionnais vivant à Meulan dans les Yvelines, 40 ans, en phase terminale d’un cancer, voit de sa fenêtre son fils bousculé par des policiers. Péniblement, il descend de son appartement, et s’interpose. Il est tabassé et envoyé à l’hôpital. Il attend la mort. Sa femme a porté plainte et annoncé qu’elle défendra l’honneur de son mari "même après la mort".
o Une Réunionnaise de Saint-Paul, d’origine indienne (malbar), agressée constamment dans le métro, dans son quartier, où elle est prise pour une maghrébine, décide de tout quitter et de retourner dans son île le 3 juin 2004.

- Considérant que les Réunionnais sont agressés ;

La Commission permanente du Conseil général

- demande aux pouvoirs publics de rappeler aux forces de l’ordre, dans le cadre de leur fonction, les règles minimales de respect des citoyens quelque soit leur origine ;

- demande que la police se doit de protéger l’ensemble des citoyens, y compris les ressortissants d’Outre-mer, contre le racisme.


Signaler un contenu

Un message, un commentaire ?


Témoignages - 80e année


+ Lus