60ème anniversaire du droit de vote des femmes à La Réunion

Première à voter, première à être élue

22 avril 2005

L’ordonnance du 21 avril 1944 promulguée à Alger est à l’origine du vote des femmes en France. À La Réunion, grâce à l’ordonnance du 20 novembre 1944, les femmes ont voté pour la première fois le 27 mai 1945. Une date dont Éloïse Lépinay et Pauline Latchoumaya se souviennent particulièrement, l’une d’entre elle a été élue au Conseil municipal de Saint-Paul en 1945.

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Pauline Latchoumaya se souvient : "il y avait des réunions devant la gare du Port, au foyer des dockers ou près de l’abattoir. Souvent il y avait plus de femmes que d’hommes". Elle confie sa joie : "c’était très agréable d’aller voter. Tout le monde était content de gagner le droit de vote", se rappelle encore : "il y avait des bureaux de femmes et des bureaux d’hommes. Les hommes votaient à la Mairie et les femmes à l’école".

Mémoire

Dans la salle du local de Saint-Paul de l’Union des femmes réunionnaises, les souvenirs en appellent d’autres, comme celui d’Ida Latchimy : "les travailleurs devaient faire un vote franc devant les employeurs".
Toutes vont évoquer la violence et la répression, particulièrement celle de l’Église, mais aussi les menaces, les coups, les distributions de riz et de morue.
Parmi les candidates, les femmes étaient reconnues à travers leur mari, seules les demoiselles portaient leur nom de jeune fille. Éloïse Lépinay était donc madame Joseph Lépinay, elle a été l’une des élues cette année-là à Saint-Paul... Elle évoque une réunion politique à la Plaine Bois-de-Nèfles, qui n’était que quelques petites maisons autour d’une boutique et de la poste : "Autrefois, il n’y avait pas besoin de haut-parleurs, de voitures avec affiches pour faire le tour de la ville, on a klaxonné deux ou trois coups et tout le monde est venu. Il y avait foule. Pas de bataille, pas de dispute". Dans le bureau de vote dont elle était présidente, un notable de Saint-Paul a voulu saisir l’urne, et pour l’en empêcher, elle s’est assisse dessus. Elle l’a fait expulser, et il lui a tenu rancœur jusqu’à sa mort, n’acceptant pas, ne comprenant pas qu’une femme ait pu l’expulser.
Éloïse Lépinay évoque aussi des souvenirs douloureux : "J’ai descendu le perron de la Mairie sans toucher les marches. Mon mari a été battu par un CRS, pilé sous ses pieds, et c’est lui qui a été accusé de coups et blessures. Les curés ont tout dérangé dans le vote. L’un d’eux a demandé aux gendarmes de me mettre à la porte de l’église. Moi j’ai dit : “s’il vient me prendre, je sortirais dans sa soutane”. Aujourd’hui les temps ont changé".
Les femmes dans la salle ajoutent encore que les curés refusaient parrains ou marraines qui ne votaient pas selon leurs préconisations. Un exemple nous a marqué : "à la confession, le curé demandait si on recevait le journal “Témoignages”, si vous aviez dit “oui”, vous n’aviez pas l’absolution".

La lutte continue

Malgré cela, des femmes ont été élues au Port comme Delfa Paulina, Simone Morin, Louis Balbine. Deux ou trois femmes sont élues dans plusieurs communes de l’île. À la Plaine des Palmistes, c’est une femme qui a obtenu le plus de voix, mais elle ne sera pas maire. "Il n’y a pas eu la peur de voter pour des femmes", commente Huguette Bello, "ça fait 60 ans que les Réunionnaises votent, c’est pour cela que le 29 mai elles doivent aller voter, le jour de la fête des mères, justement". Le référendum sur le Traité constitutionnel européen fête en effet à 4 jours près le 60ème anniversaire du droit de vote des femmes à La Réunion.
Le 25 mai 1945, pour la première fois, on compte 38 femmes réunionnaises sur 649 élus (3%) et 2 femmes conseillères générales. Le 21 octobre 1945, pour la première fois, La Réunion a deux députés, Raymond Vergès et Léon Lepervenche. L’assemblée compte alors 33 femmes sur 586 parlementaires. Un chiffre qui a doublé, mais qui reste en deçà de la parité aujourd’hui.
Huguette Bello explique ce retard : "La France a pris du temps à prendre en compte la dualité de l’humanité. La France de l’époque est misogyne, traditionaliste et conservatrice. Les Françaises sont parmi les dernières femmes du monde occidental à obtenir le droit de vote. Les premières sont les femmes du Wyoming, État américain, en 1869, viennent ensuite les Néo-Zélandaises en 1895, l’Australie en 1902... Et la Turquie l’obtient avant nous en 1934". Il y eut pourtant de grands espoirs... "Le Pape Benoît XV fit grande impression le 15 juillet 1919 en se prononçant favorablement sur le vote des femmes. La même année, le Parlement français, qui était de couleur bleu horizon, vote aussi favorablement mais le Sénat fait obstruction". Et des régressions... "La femme votait depuis le 16ème siècle en Corse jusqu’à ce qu’elle soit conquise par la France". Pour la député réunionnaise : "Il a fallu un siècle de haine et de mépris depuis l’instauration du suffrage universel pour l’égalité homme femme devant le vote. Aujourd’hui encore, il y a une crispation quand un statut équivalent aux hommes est concédé aux femmes. Lorsque ce pas est fait".
L’UFR veut faire vivre cette mémoire, rendre hommage aux femmes, pionnières du droit de vote, qui ont combattu et qui sont des phares. Mais l’égalité, ou la parité, ce n’est pas encore pour demain.

Eiffel


Élections municipales du 27 mai 1945

Dans la misère la plus grande, voter

L’année 1945 est importante car c’est l’année du tout premier vote des femmes réunionnaises, à l’occasion des élections municipales dont le premier tour a eu lieu le 27 mai 1945.
Graziella Leveneur rappelait hier le contexte dans lequel a eu lieu ce premier vote intervenu peu de temps après le passage d’un cyclone dévastateur, après les années d’emprises du régime de Vichy, les années de blocus et de guerre et après 10 ans sans vote.

Cyclone dévastateur

Tout d’abord prévues pour le 6 mai, les élections furent reportées à cause du cyclone des 6 et 7 avril 1945 qui a fait 13 morts, a détruit les récoles à 50% (alors que 65% de la population vivaient de l’agriculture) et a empêché la circulation pendant plusieurs semaines.

Régime de Vichy

Depuis 1940, la colonie Réunion est sous l’autorité de Pierre Aubert. Le gouverneur redéfinit les pouvoirs publics. À La Réunion, les maires sont désormais nommés. L’ordre moral entre dans les écoles. La Presse est censurée, l’obéissance est imposée.
Le 28 novembre 1942, le contre-torpilleur, “Le Léopard”, se positionne devant Saint-Denis. André Capagorry obtient la capitulation de Pierre Aubert au bout de 3 jours. La population a faim. Le nouveau gouverneur, André Capagorry, donne mission au Léopard de ravitailler en riz La Réunion.

Guerre et blocus

La Réunion à la fin de la Seconde guerre mondiale est une île coloniale sous-développée et épuisée par le blocus maritime et ses conséquences sur les conditions de vie : restrictions et dénuement. Survivre ! C’est le lot quotidien. La situation sanitaire est catastrophique. Le taux de mortalité infantile en forte augmentation. La situation économique est aussi catastrophique. La Seconde guerre mondiale réduit les Réunionnais à la misère la plus grande.

Après 10 ans sans aucun vote

Ce vote est un retour de la démocratie et de la citoyenneté. Pour la première fois depuis 1936, les Réunionais-es votent. L’article 6 de l’ordonnance du 20 novembre 1944 porte adaptation aux territoires relevant du Ministère des Colonies des dispositions de l’ordonnance du 21 avril 1944 sur l’organisation des pouvoirs publics en France après la Libération et accorde aux femmes le droit de vote.

Huguette Bello

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