Chantage au titre de séjour

Que faire ? Déjà, en parler

29 juin 2006

Il est trop de malversations dont sont victimes les femmes et dont on ne parle pas. On sait, on déplore, mais on se tait car que faire ? Que faire pour protéger ces femmes, comme Amina et Manian, sans qu’elles ne soient menacées d’expulsion ? Que faire pour réagir, dénoncer ces pratiques qui portent atteinte à la dignité, sans s’ingérer dans la vie d’autrui, entraver la liberté individuelle ? Que faire pour punir les auteurs de ce marché de femmes soumises ? Que faire pour que chaque femme vivant sur le territoire français puisse être protégée de la même façon quelles que soient ses origines et ses choix ? Qu’elle puisse bénéficier de la solidarité nationale, du regard bienveillant des autorités qui lui permettront de se reconstruire, d’avoir une autre image de la France ? Que faire ? Ce sont des choix, des délibérations à partir de dossiers, d’éléments administratifs, qui décideront de leur sort. Sans remettre en cause l’humanité des autorités qui ont le pouvoir de choisir, remettons peut-être en cause les effets pervers du système dont certains Français se jouent pour menacer, violenter, soumettre. Que faire ? Peut-être déjà en parler.

S. L.

Réactions

o Herivelona Andriamiaranjato, vice-consul de Madagascar

"Le consulat ne peut plus rien faire"

Le Consulat général de Madagascar installé à La Réunion est intervenu pour permettre à Manian Bibi Roukhaya de bénéficier d’une prolongation de 4 mois de son titre de séjour. Dès lors, face à l’avis d’expulsion, il ne peut plus intercéder. "Le consulat ne peut plus rien faire sauf conseiller à madame Manian Bibi Roukhaya un recours au tribunal et lui indiquer un avocat", explique Herivelona Andriamiaranjato, vice-consul. Mais deux avocats ont déjà refusé de défendre son "cas difficile". Attendu que la procédure de divorce est en cours, que Manian n’a pas d’enfant, pas de travail, "il n’y a pas de raison valable de la défendre", rapporte le vice-consul. Pour trouver un avocat prêt à la défendre, Manian s’est ainsi dirigée vers le Collectif Les Manguiers. De son côté, le Consulat estime avoir utilisé tous ses recours. "Quand il peut défendre ses ressortissants, le Consulat général de Madagascar le fait, dans la limite des réglementations des pays de juridiction." Si Herivelona Andriamiaranjato comprend parfaitement la situation délicate dans laquelle se retrouve aujourd’hui Manian, il parle de "plusieurs cas identiques" déjà soumis pour la même raison à des avis d’expulsion. Attendu que l’on touche à la sphère privée, à la liberté individuelle, à la responsabilité de la femme qui "est libre de choisir l’homme qu’elle aime, pour le vice-consul, on ne peut pas défendre une femme de suivre un homme", mais juste informer les ressortissantes des procédures à engager. Chaque fois que des autorités compétentes du gouvernement malgache se déplacent à La Réunion, le vice-consul soutient qu’elles sont informées de ces cas afin "de prendre des solutions appropriées." Des plaquettes d’information sont disponibles dans les avions, les hôtels pour rappeler que le tourisme sexuel, le proxénétisme, ou encore la pédophilie sont interdits. La police et la sécurité publique auraient mis en place "des mesures draconiennes pour lutter" contre ces pratiques. Mais force est d’admettre que "l’on ne peut pas tout contrôler."

o Monique Couderc, membre de la CGTR

"Je suis prête à m’investir"

J’ai vu plusieurs femmes dans le même cas que Manian qui se plaignent mais n’osent pas parler, se retrouvent en situation de faiblesse. Elles restent dans le silence, ne connaissent pas leur droit, ne savent pas où trouver des soutiens. Il faudrait parvenir à collectivement impulser une dynamique de solidarité pour ces femmes maltraitées et qui craignent en plus le sentiment de rejet de la population réunionnaise à leur égard. Il y a aussi le tourisme sexuel, la prostitution forcée, le racket... Comment aborder toutes ces questions douloureuses sans prêter le flambeau à des attitudes de rejet ? Je suis extrêmement touchée et je suis prête à m’investir pour les soutenir.

o Jean-Hugues Savigny, membre du mouvement d’idées Pour la République Sociale (PRS)

"C’est à la sphère publique de s’ingérer"

Tout ce qui touche à la dignité de la personne me heurte. Puisque la politique de l’immigration prévoit aussi un traitement au cas par cas, dès qu’on est livré à un choix, il y a un problème de conscience face à la décision. Pour ma part, si ma conscience condamne, j’estime avoir une obligation de désobéissance et je rejoins en ce sens le Réseau Education Sans Frontières qui veut protéger les enfants scolarisés en France de l’expulsion. On ne peut accepter cette logique d’immigration choisie, cette politique fondée sur des effets de manche. On veut s’efforcer de gérer le cours terme, dans une logique comptable mais la France, tout comme l’Allemagne d’ailleurs, au vu ses changements démographiques, a absolument besoin de l’immigration. C’est une aberration de vouloir gérer les choses à court terme pour l’électorat. Je m’indigne contre ça. C’est à la sphère publique de s’ingérer. L’individualisme grandissant remodèle notre société. Il faut éduquer à tous les âges, tous les niveaux en permanence.

o Isnelle Goulgart, vice-présidente de la Ligue des Droits de l’Homme

"Je n’ose imaginer (leur) calvaire"

Nous luttons toujours à la LDH sur le problème des visas et de l’obtention de papiers. Un cas s’est une fois directement adressé à nous, mais la peur de perdre ses enfants, d’être expulsée, les menaces continuelles l’ont dissuadée de poursuivre. En tant que membre de la Commission Départementale de lutte contre les Violences, nous sommes rarement, pour ne pas dire presque jamais confrontés à ces cas de femmes étrangères victimes de violences. Depuis que le 115 existe, numéro vert qui a reçu plus de 2.000 appels rien qu’en Juillet l’année dernière, on constate que les femmes commencent à parler et c’est tant mieux. Et je n’ose imaginer le calvaire que doivent vivre celles menacées de perdre leur titre de séjour qui ont peur de porter plainte. Peut-être faudrait-il déjà informer ces femmes des circulaires qui existent et qui stipulent que le préfet peut accorder un renouvellement du titre de séjour de façon exceptionnelle, au regard des éléments du dossier, des rapports de police, sociaux, des témoignages, etc. Mais effectivement, on ne peut pas donner l’assurance que le titre sera renouvelé.


Problèmes de papiers pour la communauté mahoraise

La député Huguette Bello s’est rendue mardi à la préfecture pour tenter de dénouer le problème des papiers de séjours de plusieurs ressortissants de la communauté mahoraise du Port dont la mise à jour est rendue difficile suite à la mise en place d’un nouveau texte législatif relatif à l’État civil à Mayotte. Ainsi certains Mahorais qui avaient pris des billets d’avion, non modifiables et non remboursables, pour retourner passer quelques jours à Mayotte sont très ennuyés. Pour ceux qui possèdent un récipicé de dossier, qui sont nés à La Réunion, un compromis a pu être trouvé avec la Préfecture, mais les démarches restent très longues.


"On ne peut rien, c’est là la difficulté"

Même si l’ARAJUFA (Association Réunionnaise d’Aide Juridique aux Familles et aux victimes) n’est pas le premier interlocuteur de ces cas précis de femmes des îles voisines, mariées à des Français et victimes de chantage aux papiers, il lui a déjà été donné d’en accueillir pour les guider vers les professionnels susceptibles d’assurer leur défense. "Ça existe, confirme Laurence Wartel, présidente de l’association. On a eu quelques cas orientés vers les tribunaux, mais les textes existants ne leur permettent pas de rester sur le territoire." De plus, ces femmes ont beaucoup de réticence et de difficultés à dénoncer les violences, les abus dont elles sont victimes car sans nationalité française le risque de l’expulsion est trop grand. "On ne peut rien, c’est là la difficulté. Il nous est difficile de préjuger à l’avance de l’appréciation qui sera faite de leur situation par les autorités."

Commentaire

Se taire, c’est cautionner

Derrière les drames humains, il y a des pratiques. Être solidaire des victimes comme Amina ou Manian ne doit pas occulter la dénonciation des faits, des abus et la sanction à infliger à ses auteurs. Les Réunionnaises commencent à peine à dénoncer les violences intra-familiales dont elles sont victimes. La honte, la peur des représailles, le sentiment de culpabilité sont des freins à leur expression, leur délivrance. Mais lorsque que l’on est ressortissante malgache, mauricienne ou comorienne, s’ajoute une autre menace : celle de l’expulsion. Comment protéger ces femmes ? La loi ne le permet pas, elle autorise selon les cas à la clémence. Mais en expulsant ces victimes ne donne-t-on pas raison à leurs bourreaux ? Ne cautionne-t-on pas ce marché de femmes soumises ? Puni-t-on la bonne personne ? Et je ne peux m’empêcher face à ces pratiques de penser au tourisme sexuel qui sévit à Madagascar. Secret de polichinelle. À ces très jeunes filles qui se prostituent pour nourrir le reste de la famille, qui dès qu’elles ont leurs menstruations, sont considérées comme commercialisables, car elle gagne plus en vendant leur corps que ce que la famille peut récolter en plusieurs mois de travail. Et je pense forcément à ces messieurs qui mènent une double vie entre ici et là-bas, qui partent en groupe pour soi-disant des parties de pêches ou de chasses. Mais il suffit d’aller à Madagascar, de croiser le regard de ces jeunes filles, encore fraîches, au bras d’un septuagénaire pour comprendre qu’elles n’ont pas le choix. A la majorité, pleine de crédulité, on les ramènent à La Réunion, soit en échange d’une dote à la famille, soit avec la promesse d’un envoi régulier d’argent. Là plus besoin de payer le billet pour aller à Madagascar, on importe le tourisme sexuel. Des preuves ? Difficile. Comment les faire témoigner sans peur des représailles des bourreaux et de la loi ? C’est choquant, cela dérange. Alors on en parle pas. Mais se taire, c’est cautionner.

S. L.


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