Après la diffusion de “L’Enfance volée des Réunionnais de la Creuse”

Réactions

14 octobre 2005

o Gélita Hoarau, Sénatrice de La Réunion

"Chaque Réunionnais devrait se sentir concerné"

"L’Enfance volée des Réunionnais de la Creuse", un documentaire d’une simplicité tant dans les mots que dans les images mais qui entraîne une émotion profonde qui prend tout votre être à témoin. Une émotion qui ne vous lâche pas, bien des heures après, qui remue vos entrailles car ces faits... c’était hier, c’est notre histoire très très récente !!! Moi qui suis de la génération de ces "enfants de la Creuse", je me souviens de la psychose de "l’auto rouge" envahissant les cases et les cours d’écoles : "l’auto rouge" enlevait les p’tits enfants. Sans trop comprendre ce qui se passait, la peur au ventre, il fallait être vigilant et fuir si par malheur on apercevait un véhicule semblable.
Avec l’émotion, les souvenirs, le recul, les questions se bousculent, l’indignation trouve place. Comment prétendre aider matériellement des êtres et causer autant de dégâts irréparables chez certains ? Quels sentiments animaient ces personnes qui ont décidé, mis en œuvre mais ne veulent pas aujourd’hui assumer cet acte de barbarie ? Se sentaient-elles supérieures à ces familles réunionnaises ? Ou bien venant d’ailleurs, elles avaient réponse à tout, au détriment de notre population ; attitude de supériorité qui remonte au peuplement du pays, j’ai envie de rajouter qui se poursuit encore aujourd’hui.
Je souhaite ici remercier le metteur en scène, Monsieur Gilles Amado pour cet excellent travail. Chaque Réunionnais devrait se sentir concerné et faire sienne cette histoire. Il y a un devoir d’histoire et un devoir de réparation qui s’imposent.

o Huguette Bello

"Un documentaire cruel et poignant"

Documentaire cruel et poignant, dans lequel il y a un mot qui revient sans cesse comme un leitmotiv dans la bouche des “enfants de la Creuse”, c’est le mot esclave. On était des esclaves, nous étions traités comme des esclaves. Et ce n’est en rien un hasard, une appréciation subjective. C’est bien en l’occurrence d’esclavage qu’il s’agit.
On a affaire, avec la reconstitution qui se fait au fil des témoignages, à une véritable traite comme au temps des négriers. Elle est dans le but poursuivi, elle est dans les actes accomplis, elle est dans les procédés utilisés par des auteurs de cette entreprise. Ce sont ces êtres humains qu’on pourchasse, qu’on rabat de par les rues, les chemins de terre et jusque dans les cours des cases.
Il y a l’auto rouge, dont on finit par avoir la phobie, avec à son bord l’assistante sociale, exécutrice des basses œuvres, et ses auxiliaires. Il y a même un village de notre île, Hell-Bourg en la circonstance qui sert pour ainsi dire de port de transit à la marchandise, et qui joue dans cette affaire le même rôle que jadis l’île de Gorée.
Mais ces bêtes qu’on capture, qu’on embarque à fin de livraison pour un lointain continent, ce sont des enfants, des enfants âgés de six à seize ans. Pas vrai qu’on leur donne à rêver d’Eldorado. Pas à six ou sept ans, non, pas en ce temps où la France ne disait rien à la plupart des gens d’ici.
Ils seront transbordés, transférés, déportés, bannis et proposés à la fin sur un marché où des preneurs à la recherche d’une main-d’œuvre gratuite sinon quelquefois de sujets sur lesquels assouvir des tendances au sadisme, viendront faire leur choix.
Et là encore, on entend ces “enfants de la Creuse” dire qu’ils n’ont pas eu d’enfance, dire qu’on a carbonisé leur innocence, exprimer la détresse atroce de leur âme.
Et ce qui révolte, ce sont ces bien-pensants venant suggérer que ces violences contre l’innocence, ces brutalités et ces viols relevaient peut-être après tout de bonnes intentions.
Avec nos prisons, on a eu droit dans nos murs à “la honte de la République”. Cette entreprise esclavagiste conçue et mise en œuvre par l’État français va, elle, marquer notre histoire au fer de l’abjection et de l’infamie.
Et qu’est-ce donc encore qu’on appelle vulgairement crimes contre l’humanité ?

o Mouvement de la gauche écologiste réunionnaise

"On ne peut plus nier qu’il y a eu crime d’État"

Le Mouvement de la Gauche écologiste réunionnaise (MGER), après la diffusion du reportage sur les Réunionnais de la Creuse le mercredi 12 octobre sur Télé Réunion, tient à exprimer son indignation devant le refus du gouvernement français de mettre en place une commission d’enquête parlementaire sur le sort qui a été réservé à ceux qui dans les années 60-70 ont été déportés pour repeupler les campagnes françaises.
Après ce reportage, on ne peut plus nier qu’il y a eu crime d’État et le MGER incite vivement les parlementaires réunionnais à s’emparer de cette affaire afin que les responsables rendent des comptes. Prochainement le ministre de l’Outre-mer va être en visite dans notre île, nous ne pouvons imaginer que les élus qui voudraient être reçus par le ministre pour aborder ce scandale ne le soient pas, alors que ce dernier reçoit une militante d’extrême droite notoire dans la personne de madame Brigitte Bardot pour une affaire qui n’en finit pas de déverser des tonnes d’inepties en France métropolitaine.
La Réunion doit exiger que justice soit faite à ces enfants, plus un seul responsable politique de passage dans notre département ne doit repartir sans s’être exprimé sur cette affaire d’état.

Guy Ratane Dufour,
Secrétaire général du MGER

o Priorité Socialiste Réunion

"Un reportage instructif"

Pour PSR (Priorité Socialiste Réunion), le reportage traitant des enfants de la Creuse est instructif à plus d’un titre :
- C’est en premier lieu une étape importante pour l’ensemble des victimes de ce dossier enfin reconnues comme telles et pour leur combat légitime.
- Ce documentaire pointe aussi un contexte particulier de misère et un comportement colonial qui a abusé de cette situation pour notamment décider de ce qui était bien pour le petit peuple.
- Il met aussi en évidence des responsabilités d’État évidentes, sans exonérer pour autant celles de fonctionnaires zélés et d’élus indignes.
- Cette histoire justifie une réflexion sérieuse sur les formes de réparation et de compensation à définir, qu’elles soient symboliques, morales, matérielles ou encore financières.
- Elle impose que l’histoire locale intègre cette blessure douloureuse pour informer, témoigner des responsabilités, réhabiliter ceux qui en ont souffert et surtout ne pas oublier.
PSR assure son soutien à l’ensemble des personnes touchées de près ou de loin par cette machiavélique opération de déportation opérée sous couvert de bons sentiments.

Pour PSR,
Daniel Cadet

o Danio Ricquebourg, responsable syndical (CGTR)

"Réyoné lété konsidéré komm zanimo"

Lontan, lété komnsa mèm : bann Réyoné lété konsidéré jïs kapab fé zanfan. Mé zot té pa kapab ginye lalokasyon pou édik le bann zanfan. Mi rapèl so tan-la troi zanfan sïr sink té i ariv pa troi zan, donk domoun té i fé bon pé zanfan. Bann Réyoné lété konsidéré komm zanimo. Sèlman le Réyoné-la, mèm misèr, li abandonn pa son zanfan. Tousala, sé akoz banna an frans té i vé pi travay la tèr. Sa lété pa pou le bann marmay, lété pa pou zot famiy. Tout domoun astèr i di “Amoin té i koné pa”... Mantèr sa !
Mi rapèl, moin té pti, lavé rienk la parti kominiss la dénonsé... et tout bann la droit té i tomn si bann kominiss, té i fé pèr domoun pou tak azot.

o Jean-Pierre Técher, directeur de “Agir contre le chômage” (CLE)

"Les autorités se renvoient la balle..."

Depuis que cette affaire est connue, j’ai des contacts avec certains de ses protagonistes.
Mais ce que j’ai vu mercredi était vraiment révoltant, surtout les propos de l’ancien responsable de la DRASS et de l’assistante sociale, dont le rôle était de protéger les enfants. Toutes les promesses faites aux familles se sont transformées en cauchemar. C’est terrible de se dire que cela a pu se passer au 20ème siècle : il n’y a pas un témoignage de réussite ou de fierté d’être parti.
Pendant une trentaine d’année, cette histoire a été étouffée, elle n’est pas parvenue aux Réunionnais. En la découvrant aujourd’hui, on ne peut qu’être ému et indigné à la fois.
L’attitude des autorités, qui aujourd’hui encore se renvoient la balle et refusent de reconnaître les torts subis, est elle aussi révoltante. Je pense que l’État sortirait grandi s’il reconnaissait que des abus ont été commis, qu’il y a eu des erreurs, des carences. Pourquoi faut-il attendre si longtemps une telle reconnaissance ? S’il admettait un dédommagement, même symbolique, cela apaiserait la rancœur des victimes. Ce serait une façon de dire que ce qu’elles ont subi n’est pas normal.
On ne peut aujourd’hui trouver quelque excuse que ce soit au pouvoir en place à l’époque et à ceux qui ont été ses complices. De tels témoignages sont insupportables à voir et à entendre.

o Laurent Cuissard, ouvrier portuaire

"Des contradictions flagrantes..."

C’est sidérant de voir comment des gens, aujourd’hui encore, acceptent ce qui s’est passé comme une “fatalité”. Je pense aux témoignages croisés de l’ancien employé du centre de Hell-Bourg et à un des anciens pensionnaires. Comment peuvent-ils dire ce qu’ils disent et coexister sans se mettre des pains dans la figure ?
Cela m’a fait penser à l’esclavage : pendant très longtemps on a été devant des discours contradictoires et on se demandait comment connaître la vérité. Il y a des contradictions flagrantes entre ce que disent l’ancien responsable de la DRASS et l’assistante sociale d’une part, et le récit de vie des enfants des années 60. Je pense qu’ils ont brisé les enfants en les envoyant à Hell-Bourg et le plus révoltant est qu’ils les ont brisés avec le concours de Réunionnais. Si on ne les avait pas brisés au départ, les enfants se seraient peut-être révoltés en arrivant là-bas.
Ensuite, cela pose un problème de reconnaissance. Dans une île où tout se sait, je pense que la caste au pouvoir devait être au courant. Qui est le plus grand responsable ? Michel Debré, qui s’est fait mousser avec cette initiative ou le responsable de la DRASS, qui l’a appliquée de façon inhumaine ? Une reconnaissance par l’État me paraît essentielle pour l’histoire de La Réunion. Et il faut en débattre, parce que si certains pensent que c’est en réouvrant des centres comme celui de l’APEP qu’on fera reculer la délinquance, ils se trompent lourdement. Les gens qui ont vécu cet exil devraient parler aux enfants dans les écoles et dire ce qui s’est vraiment passé.

o Jocelyn Flahaut, infirmier psychiatrique

Debré ou de force

Il s’en passait de drôles de choses à La Réunion au début des années 60.
L’émission “Les Enfants de la Creuse” diffusée hier soir sur Télé Réunion nous permet de voir ou de revoir pour les plus anciens un épisode tragique de la mobilité telle qu’on la concevait à l’époque. Disons le tout de suite : aucune sorte de prétextes ou de justifications qui pourra être avancée pour tenter d’expliquer ce qui s’est passé... ne passera.
En effet, le fait qu’Edmond Albius ait découvert la fécondation de la vanille ne justifiera pas et encore moins ne minimisera en aucune manière la traite négrière.
À la suite de ce documentaire, on ne voit pas ce qui peut sauver les auteurs de l’enlèvement (un vol même, témoignait un parent) de milliers d’enfants réunionnais d’une condamnation sans appel. Et comme bien souvent après le crime, les complices s’accusent et se renvoient la responsabilité. Même là, ce n’est pas moi, c’est l’autre !
Mais le pire, c’est d’oser soutenir, encore aujourd’hui, que c’était pour leur bien, que pour fuir des foyers dévoyés, passant outre l’avis des parents ou des familles, le ministère de l’Outre-mère a sciemment mis en acte la plus vaste entreprise de rapt d’enfants jamais organisée en France. Et il n’y a jamais eu de demande de rançon ! Pourquoi en faire d’ailleurs puisque "c’était pour leur bien", avait assuré le ministre, lequel, jaloux ou envieux de son médecin de frère pensait à la santé des enfants.
Il est même parvenu à faire une ordonnance dont un certain nombre de Réunionnais ont fait les frais, comme par hasard des progressistes et des communistes.
Le soin que prennent certains hommes politiques à s’occuper de la santé de leurs concitoyens a culminé récemment avec l’affaire A.D.N. (Acide DésoxyriboNucléïque) concernant la “mobilité” mahoraise / comorienne.
Il n’y a pas à dire, au Conseil général à 40 ans d’intervalle, ça creuse tellement qu’ils vont finir par toucher le fond. Gardons-nous de plonger avec eux.

o Clément Ah-Line, consultant

"Il faut tirer les leçons de cette triste histoire"

C’est une triste page de l’histoire réunionnaise. C’est un drame humain terrible que ces gens pris contre leur gré, d’après les récits qu’ils en font aujourd’hui. C’est inadmissible. C’est vrai aussi qu’on peut se demander si tous les enfants partis en France dans ces conditions ont vécu des choses aussi dures ? Je connaissais deux frères qui ont été des enfants de la Creuse, dont l’un est devenu ingénieur et l’autre, docteur en droit, s’est suicidé. Il y en a qui ont “réussi”, avec des séquelles. Ce qui est en cause dans cette triste histoire, c’est le tissu familial : ce sont toujours des enfants de familles très défavorisées qui ont été pris.
Cela partait peut-être d’un sentiment sincère, mais toujours avec cette façon de faire “à la française”, d’imposer aux gens les “bonnes” solutions. C’est comme dans l’histoire de la colonisation et la façon d’imposer “l’esprit de la République”. L’idée est peut-être noble, mais on s’y prend mal.
Aujourd’hui, il faut tirer les leçons de ce drame humain pour l’avenir. Il faut que la société réunionnaise et l’État français en tirent les leçons. Sinon, on va recommencer les mêmes erreurs.


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