Le Comité pour la Mémoire de l’esclavage au chef du gouvernement

Reconnaître une page honteuse de l’histoire de France

11 juillet 2005

Mardi dernier, “Témoignages” a rappelé que le 12 avril 2005, le Comité pour la Mémoire de l’esclavage a remis au chef du gouvernement un rapport proposant un programme d’actions afin que l’ensemble de la population française se sente concernée par la réparation de ce crime contre l’humanité que fut le système esclavagiste appliqué dans les colonies françaises.
Ce comité, présidé par l’écrivaine guadeloupéenne Maryse Condé, a notamment proposé à l’État de faire du 10 mai, date du vote de la loi française reconnaissant ce crime, une “Journée nationale des mémoires de la traite négrière, de l’esclavage et de leurs abolitions”. Depuis avril dernier, le gouvernement diffère sa décision au sujet du choix de cette date.
C’est pourquoi le Comité pour la Mémoire de l’esclavage a dit au nouveau ministre de l’Outre-mer son souci de voir une décision prise ’au plus vite’ afin que puisse être lancé son programme d’actions qui concerne l’ensemble de la société française. Afin de soutenir cette démarche, “Témoignages” compte publier de larges extraits de ce document très riches en informations et en réflexions sur notre passé. Voici pour commencer la lettre d’introduction au rapport adressée par Maryse Condé au chef du gouvernement. Les inter-titres sont de notre rédaction.

(page 5)

Monsieur le Premier ministre,
Le Comité pour la Mémoire de l’Esclavage, officiellement institué par le décret du 5 janvier 2004, et installé par la ministre de l’Outre-mer Brigitte Girardin le 8 avril 2004, a l’honneur de vous remettre son premier rapport.
Outre le bilan de ses activités, ce document présente des propositions et recommandations issues des apports de chacun de ses membres, enrichis par des consultations. Ces propositions sont de nature à faire en sorte que la mémoire partagée de l’esclavage devienne partie intégrante de la mémoire nationale.

Une forte attente

Nous avons ainsi consulté les représentants de l’outre-mer au Parlement, les élus des collectivités territoriales concernées, des associations ainsi que des personnalités qualifiées. Nous avons nourri notre réflexion de l’analyse des programmes et des manuels scolaires, d’un bilan des recherches sur la traite négrière, l’esclavage et leurs abolitions et d’une information sur ce qui était réalisé en matière de réparation historique et de création de lieux de mémoire dans des pays européens ayant aussi pratiqué la traite négrière.
De nos travaux, le constat suivant peut être établi : il existe une forte attente, au-delà de tous les clivages, pour un acte symbolique fort et pour des actions concrètes de la part des plus hautes autorités de la République française qui s’inscrivent dans l’esprit de la loi du 21 mai 2001.

Pour une plus grande intégration citoyenne

Cette attente s’explique par le fait que la très grande majorité de nos concitoyens du monde issu de l’esclavage sont convaincus que, malgré la loi du 21 mai 2001, l’histoire de la traite négrière, de l’esclavage et de leurs abolitions continue d’être largement ignorée, négligée, marginalisée. Ces concitoyens perçoivent cet état de fait comme un déni de leur propre existence et de leur intégration dans la République.
En tant que citoyens, ils demandent que soit reconnu un passé qui a modelé non seulement leurs sociétés, mais aussi la France dans son ensemble.
Conscientes de l’importance des questions abordées dans ce débat, les personnes rencontrées ont toutes souligné que cette reconnaissance devait se traduire, notamment, par un geste symbolique de l’État français et par la prise en compte à part entière de cette histoire, présentée comme un événement majeur de l’histoire de France, dans les programmes scolaires. Ces gestes contribueront à une plus grande intégration citoyenne.

Des actes forts

Cependant, nous avons aussi constaté une certaine polarisation autour des enjeux de la mémoire, une approche polémique du débat autour de la traite négrière, de l’esclavage et de leurs abolitions.
Cette polémique s’appuie sur ce sentiment largement partagé par nos concitoyens que leur histoire n’est pas “prise en compte”, que l’esclavage reste une question “mineure” dans l’histoire et la mémoire nationales.
Il ne s’agit pas de dramatiser, mais c’est le devoir de tous ceux qui exercent une responsabilité d’être clairvoyants. Ils doivent opposer à ces approches polémiques un discours sans ambiguïté et des actes forts qui manifestent la volonté de la République française d’aborder cette page honteuse de son histoire.

Une tâche à poursuivre

C’est en tenant compte de ces attentes que nous avons formulé les propositions qui figurent dans ce rapport et que nous allons vous présenter. Nous allons poursuivre notre tâche dans les quatre prochaines années. Nous voulons remercier le ministère de l’Outre-mer, qui nous a reçus et a toujours cherché à faciliter nos travaux.
Tous les membres du Comité ont conscience de l’extrême importance de leur mission et de l’opportunité qui leur est offerte. Je veux les remercier de leur dévouement et de leur compétence. C’est pour moi une grande fierté de présider ce comité.
Je tiens, Monsieur le Premier ministre, à l’issue de la première année de notre mission, à vous assurer de mon estime, et, au nom de tous les membres du Comité, à vous remercier de la confiance que vous nous avez manifestée.

Maryse Condé


Propositions du Comité pour la Mémoire de l’Esclavage

o Commémoration nationale de l’abolition de l’esclavage

- Le Comité propose au gouvernement de la République française la date du 10 mai comme jour de commémoration annuelle en France métropolitaine de l’abolition de l’esclavage.

- Il propose que ce jour soit dénommé “Journée des mémoires de la traite négrière, de l’esclavage et de leurs abolitions”.

- Le Comité préconise la mise en œuvre de cette commémoration dès le 10 mai 2005.

o Enseignement

- Insertion à une place significative dans les manuels scolaires à destination de la métropole de tous les aspects de l’esclavage et de la traite négrière ;

- Intégration des sujets liés à la traite négrière, à l’esclavage et à ses processus d’abolition dans les programmes de recrutement (CAPES et agrégation d’histoire-géographie, de lettres modernes ou de philosophie) ;

- Création d’un événement culturel au sein des établissements scolaires, suscitant des productions écrites ou orales, sur toutes formes de supports ;

- Création de documents d’accompagnement (recensement des sources et propositions de séquences pédagogiques) à l’usage des professeurs des écoles et des professeurs du secondaire ;

- Création d’une semaine d’actions de sensibilisation dans les établissements scolaires autour de la date de commémoration nationale de l’abolition de l’esclavage.

o Recherche

- Soutien au Prix de thèse “Mémoires de l’esclavage” ;

- Création d’un Centre national pour l’Histoire et la Mémoire de la traite négrière, de l’esclavage et leurs abolitions ;

- Création d’un laboratoire interuniversitaire de recherche comparative sur la traite négrière, l’esclavage et leurs abolitions.

o Culture

- Inventaire dans les collections nationales et régionales des objets relatifs à la traite négrière, à l’esclavage et à leurs abolitions, ainsi qu’un état présent des lieux, musées, monuments relatifs à la traite négrière, à l’esclavage et à leurs abolitions ;

- Soutien à l’initiative de la Direction des Archives de France de dresser l’inventaire national des archives relatives à la traite négrière, l’esclavage et leurs abolitions en vue de la publication d’un “Guide national” ;

- Intensification du programme national de collecte des archives privées relatives à la traite négrière, l’esclavage et leurs abolitions


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