Vie de couple

Réflexions de Pascale et Marie-Thérèse

31 mars 2009, par Jean Fabrice Nativel

Des femmes sont frappées — à mort —, menacées et tuées par leurs compagnons. Ce fait est universel. Elles dorment avec la peur. Peur d’être à nouveau rouées de coups au visage, à la tête, au ventre, avec les pieds, les mains ou des objets. Quand elle croit qu’il ne recommencera plus à la frapper — il a donné sa parole —, eh bien, il recommence pour un rien. De beaux et vains mots. Les femmes ne sont pas les seules à souffrir. Les enfants, parents, grands-parents et amis(es) aussi ! Parler de ce que l’on a vécu reste difficile, on culpabilise. Pourtant, les langues se délient car c’est un devoir de les sortir de cet enfer et de les ramener à une vie normale. À Pascale et Marie-Thérèse, nous leur avons demandé de partager leurs réflexions sur la vie de couple… Les voici.

« L’honnêteté, l’amour inconditionnel, l’idéal commun et le souci de la qualité »

Qu’attendez-vous d’une vie de couple ?
— Pascale
 : De l’amour, de l’attention, de l’écoute et du partage. Malheureusement, pour beaucoup de couples, ces valeurs ne sont partagées qu’au début de la relation. À mon avis, si elles demeurent, le couple peut s’épanouir et avancer sur des bases solides. D’ailleurs, je n’ai pas l’impression, en disant cela, d’attendre des choses extraordinaires : l’attention, l’écoute et le partage doivent être la base de toute relation amicale ou amoureuse. Comment envisager de partager une vie et un projet commun si ce socle n’existe pas ?
D’ailleurs, si les amoureux, les concubins et les époux voient que ce minimum n’existe pas ou plus, il ne faut pas avoir peur de poser les choses à plat, de voir quoi faire, et si rien ne marche, de mettre un terme à la relation.

— Marie-Thérèse : J’attends d’une vie de couple qu’elle soit basée sur l’honnêteté, l’amour inconditionnel, l’idéal commun et le souci de la qualité et même de l’amélioration quotidienne de la relation, comme de chacun. L’harmonie du cœur, de l’esprit, du corps et de l’âme est capitale pour moi dans le respect des différences, mais dans une vraie égalité de valeur humaine. Un soutien mutuel est également vital en cas de problèmes, petits ou grands.

« J’apprécie son honnêteté, ses attentions. Mi fé a li un béko »

Qu’attendez-vous de votre compagnon ?
— Pascale :
Avant d’attendre quelque chose de mon compagnon, j’ai envie de le remercier de ce qu’il est aujourd’hui. En fait, je retrouve chez lui les valeurs que j’ai citées. Il est plus ouvert que moi. J’apprécie sa disponibilité à m’écouter. Mais j’ai plus de difficultés que lui à parler ; j’ai besoin qu’il me propose de m’exprimer.
Toute relation demande de l’entretien comme une orchidée : l’écoute quotidienne de l’autre permet d’accompagner son compagnon dans son évolution, son cheminement personnel et réciproquement. Cette évolution en binôme va contribuer à solidifier le couple et à lui donner une longue vie.
Je veux profiter de cette interview pour faire un clin d’œil à mon compagnon : j’apprécie son honnêteté, ses attentions. Mi fé a li un béko.

— Marie-Thérèse : Comme dit l’homme que j’aime, l’important pour lui, comme moi, c’est le questionnement, l’échange réciproque. Je parle là des grandes questions et de la recherche-action en commun, sur le but de l’existence, les comportements humains, la justice sociale, la qualité de l’amour… Bref, tout ce qui fait du compagnon un allié de la Vie avec un grand V, dans un parcours de personne engagée, comme moi, et en même temps protecteur et attentionné. J’aime tout de lui dans ses côtés magnifiques, sa richesse culturelle, intellectuelle, spirituelle comme dans les parties de lui à apaiser, à bonifier. J’attends de lui qu’il m’aide à me bonifier aussi. Le partage de l’amour de La Réunion et de la volonté de protéger ses beautés naturelles et identitaires est une nécessité réalisée.

« L’aide est déjà dans le regard porté sur la femme qui a subi ou subit une violence »

Mais quand le couple dérape, qu’une violence verbale, psychologique ou physique arrive… que faire, de quelle manière peut-on venir en aide aux femmes victimes à sortir de cette spirale de violence…
— Pascale :
Déjà, que chaque femme soit attentive aux autres femmes, qu’elles favorisent dans ses relations quotidiennes l’écoute de ses amies et de ses proches. Souvent on laisse passer des informations « pour ne pas avoir à gérer le problème des autres ». Or, dans une situation de violence, la non écoute ou l’indifférence équivaut à une non assistance à personne en danger. Par exemple, si on repère un “bleu” sur une amie, ça doit nous interpeller directement. On doit oser poser la question sur l’origine de cette marque et avoir un regard bienveillant sur l’évolution de l’état de la personne. Il faut aussi faire fi de la barrière sociale car la violence existe dans tous les milieux sociaux.
La première aide est donc pour moi déjà dans le regard porté sur la femme qui a subi ou subit une violence qu’aucune situation de violence est normale. La seconde, c’est l’orientation vers les services d’urgence, lui donner le numéro d’appel.

— Marie-Thérèse : L’aide est déjà dans le regard porté sur la femme qui a subi ou subit une violence. Ce regard doit lui rendre sa dignité et restaurer l’image d’elle-même. La pire spirale de toute violence, c’est d’arriver à croire qu’on l’a mérité. Le discours du violent qui crie, méprise et/ou tape souvent dit : « C’est toi qui m’a mis en colère » ; « c’est ce qui tu as dit… ou fait… C’est de ta faute ! ». Rien ne justifie la violence : même une intonation méprisante est une forme de violence dont l’auteur est seul responsable. La violence ne parle pas de celle ou celui qui la reçoit : elle parle de celle ou celui qui la donne. Si le violent (comme la violente) était heureux, bien dans sa peau, bien dans son environnement, il ne manifesterait aucune violence. Chacun peut éprouver sainement une forme de colère comme une protestation non dirigée vers quelqu’un, mais plutôt du genre « je ne suis pas d’accord, je veux que ça change… ». Donc pour moi, si l’écoute et le soin à la personne attaquée, tant psychologiquement que spirituellement (en lien avec sa philosophie), sont primordiaux, avec souvent la mise à l’abri de celle-ci, la même démarche s’impose vis-à-vis de l’auteur des violences.

« Je déteste qu’une personne puisse abuser et détruire la vie d’autrui impunément »

… à ces hommes violents…
— Pascale :
J’ai déjà beaucoup de mal à concevoir qu’une telle violence puisse habiter une personne. Il est tellement inadmissible qu’on devrait les condamner, les emprisonner et les obliger à se soigner, avec une mise à l’épreuve. Je déteste qu’une personne puisse abuser et détruire la vie d’autrui impunément.

— Marie-Thérèse :
J’ai déjà un peu répondu. La véritable protection de la victime passe par la guérison du ou de la violent(e). L’enfermement n’est que temporaire et l’éloignement peu opérationnel. Je mets volontairement le féminin comme le masculin en tant qu’auteur de violence car cela me paraît important de reconnaître l’existence des deux types de violences, même si en nombre, celles causées aux femmes sont les plus importantes. La tragédie d’un homme rabaissé, humilié… bref, victime de violences verbales, psychologiques, économiques ou physiques me touche autant que celles qui visent les femmes. Maintenant, je trouve que notre société ne se donne pas les moyens de réellement traiter ce problème de violence conjugale dont une des composantes est la somme de frustrations et de sentiments d’échec ou de dévalorisation qu’un individu peut emmagasiner, complexe d’infériorité ou de supériorité, même combat, même recherche difficile et devant mobiliser tout le monde d’une thérapie efficace avec les personnes concernées. Cela est valable dans tous les milieux sociaux avec ou sans addictologie (alcool, drogue) ou antécédent.

… à ces enfants qui deviendront adolescents(es), adultes, pères et mères ? Que souhaitez-vous leur dire ?
— Pascale :
Certes, ils ont subi un traumatisme,mais de ne pas tomber dans le cliché qui dit que « L’enfant est le reflet de ses parents ». En fait, il n’y a pas d’automatisme, et partant de là, ils peuvent arriver à une vie meilleure et équilibrée pour eux et pour leurs propres enfants.
Leur dire de trouver en eux la force de faire le constat qu’ils ont été également eux-mêmes victimes de violences et qu’il faut à présent prendre le contre-pied de cela pour aller de l’avant. Éviter autant que faire se peut de tomber dans le défaitisme, la fatalité n’existe pas. Toujours se dire ou garder en tête qu’on a droit au Bonheur !!! Ils sont des êtres avec des qualités à exploiter puis à partager.
C’est certes plus facile à dire qu’à faire, mais je voudrais conseiller à ces enfants de ne pas baisser les bras et qu’ils se donnent les moyens de s’épanouir. Ils trouveront toujours une personne qui leur tendra la main. Ne vous refusez pas ce bonheur !!!

— Marie-Thérèse : Vous n’êtes pas seuls ! D’autres enfants ont vécu cette tragédie et sont d’excellents parents. Le passage dans une démarche d’expression de vos souffrances, de reconstruction positive est nécessaire avec des professionnels compétents de l’accompagnement. Mais aussi, pour certains, la création artistique, culturelle permet la libération et la “résurrection” de la personne. Pour d’autres, ce sera l’engagement pour aider les autres, ici ou ailleurs, qui permettra de se donner une destinée utile et rénovatrice. La compréhension des mécanismes d’arrivée de la violence, de son installation, des rapports de domination et de soumission, d’irrespect… chez un humain apporte une révolution intérieure salvatrice. Dire qu’il est fécond, à un moment donné, adulte, d’atteindre une certaine sagesse qui va distinguer la personne du comportement : condamnant à jamais celui-ci, mais ainsi se libérant du passé néfaste.

Entretien : Jean-Fabrice Nativel


Comment réagissent les enfants témoins de violences conjugales ?

Ils sont dans un mal-être très important : ils voient leurs parents hurler, s’insulter et parfois prendre des coups. Ils éprouvent alors une grande culpabilité : ne pouvant arrêter ces violences, ils s’en sentent responsables et sont persuadés que s’ils avaient pu empêcher papa de taper maman, les choses ne se seraient pas déroulées ainsi. C’est une culpabilité qui les dépasse : ils réagissent comme s’ils avaient la force physique d’arrêter les coups et ils se sentent très mal à l’aise de n’être pas intervenus ? Dans d’autres cas, pour se donner le sentiment qu’ils n’ont pu empêcher quelque chose, certains enfants essaient de faire tampon entre leur mère et leur père et vivent avec désespoir leur incapacité à mettre fin aux violences.
Les enfants témoins de violences conjugales sont dans le même état psychologique que s’ils avaient été eux-mêmes victimes de violences : ils ont des terreurs nocturnes et des cauchemars, ils témoignent d’un désintérêt pour l’école, d’une perte d’appétit et de crises de panique. Ils présentent exactement les mêmes symptômes que les enfants qui ont été personnellement traumatisés : des symptômes de dépression et de stress post-traumatique.
Lorsque l’on rencontre un enfant dans cet état, on imagine qu’il est victime de maltraitance. On l’ausculte, on ne constate aucun hématome, aucune trace de coups, rien ! Alors on se dit que quelque chose ne va pas chez lui. Mais ce n’est pas chez lui que quelque chose ne va pas, ce sont ses parents qui sont en train de vivre, et de lui faire vivre par personne interposée une situation totalement insupportable.
Les conséquences sont terribles, surtout quand un enfant a envie de dénoncer cette situation. Mais dire : « Vous savez, chez moi, papa et maman se battent » lui fait très peur. Il s’interroge sur les conséquences d’une telle déclaration : « Papa et maman vont être punis, ou l’on va me retirer de chez eux et je vais me retrouver tout seul, donc il vaut mieux ne rien dire. Je vais me retrouver dans une position bien pire que celle que je vis aujourd’hui. Car, après tout, maman et papa sont par moments très gentils avec moi. Ils ne me font pas de mal, ils m’aiment. Ils m’achètent des choses ». C’est ainsi qu’un enfant se retrouve muré dans sa souffrance.
Enfin, un enfant a besoin de se positionner et de s’identifier à quelqu’un. Dans la plupart des cas, c’est à la victime qu’il s’identifie. Il se retrouve alors dans une position de victime.

P. 43-44 Extrait de “Pour en finir avec les violences conjugales” d’Emmanuelle Millet aux Éditions “Marabout”.


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