Rétention de sûreté : peut-on enfermer à vie ?

Rappel des faits

16 janvier 2008

Jusqu’où sacrifier les libertés individuelles pour protéger la société ? Jeudi dernier, les députés ont adopté un projet de loi créant des centres “socio-médico-judiciaires”, sorte d’hôpitaux-prisons, dans lesquels les criminels jugés « dangereux » pourront être enfermés indéfiniment une fois purgé leur peine. Élaboré à la demande de Nicolas Sarkozy, en réaction à l’enlèvement et au viol du petit Enis par Francis Évrard, un pédophile qui sortait de prison, cette « rétention de sûreté » ne devait concerner, à l’origine, que les crimes sur des mineurs de moins de quinze ans. Les députés ont considérablement durci le texte, élargissant la mesure à tous les auteurs de crimes aggravés condamnés à au moins quinze ans de prison.
Qui jugera de la « dangerosité » du détenu ? Une commission pluridisciplinaire, composée du préfet, de magistrats, psychologues, psychiatres, avocats et victimes. La décision de rétention sera ensuite prise pour un an, renouvelable sans limite, par une commission composée de trois magistrats de la Cour d’appel. Cette mesure inédite soulève de nombreuses questions pratiques, juridiques et morales. Comment garantir qu’un individu ne récidivera pas ? Cette rétention est-elle une peine après la peine ou, comme le suggère le gouvernement, une simple « mesure de sûreté » ? Au nom du « risque zéro », peut-on faire d’un individu un suspect à vie, un éternel présumé coupable ? Le Conseil constitutionnel devra, à coup sûr, se prononcer. En attendant, le projet provoque de forts remous. « Philosophie de l’enfermement », « confusion entre délinquance et maladie mentale », « aveu d’incapacité »... L’opposition, de nombreuses associations tout comme le monde judiciaire, dont l’emblématique ex-garde des Sceaux Robert Badinter, dénoncent la « dérive » d’une loi destinée avant tout à « rassurer l’opinion publique ». Oui et alors ? a semblé répondre, jeudi, le rapporteur du projet, Georges Fenech (UMP). Excédé lors du débat sur les articles du projet, le député a lâché à l’attention de l’opposition : « Oui, c’est une loi de circonstance ! C’est une loi pour les disparues de l’Yonne, pour Delphine, pour Céline, pour les victimes de Fourniret (...) et nous l’assumons pleinement. »

Laurent Mouloud,
L’Humanité


Ce projet ne fait qu’ajouter de l’enfermement à l’enfermement

Jusqu’où est-on prêt à aller dans la surenchère répressive ? C’est la question de fond que pose le projet de loi présenté par le gouvernement qui institue une rétention de sûreté après la peine. Cette rétention aura vocation à s’appliquer à toute personne condamnée à plus de quinze ans de prison, pour crime (viol, meurtre, séquestration, torture) et qui aura été repérée comme « particulièrement dangereuse » après expertise psychiatrique. Si ce texte est adopté, la France se dotera d’un dispositif sans équivalent dans les démocraties occidentales car, contrairement à ce que le gouvernement veut laisser croire, rien d’identique n’existe en Europe (aux Pays-Bas et en Belgique ce type d’enfermement n’intervient qu’en substitution à la peine).
Ce dispositif procède d’une philosophie de l’enfermement manifestement contraire au fondement de notre État de droit puisqu’il s’agit d’enfermer un individu, non pas pour des actes commis, mais sur la base d’une présomption de culpabilité future. Il s’inscrit dans une logique d’élimination qui s’apparente plus à la mort sociale qu’à une volonté de traiter le difficile problème de la récidive. Comment en effet prétendre réinsérer un individu auquel on impose un enfermement sans cesse prolongé au-delà de la sanction pénale ? Comment ne pas rappeler que la France est l’un des pays européens où les peines de prison prononcées sont les plus longues avec tous les effets néfastes en termes d’isolement et de rupture du lien social que cela implique ?
Or ce projet ne fait qu’ajouter de l’enfermement à l’enfermement. Ce texte opère en outre une dangereuse confusion entre délinquance et maladie mentale puisqu’il confère aux psychiatres le pouvoir de dire qui doit être répertorié comme particulièrement dangereux et organise le soin contraint dans le centre socio-médico-judiciaire où seront enfermés les retenus. L’appréciation de la dangerosité n’est par ailleurs fondée sur aucune évaluation sérieuse. En effet, ce concept de dangerosité n’a jamais fait l’objet en France d’un travail de définition. L’appréciation de la dangerosité est donc susceptible de varier en fonction des époques et du contexte. Pour s’en convaincre, il suffit d’observer comment ce projet de loi, d’abord réservé aux criminels auteurs d’infractions au préjudice d’enfants, a déjà été étendu à tous les criminels sous la pression de l’émotion légitime suscitée par le meurtre commis dans le RER.
Qui peut prédire les extensions futures d’un tel dispositif ? Aujourd’hui, avec une mesure comparable et au prétexte d’une dangerosité sociale, la Russie enferme des journalistes dans des établissements psychiatriques. Enfin, la rétention de sûreté, c’est l’aveu de l’incapacité de la société française à organiser, durant le temps de détention, la prise en charge des personnes détenues pour que le temps de la peine soit un temps utile à préparer la réinsertion. À un moment où l’on annonce une vaste loi pénitentiaire destinée à améliorer la vie carcérale pour se conformer enfin aux standards européens, il est à craindre en réalité que tous les efforts humains et financiers nécessaires soient réorientés vers les structures de rétention. Ainsi les moyens donnés au travail socio-éducatif en détention demeureraient indigents. Le Syndicat de la magistrature refuse, comme beaucoup d’autres, l’instauration d’une telle mesure. La mobilisation s’organise contre ce projet. Rejoignez-nous sur le site : www.contrelaretentiondesurete.fr et signez la pétition contre ce projet de loi. Parce que ce projet est avant tout le miroir d’une société qui exclut, nous sommes tous concernés.

Par Emmanuelle Perreux,
Présidente du Syndicat de la magistrature


Lu dans le Monde

« Ce projet rend tout à fait illusoires les chances de réinsertion et l’idée même que la sanction pénale ait la moindre valeur rédemptrice. Les défenseurs du texte de Rachida Dati mettent en avant son caractère protecteur de la société mais aussi des victimes, face au danger de voir des criminels récidiver ; ils se félicitent de la fin du principe de l’automaticité des remises de peine ; ils soulignent enfin que l’enfermement pour dangerosité relèvera d’une décision collégiale, susceptible de recours. Mais c’est oublier que, si la détention est une punition, elle a aussi pour but la réinsertion du coupable. Avec la "rétention de sûreté", dont il serait menacé dès le prononcé de sa condamnation, le détenu sait que, même s’il se comporte bien en prison, il pourra y être maintenu pour sa "dangerosité". »


Paroles retenues

Rachida Dati, ministre de la Justice :
« C’est un texte qui n’est pas de circonstance. Il résulte de réflexions approfondies et anciennes. Les drames récents sont des signaux d’alerte. Ils nous invitent à passer de la réflexion à l’action. Les criminels, comme les prédateurs sexuels, ne présentent pas de pathologie psychiatrique et ils ne relèvent donc pas de la prise en charge psychiatrique. Il n’existe aujourd’hui aucun dispositif pour les maîtriser. Et il est déplorable d’attendre un nouveau passage à l’acte pour les enfermer et canaliser cette dangerosité. »

Pierre Lamothe, psychiatre, chef de service du service médico-psychologique régional (SMPR) de Lyon :
« L’erreur des erreurs est de faire croire que la solution est dans la mise à l’écart du criminel dangereux. Cela aboutit à plusieurs impasses : d’une part, il y aura la tentation d’étendre toujours plus le nombre de personnes mises à l’écart, d’autre part, il y aura la tentation de continuer à les tenir enfermées indéfiniment par précaution. À l’exact inverse, il faut faire en sorte de les accompagner au retour à la vie civile, qu’ils reviennent dans le camp des hommes. Il faut être très présent auprès d’eux et surtout ne pas leur faire peur. Plus on les stigmatise, plus on leur dit “vous êtes différents de nous, vous êtes des monstres justifiant des mesures d’exception”, plus on les pousse à s’exclure eux-mêmes et à ne pas évoluer. »

Robert Badinter, sénateur (PS) des Hauts-de-Seine, ex-garde des Sceaux :
« Tout notre système judiciaire repose sur un principe simple : il n’y a pas de prison sans infraction. Or, là, c’est après la peine que l’on maintient quelqu’un en prison, non pas au titre d’une infraction qu’on lui reproche ou pour laquelle il a été condamné, mais au titre d’une infraction virtuelle, d’un crime qu’il pourrait éventuellement commettre s’il était libre. C’est une dérive dangereuse. La justice repose sur un certain nombre de principes et le premier de ces principes, dans tout pays de libertés, c’est la présomption d’innocence. Le taux de récidive des violeurs est de 1%. Et de nombreuses mesures existaient déjà pour prévenir la récidive, comme le suivi sociojudiciaire avec injonction de soins, la surveillance judiciaire, l’inscription au casier avec obligation de se présenter à la police pour les criminels dangereux. Garder quelqu’un en prison parce que des psychiatres auront dit “vous savez, il va peut-être récidiver un jour”, c’est une dérive vers une société, une justice que je n’accepte pas. »


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Messages

  • les gens dangereux comme" les braqueurs ",on le même sort que les pédophiles et je trouve que c’est inadmissible. Je crois qu’en France la peine de mort a été abolie, mais en fait elle existe car pour des braquages, il y a en France des detenus qui prennent 40 ans d’emprisonnement avec cette loi c’est encore pire on mélange tous le monde pédophile braqueurs ect.. Donc prison à vie, mieux vaut mourir


Témoignages - 80e année


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