Jean-Paul Kihl, préfet de Mayotte

’Un sentiment de trop plein’

9 novembre 2005

Si les Anjouanais sans papiers sont rejetés par les Mahorais, c’est que ces derniers ’ont le sentiment’ d’être arrivés à une situation de ’trop plein’, remarque le préfet de Mayotte. Il note que l’implantation importante de ressortissants d’Anjouan en situation irrégulière incombe aussi aux Mahorais. Il pense que les propos tenus par certains élus de Mayotte à l’encontre des ’sans papiers’ sont plus borderline (à la limite - NDLR) que xénophobes et il estime qu’il faut les juger ’à l’aune locale, pas à l’aune de l’occident’. Entretien.

o Selon vous, à quoi est due l’actuelle exacerbation du rejet des Comoriens et notamment des Anjouanais en situation irrégulière à Mayotte ?

- Le sentiment que l’on arrive à un trop plein. Les Mahorais estiment qu’ils ont fait le bon choix en 1974 et 1976 (lors des deux référendums pour ou contre l’indépendance - NDLR) en restant Français et que dès lors ils ne sont pas condamnés à supporter les Anjouanais. En fait, il y a un sentiment de patriotisme mahorais qui trouve écho chez les élus locaux. C’est un mouvement général, personne ne reste à l’écart.

o Il y a pourtant toujours eu des Anjouanais à Mayotte...

- Il faut être clair, il n’est pas question ici des étrangers en séjour régulier dans l’île, mais de la population en situation irrégulière. Le nombre de celle-ci ne cesse d’augmenter. Les Mahorais ont maintenant le sentiment que le seuil est dépassé. Ce sentiment est basé sur des faits concrets. Le système scolaire de Mayotte forme des jeunes qui malgré leurs diplômes n’arrivent pas à trouver de travail et sont condamnés à partir à La Réunion ou en métropole. Ils sont en effet en concurrence avec des clandestins acceptant de travailler pour des salaires défiant toute concurrence.

o Cette situation n’est pas récente. Au vue du ralentissement des activités économiques engendré par le départ récent de beaucoup d’entre eux, il paraît évident que les Anjouanais "sans papiers" sont totalement intégrés dans l’économie mahoraise. Ils sont employés par tout le monde.

- Il est vrai que Mayotte a toujours fonctionné avec une économie souterraine. Il est donc également vrai que les Mahorais portent aussi une part de responsabilité dans le fait qu’il y ait autant de clandestins dans l’île.

o Peut-on pour autant exclure la responsabilité de l’État à qui il revient de protéger les frontières ?

- D’importants moyens de surveillance sont déjà en place. Je pense notamment aux patrouilles maritimes et aux contrôles de papiers dans les villes et villages. Ces moyens sont sans cesse renforcés. La gendarmerie maritime a été dotée cette année d’une seconde vedette rapide. Deux nouveaux radars seront opérationnels d’ici la fin 2005. La marine nationale, les douanes, la gendarmerie travaillent collectivement pour une meilleure efficacité. 41 kwassas kwassas (bateaux de pêche chargés d’étrangers sans papiers - NDLR) ont été interceptés sur les 10 premiers mois de cette année contre 31 en 2004. Cela dit, le périmètre à contrôler est immense, et sauf à construire un mur tout autour de l’île, des gens arriveront toujours à passer entre les mailles du filet.

o Le sentiment anti Anjouanais est très fort à Mayotte. Vous ne craignez pas des débordements ?

- Si on laisse la population en situation irrégulière augmenter, il peut effectivement y avoir des mouvements de violence.

o Lesquels ont déjà eu lieu. Dans les villages, des Anjouanais sans papiers se plaignent d’avoir eu leurs maisons pillées et leurs échoppes brûlées sur les marchés. Des personnes ont manifesté devant des écoles primaires pour exiger le départ des élèves anjouanais.

- Personne n’a été assassiné. Les Mahorais sont des gens pacifiques. Les gendarmes et les policiers sont partout attentifs à faire respecter la loi. Nous sommes dans un État de droit. Les actions à l’encontre des étrangers sans papiers doivent se faire dans le strict respect des procédures réglementaires. Je l’ai rappelé à tous, et notamment aux élus, à plusieurs reprises. Ces élus ont eux-mêmes appelé au calme...

o En disant, notamment, comme l’ont fait certains d’entre eux que les Mahorais doivent se débarrasser de leurs Anjouanais ?

- Ces élus ont surtout rappelé à la population qu’il est illégal d’héberger ou de faire travailler un étranger en situation irrégulière.

o Ce rappel à la loi doit-il prendre la forme de discours pour le moins douteux ? Les propos tenus par certains hommes politiques locaux affleurent la xénophobie...

- Je dirais plus que certains de ces propos sont borderline (à la limite de l’acceptable - NDLR). Il faut juger tout cela à l’aune locale et pas l’aune de l’occident. Il ne faut pas dramatiser.

o Juger à l’aune de la République, l’utilisation de propos xénophobes est pénalement condamnable. N’est-il pas temps de faire appliquer la loi afin de porter un coup d’arrêt à l’escalade verbale ?

- On ne pourra donner ce coup d’arrêt que si quelqu’un franchit la ligne, et croyez-moi, le premier qui le fera s’exposera immédiatement à une action pénale. Nous sommes parfaitement décidés à ne pas laisser faire.

Reportage texte et photos Imaz Press Réunion


La filière africaine

Des piles de passeports d’Afrique de l’Est et de Madagascar ont été abandonnés à Anjouan par leurs propriétaires qui, selon les autorités anjouanaises, sont ensuite entrés clandestinement en Europe via Mayotte.
Mayotte, via Anjouan, serait-elle en train de devenir une voie d’accès vers l’Europe pour les habitants de l’Afrique de l’Est ? "Nous sommes en possession de centaines de passeports appartenant à des ressortissants africains originaires des pays de la zone des grands lacs", remarque le capitaine Affandi Inzouddine, commandant du service de l’immigration d’Anjouan. Il montre des piles de passeports entreposés dans son bureau. Presque toutes les nationalités de l’Afrique du Sud-Est sont représentées : le Congo, l’Ouganda, le Rwanda, le Burundi, la Tanzanie. Les passeports malgaches sont également en nombre.
Beaucoup sont tout neufs. "Ils ont visiblement étaient faits uniquement pour permettre à ces personnes d’entrer en territoire comorien", note le capitaine Affandi Inzouddine. C’est parce que leurs possesseurs leur semblaient "douteux" que les documents ont été confisqués par la police des frontières d’Anjouan. Le but étant de s’assurer leur présence dans l’île et de tenter d’empêcher un départ clandestin. "En effet, grâce à ces passeports, ces étrangers ont pu obtenir de Moroni (la capitale de l’Union des Comores - NDLR) un visa pour séjourner temporairement sur le sol comorien, y compris donc à Anjouan", souligne l’officier de police. "Une fois qu’ils sont ici, ils se débrouillent pour prendre un kwassas kwassas et entrer clandestinement à Mayotte. Certains y restent, mais il est vraisemblable que la plupart d’entre eux se rendent ensuite en France ou ailleurs en Europe", ajoute-il. "Les possesseurs de ces passeports ont visiblement réussi leur coup", remarque Affandi Inzouddine en montrant les documents étalés devant lui en ajoutant : "ils ont littéralement disparu de la circulation à Anjouan et ils ne sont plus jamais venus réclamer leur passeport".
Le fait a été signalé à plusieurs reprises aux autorités françaises par les services du Ministère de l’Intérieur d’Anjouan.


Les chiffres de Mayotte

o Budget - L’enveloppe budgétaire allouée par la France à Mayotte s’élève à 380 millions d’euros par an. Les recettes des droits de douanes et des impôts sont entièrement reversées au Conseil général de Mayotte
o Population (chiffres INSEE) - 1991 : 91.000 habitants dont 14% en situation. 1997 : 131.000 dont 21% en situation irrégulière. 2002 : 160.000 habitants dont 34% en situation irrégulière. C’est un rapprochement entre le nombre de cartes de séjour et celui des personnes se déclarant de nationalité étrangère qui permet d’établir le aux des "sans papiers".
o Natalité - 7.500 nouveau-nés par an. 65% d’entre eux ne sont pas de parents français.
o Allocations familiales. Les Allocations familiales sont limitées à 3 enfants et sont de 40,20 euros pour 1 enfant, 64,50 euros pour 2 enfants et 77,37 euros pour 3 enfants. Les autres enfants ne sont pas pris en charge.
o Salaire minimum interprofessionnel garanti (SMIG) - 647 euros par mois.
o Chômage - 26%. Le chiffre est très approximatif. Il n’existe pas d’indemnité chômage à Mayotte, les personnes sans emploi n’ont pas de raison de se déclarer légalement en tant que tel. Selon divers recoupements, le taux de chômage avoisinerait plus les 45%.
o Scolarisation - Rentrée 2005 : 41.979 élèves dans le 1er degré. 21.438 élèves dans le second degré dont 13.867 collégiens et 7.541 lycées.
o Baccalauréat : en 2005 : 1.444 au total et 810 lauréats (374 pour le Bac général et 436 pour le Bac technologique) En 1988, 34 candidats sur 51 avaient été reçus. En 1995, ils ont été 129 sur 197. En 2000, 346 candidats sur 542 ont été reçus. Ces chiffres regroupent le Bac général et le Bac technologique.


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