La remise en question du droit du sol dans l’Outre-mer :

Une atteinte aux fondements de nos sociétés

17 septembre 2005

Le ministre de l’Outre-mer, François Baroin, a évoqué une possible remise en question du droit du sol pour l’accession à la nationalité française ’dans certaines collectivités d’Outre-mer’, celles - dit-il - où ’le chantier le plus important, c’est l’immigration’. Nous voilà hélas très loin de la ’priorité à l’emploi’...

La “réflexion” du ministre de l’Outre-mer se situe dans le droit fil des orientations données par le ministre de l’Intérieur, Nicolas Sarkozy, lors de la première conférence préfectorale et consulaire, tenue à Marseille le 11 juillet dernier. À l’issue du Comité interministériel de contrôle de l’immigration du 27 juillet, 8 séries de mesures ont donné le ton des préoccupations gouvernementales. Elles visent globalement à limiter l’accueil des immigrés, en augmentant les reconductions à la frontière et en limitant les entrées. Le contrôle accru des entrées va jusqu’à envisager des modifications du Code civil et une remise en cause du droit du sol, dont la combinaison avec le droit du sang fonde, dans le droit français, le droit de la nationalité forgé depuis plusieurs siècles. Cette longue histoire nous apprend que le droit de la nationalité a évolué, au gré des politiques gouvernementales et des événements, en fonction des intérêts économiques, politiques ou démographiques de l’État.
Depuis la Révolution française par exemple, les différentes politiques ont tantôt cherché à éloigner de la France les descendants des “émigrés de Coblence” (atténuation du droit du sang, de 1789 à 1804), tantôt tout fait pour fournir à l’industrie des bras de travailleurs étrangers compensant les reculs démographiques, avec l’instauration, en 1851, du “double droit du sol”, qui a donné la nationalité française à tout enfant né en France d’un parent lui-même né en France. Ce droit du sol a été renforcé par la loi de 1889 et l’intégration des étrangers a été facilitée par la loi de 1927, annulée par diverses mesures du régime de Vichy, qui alla jusqu’à retirer la nationalité française à des milliers de Juifs, mais aussi à de nombreux résistants (De Gaulle, Leclerc, Mendès-France...).
Dans l’Outre-mer, les premières modifications notables sont apparues après les indépendances (1973) : elles cherchaient encore à harmoniser les droits des habitants des anciens territoires de l’Union française et le Code civil. La loi de 1993 en revanche a restreint le droit du sol dans certaines voies d’acquisition de la nationalité française et aujourd’hui, le gouvernement envisage sa remise en cause dans certains territoires de l’Outre-mer, en particulier à Mayotte et en Guyane. Les départements de Guadeloupe, Martinique et La Réunion sont aussi visés par des mesures de restriction, comme la suppression du caractère suspensif des recours formés contre un arrêté de reconduite à la frontière.
Des mesures de destructions, après saisie, des véhicules ayant servi à transporter des clandestins sont déjà appliquées. À Mayotte, depuis 2002, 96 barques (kwasa-kwasa) ont été détruites sur décision de justice, ainsi que 158 moteurs.

Des mesures choquantes pour notre île

À La Réunion, les mesures de l’actuel gouvernement sont extrêmement choquantes, du fait que l’île est historiquement une colonie de peuplement : son identité démographique actuelle est le résultat d’une politique d’immigration volontariste menée sur près de 3 siècles (jusqu’en 1930 notamment), pendant lesquels des liens ont été tissés avec tous les autres peuples de l’océan Indien, jusqu’à la Chine. De sorte que les mesures du gouvernement Sarkozy visant à modifier le Code civil et les conditions des rapprochements familiaux vont heurter, chez nous, des milliers de familles dont des parents sont à Madagascar, à Mayotte ou aux Comores.
Le ministre de l’Outre-mer étudierait en particulier la possibilité "de limiter à un délai d’un an après la naissance de l’enfant la période pendant laquelle un Français peut reconnaître un enfant naturel dont la mère est étrangère". À Mayotte toujours, on pense à faire de la régularité du séjour des parents "une condition pour l’accès ultérieur des enfants à la nationalité française". La marge répressive que de telles mesures donneraient à l’administration pour faire “la traque à l’étranger” - c’est-à-dire au Comorien, tant à Mayotte qu’ici - vient heurter profondément, non seulement nos traditions d’accueil, mais l’histoire même des échanges humains constitutifs de nos sociétés.
De telles mesures ne viennent pas, comme en France, faire jouer une “variable d’ajustement” : elles attaquent les fondements mêmes de nos sociétés. Comment allons-nous créer de l’emploi dans des politiques de co-développement, avec une politique de visa qui va faire de nos îles des sortes de “goulags” juxtaposés ?
Et tout ceci pour quels résultats ? Les chiffres de 23.000 reconduites aux frontières en 2005 (+ 50% par rapport à 2004) et la mobilisation de 76 millions d’euros pour pousser à 1.718 le nombre de places de rétention administrative (pour toute la France) d’ici janvier 2006 montrent à l’évidence que les arguments du gouvernement invoquant "la lutte contre le chômage" sont de pure démagogie : une concession honteuse à un certain électorat d’extrême-droite, plutôt qu’une volonté réelle d’innover dans la politique de l’emploi.
Tout ceci souligne l’urgence d’imaginer pour La Réunion une politique offensive tant pour l’emploi que pour la protection de la famille, sur des bases respectueuses de nos cultures et de nos sociétés respectives, envisagées dans une dynamique de développement et de coopération - plutôt que dans une vision comptable et xénophobe.

P. David


Des dispositions dénoncées par le MRC

Le ministre de l’Outre-mer, François Baroin, prépare une série de lois visant à limiter l’accès à la nationalité française, spécifiquement dans les collectivités d’Outre-mer, des enfants nés sur le sol français de parents étrangers. Le MRC dénonce ces dispositions d’un autre temps, qui bafouent nos principes républicains et nous ramènent aux heures les plus sombres du gouvernement de Vichy. L’Outre-mer n’est pas un laboratoire d’expérimentation d’une République au rabais. La maîtrise de notre immigration doit trouver des solutions plus conformes aux valeurs de notre peuple.

Pascal Basse,
délégué national du MRC à l’Outre-mer


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