Enquête au CHD de Bellepierre : brimades sans ordonnance - 3 -

Une stagiaire renvoyée pour ’manque d’expérience’... au moment où elle signale sa grossesse !

10 mars 2005

Nous publions aujourd’hui le 4ème et dernier cas de pratiques discriminantes relevées à l’hôpital départemental Félix Guyon de Saint-Denis dans le cadre de cette enquête (voir ’Témoignages’ des mardi 8 et mercredi 9 mars 2005).

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Geneviève(*) est entrée au CHD après avoir été reçue, en août 2002, à un concours organisé à la suite d’une vacation de poste de secrétaire médicale. Elle avait un an de stage à faire pour apprendre les bases du métier, n’ayant jamais travaillé en milieu hospitalier.
Au bout du stage, on devait lui notifier une décision : soit la titularisation, soit - plus rare - une prolongation de stage. L’hôpital a aussi la possibilité, si une stagiaire commet une faute grave ou ne répond pas du tout au profil, de lui notifier son renvoi, avant la fin du stage en principe, et sur un motif dûment explicité.
Ce qu’a vécu Geneviève a peu à voir avec ces règles administratives formelles. Réservée, intelligente, elle a passé ce concours pour assurer sa situation familiale à un moment de crise. Elle s’était préparée au concours avec une voisine de Saint-Benoît, secrétaire médicale à la clinique de la ville, qui lui avait donné quelques clés utiles. Il restait à acquérir la pratique à la base. Or au lieu d’être intégrée dans les services où on l’envoyait, elle a été exclue par certain(e)s membres du personnel déjà en place.
"Je ne savais pas, au début. J’aurais dû me méfier. J’étais amenée à être titularisée un an plus tard. Une remplaçante avec qui j’ai travaillé avait 6 ou 7 ans derrière elle comme contractuelle... Et il fallait passer le concours externe pour être titularisée... Cela a créé beaucoup de jalousie", explique-t-elle avec le recul.
Pendant son stage, elle est passée dans trois services - en cytogénétique, en médecine interne et dans le service d’urologie digestive. À chaque fois, elle essayait de donner le meilleur d’elle-même - c’était son intérêt - et à chaque fois elle s’est trouvée en butte à l’hostilité de personnes qui auraient dû normalement l’encadrer : refus de faire circuler l’information, refus de coopérer, de lui apprendre les données techniques utiles dans le service... Une fois, passe encore ; deux fois et elle a commencé à douter d’elle-même... Il faut observer que les services où elle a été affectée sont d’une technicité très pointue - ce qui veut dire, en clair, qu’on ne lui a fait aucun cadeau. Quelquefois, elle avait le soutien des médecins, mais il s’en est trouvé un pour écrire à la DRH que la stagiaire "manquait d’expérience" ! La Palisse aurait-il trouvé mieux ?
Arrive la fin du stage, août 2003 : pas de notification. L’avis favorable du médecin aurait décidé de son maintien dans le service, toujours comme stagiaire. Mais sans que cela lui soit notifié formellement. De même, son carnet de stage ne lui a pas été remis.
La jeune femme reste donc dans le service et en décembre 2003, elle apprend par la voie syndicale (CFTC), que "la direction du personnel veut l’exclure de l’hôpital". Vers la même période, la question de sa titularisation a été examinée lors d’une commission paritaire (CAPL) dont elle n’a pas été avisée sur le moment. On ne lui notifie rien après non plus. Un autre syndicaliste (FO), interrogé dans le cadre de cette enquête, a affirmé que les appréciations portées sur la jeune femme "ne permettaient pas son renvoi".
Geneviève l’ignorait, mais ce qui lui parvient l’incite à demander à rencontrer les responsables du personnel pour plus de précision et pour exposer sa situation. Elle obtiendra d’être reçue, en janvier 2004, par Mmes Bellon - retraitée depuis - et Pascal, la directrice des Ressources Humaines (DRH). Geneviève apprend en cette occasion que la DRH aurait déjà préparé sa lettre de licenciement. La jeune femme n’a pu que faire part de son "incompréhension devant la dureté de certaines collègues" et devant "le climat exécrable" créé autour d’elle.
Apprenant que tous ses efforts risquaient d’être réduits à néant, elle reste d’abord choquée, dépressive. Elle est mise en arrêt maladie pour trois semaines.
"J’étais déjà en instance de divorce, en charge de deux enfants, lorsqu’un troisième enfant s’est annoncé et je comptais sur ce travail pour m’en sortir". Lorsqu’en janvier 2004 elle a signalé sa grossesse à la direction du personnel, celle-ci a confirmé le licenciement... pour après le congé-maternité !
Sans motif notifié normalement et dans les délais, Geneviève aura le choix entre partir ou accepter de passer d’un statut de cadre B en CDI, à un statut d’agent de service hospitalier, cadre C ou D, sur CDD.
Dans un recours grâcieux auprès du directeur de l’hôpital, elle proteste contre "le manque de solidarité" dans les services et contre un licenciement que rien de sérieux ne vient étayer. La réponse du directeur est négative et une procédure est engagée devant le tribunal administratif.
Après le coup de massue de janvier 2004 et l’arrêt maladie pour dépression, elle reprend le travail en février en service de consultation pédiatrique, avec le Dr. Combes. "Enfin des gens normaux !" en dit-elle encore aujourd’hui...
Elle y reste de février à juin 2004 et tout se passe très bien. Mais la direction n’en tiendra aucun compte.
Elle part ensuite pendant six mois en congé de maternité et reçoit en décembre dernier le courrier recommandé qui lui confirme qu’elle ne fait plus partie des cadres B. Elle pourra passer la serpillière, collecter les déchets médicaux et faire les soins aux malades, sous la surveillance de deux gardes-chiourmes égarés qui l’ont déjà prévenue qu’ils allaient "la surveiller de très près". "Comme si j’étais quelqu’un de dangereux !" s’indigne-t-elle. "Il n’y a pas de sots métiers ; je ne le ferai pas pour leur faire plaisir mais pour mes enfants", dit-elle en faisant part de sa détermination à poursuivre la procédure en cours devant le tribunal administratif, en vue de sa réintégration. On a eu le sadisme de l’affecter au service de médecine interne, où elle était stagiaire auparavant, et où certaines de ses anciennes “collègues” se sont cruellement moqué d’elle lorqu’elle a pris son nouveau service.
Compte tenu des irrégularités cumulées, c’est un combat qu’elle peut remporter. Rien ne lui a été notifié normalement dans les délais ; les courriers des médecins en sa faveur n’ont pas été produits et la commission de décembre 2003 s’est prononcée de façon partiale à partir d’éléments tronqués, tel ce rapport de stage faisant état de "difficultés relationnelles" ...dont la responsabilité ne lui était pas imputée.

Pascale David


La direction est-elle libre ?

Dans un précédent article, “Témoignages” a posé le problème de l’absence de contre-pouvoir opposable, au CHD, dans des cas manifestes d’abus hiérarchique ou de harcèlement dans un service. Ce contre-pouvoir devrait pouvoir procéder de deux sources : il pourrait venir des syndicats représentés dans les instances électives ou de la direction-générale elle-même, lorsqu’une direction intermédiaire ou de service est en cause. Aucun de ces deux recours n’a fonctionné, dans les cas exposés ici.

Du côté des "syndicats représentatifs", une longue pratique de “négociation” avec la direction explique une connivence certaine. Un échantillon en a été donné par l’un d’eux il y a trois ans lors d’une séquestration mémorable... Le fait que, depuis les élections de 2003, trois syndicats soient liés à cette même direction par un “pacte d’élimination” de la CGTR n’est pas de nature à servir les salariés.
Quant à la direction, il reste à comprendre pourquoi elle non plus n’a pas joué son rôle d’arbitre, chaque fois qu’elle a été sollicitée en ce sens.

Interrogé sur ce point, M. Deveaux, directeur adjoint, estime qu’il n’est pas pensable que le directeur-général puisse être l’objet de pressions “extérieures”. "Le directeur n’accepterait pas des pressions. Il est nommé par le ministère, sur des objectifs définis par l’ARH (agence régionale d’hospitalisation) qui communique avec le ministère." Encore une fois, il n’est pas question ici des objectifs de l’hôpital, auxquels il faut souhaiter plein succès, mais du silence du directeur sur des cas pour lesquels il a été interpellé. Quel est le poids de ce silence ?
Faut-il y voir la suite du contentieux ouvert l’année dernière à l’encontre de la secrétaire générale du syndicat CGTR-Santé, Marlène Jeanne ? Celle-ci est allée jusqu’à la grève de la faim pour soutenir les accusations diffusées dans un tract, pour lequel Marlène Jeanne a été poursuivie par la direction, pour "diffamation", et finalement lavée de ce grief. Le tribunal n’a donné raison ni à l’un ni à l’autre, ce qui est plus grave pour le directeur compte tenu des accusations portées contre lui : si graves soient-elles, c ela n’était pas de la diffamation !
En deux mots, il s’agissait des pièces d’un dossier comptable pour des faits remontant à 1999-2000 dans lesquels la responsabilité de l’ancienne DRH - celle qui est mise en cause dans cette enquête - et du directeur actuel était engagée. Ces faits, évoqués publiquement en 2000 par le syndicat FO et dans la presse, ne sont pas contestables. Une enquête préliminaire a même été menée.
L’affaire a ressurgi lors du contentieux entre le directeur et l’un des directeurs-adjoints, M. Fougère. Des agents du CHD ont été entendus par les enquêteurs jusqu’en 2004. Des pièces du dossier auraient même circulé au tribunal administratif et jusque chez le procureur. "Les faits sont connus et avérés" nous avait encore dit le directeur-adjoint en lutte contre sa mutation forcée, il y a quelques semaines.
Comment un directeur qui doit, encore maintenant, se démener contre une affaire aussi embarrassante pourrait-il arbitrer des conflits internes ? A-t-il vraiment la liberté de résister à certaines pressions ?
Le conseil d’administration a été renouvelé l’année dernière et un nouveau Conseil a été installé depuis le 4 juin 2004 sous la présidence de Jean-Paul Virapoullé. Chacun sait que la gestion du personnel n’est pas le point fort du maire de Saint-André, mais il est douteux que cela suffise à le dissuader d’y participer. Pourrait-il, par exemple, accepter de faire moins que son prédécesseur, dans la place accordée à des “demandeurs d’emploi” originaires de sa commune ? Sous la précédente mandature, le nombre des agents hospitaliers originaires de Sainte-Marie est passé de 47 à 152. De 111 en 2004, combien seront les salariés du CHD originaires de Saint-André au départ de l’actuel président ?
On va nous objecter que le président n’est pas seul dans le Conseil d’administration et que, là aussi, un contrepoids doit pouvoir se manifester. En théorie, oui. Dans les faits, le sénateur Virapoullé sait y faire pour écarter les opposants ! Pendant tout le second semestre 2004, les réunions du Conseil d’administration ont été convoqués le jour de la Commission permanente du Conseil général. Un moyen sûr et “propre” d’écarter d’un coup les cinq élus représentant cette assemblée au Conseil d’administration.

P. David


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