Accession sociale à la propriété : le nouveau dispositif ignore les D.O.M.

Borloo rend encore plus étroite la porte d’entrée du PTZ

30 mars 2005

On attendait avec impatience les textes d’application de la loi Habitat et Urbanisme concernant les PTZ (logements financés avec un prêt à taux zéro). Ils ont été publiés le 1er février dernier. Ils suscitent dès le premier abord une objection de fond : à aucun moment la situation des D.O.M. n’a été prise en compte dans les dispositions arrêtées. Conséquence : la voie d’accès vers le PTZ nouvelle formule sera encore plus étroite que précédemment. La catégorie des ménages réunionnais dont les revenus se situent dans la fourchette “moyenne - basse” se retrouve exclue de fait de toute possibilité d’accession. Une frustration de plus qui va à l’encontre de l’affichage de ’cohésion sociale’ proclamé par le ministre Borloo.

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Que l’on cherche dans le décret en date du 31 janvier dernier, ou dans l’arrêté pris le même jour, aucune mention n’est faite de la situation des D.O.M. Les deux textes mettent en place, à compter du 1er février 2005, le nouveau dispositif rebaptisé "avance remboursable sans intérêt". Ils fixent à 20% du coût de l’opération - comprenant charge foncière, travaux et frais annexes - le montant maximum du nouveau prêt à taux zéro (PTZ).

Cette disposition peut correspondre, en France hexagonale, aux capacités financières de ménages au revenu de l’ordre de 2.250 euros par mois (soit 15.000 F par mois). Mais il faut savoir qu’à La Réunion, la réalité socio-économique fait qu’une forte proportion des revenus dits “moyens” se situent sensiblement au-dessous, entre 1.650 et 1.800 euros par mois (soit 11 à 12.000 F par mois). Ces revenus ne pourront pas prétendre financièrement à un montage PTZ, avec une part du prêt à taux zéro réduite à un niveau aussi bas que 20 %.

Un recul par rapport à l’ancien PTZ

La déception va être d’autant plus grande chez tous les ménages concernés que le nouveau “PTZ Borloo” marque un recul par rapport aux conditions qui existaient jusqu’à maintenant. Quelles étaient ces conditions pour La Réunion ? Elles étaient régies par un arrêté de 1997 (1) qui fixait un cadre spécifique pour les D.O.M.. Deux formules distinctes de prêt “améliorées” avaient été instaurées : l’une à 25 % du coût de l’investissement, pour le produit dit “PTZ 25”, et l’autre à 40 %, pour le produit dit “PTZ 40”. Ces dispositions visaient à faciliter le montage financier des dossiers, afin justement de tenir compte du niveau des revenus moyens, plus modestes à La Réunion que dans l’Hexagone.

Mais l’adaptation, trop timide, n’a pas atteint son objectif. Le dispositif a vite montré ses limites. Le PTZ, même ainsi aménagé, ne permettait pas de répondre aux besoins en accession sociale de la part des familles dont le revenu se situe un peu au-dessus des plafonds du L.E.S. (Logement Évolutif Social). Les dossiers PTZ se sont vite avérés trop souvent infaisables, nécessitant des apports initiaux trop importants, que les familles étaient dans l’incapacité de verser.

Les bilans dressés par le C.D.H. (Conseil Départemental de l’Habitat) ont fait apparaître année après année que le PTZ ne “décollait” pas et même qu’il était en déclin (2). C’est ainsi que le dernier C.D.H. soulignait en décembre 2004 "le faible niveau de l’accession sociale intermédiaire (PTZ) qui traduit l’incertitude sur le devenir de ce produit dans les DOM", et qu’il fixait parmi les priorités "la relance de l’accession intermédiaire (PTZ) afin d’ouvrir les trajectoires résidentielles des ménages".

Les parcours résidentiels : un enjeu important

L’ensemble des acteurs réunionnais du logement demandaient donc depuis longtemps de revoir les paramètres du PTZ, afin d’en ouvrir l’accès à un plus grand nombre de familles. S’il est vrai que le nouveau décret a revu à la hausse les plafonds de ressources, permettant ainsi une “respiration par le haut” du PTZ, il ignore complètement le problème des ménages aux revenus plus modestes. Les aménagements existants pour les D.O.M. sont rayés d’un trait de plume (3). La porte du PTZ, déjà étroite, se referme devant des milliers de familles.

Celles-ci se retrouvent en quelque sorte “captives” de leur logement locatif social, tout en aspirant à une accession en concordance avec leurs moyens. Or la question de la mobilité des locataires dans le parc social réunionnais représente un enjeu important. Il consiste à ouvrir aux familles dont les revenus peuvent être considérés comme “intermédiaires” la possibilité de parcours résidentiels diversifiés. C’est une façon de libérer des logements locatifs sociaux, qui font cruellement défaut aux familles mal-logées les plus modestes. Autrement dit, “tout se tient” dans une politique du logement équilibrée : l’accession et le locatif sont complémentaires.

Comme pour son plan de Cohésion sociale, le volet Borloo de l’accession intermédiaire est exclusivement destiné à la France métropolitaine, sans aucune prise en considération de la réalité des D.O.M.. Cette incapacité qui se confirme est-elle le résultat d’un certain égocentrisme parisien, ou une retombée de plus de l’interdiction des “lois-pays” suite à la désastreuse initiative du sénateur de Saint-André, ... ou un mélange des deux ? En tout cas, les Réunionnais vont devoir rester mobilisés pour arracher une politique du logement cohérente au service du développement de La Réunion.

A. D.

(1) Il avait donc fallu attendre deux ans, suite au décret de 1995 instaurant le PTZ “national” à 20 %, pour que cet arrêté vienne quelque peu tenir compte de la situation réunionnaise.

(2) Voici les chiffres. 1998 : 882 dossiers. 1999 : 803. 2000 : 718. 2001 : 625. 2002 : 571. 2003 : 440. (ADIL 2005 “Études et Commentaires”)

(3) Le ministre le fait un peu “en douce”, puisque le décret ne supprime pas le chapitre du Code de la Construction relatif à l’ancien système ; il choisit curieusement de créer un nouveau chapitre qui vient se juxtaposer à l’ancien qui existe toujours, mais vidé de son contenu !


L’ADIL : "Un recul important par rapport à l’ancien système domien"

Dans sa revue “l’Adil la fé” de février 2005, l’ADIL se livre à une analyse serrée de la réforme du PTZ, en comparant les deux dispositifs : PTZ Dom et nouveau PTZ. La conclusion de l’étude est claire et nette : la réforme du PTZ représente "un recul important par rapport à l’ancien système domien pour les ménages les moins favorisés, proportionnellement plus nombreux qu’en métropole, et ce, sans qu’il soit possible de considérer que les catégories intermédiaires "supérieures" y trouvent un avantage déterminant".
Quelques exemples parlants illustrent le diagnostic. En voici deux :

- Pour un couple avec 2 enfants disposant de 2 Smic de 990 euros mensuels, le budget maximum du PTZ Dom était de 106.347 euros. Il tombe à 103.519 euros avec le nouveau PTZ. Différentiel : moins 2.828 euros.

- Pour un couple avec 2 enfants disposant de 2.287 euros mensuels, le budget maximum du PTZ Dom était de 120.251 euros. Il tombe à 108.932 euros avec le nouveau PTZ. Différentiel : moins 11.319 euros.

À l’heure où des propositions avaient été faites au gouvernement pour "rapprocher le produit PTZ des besoins du public de La Réunion", et pour "une meilleure prise en compte des tranches “basses” de revenus", on mesure la déception qui va saisir ces ménages qui se considèrent à juste titre comme "les oubliés de systèmes d’aide à l’accession".


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