Y a-t-il encore une politique du logement social pour l’Outre-mer ? - 2 -

Chronique d’un désengagement annoncé

13 mai 2006

On a vu dans notre édition d’hier que la ’mission d’audit de modernisation’ commandée par le ministre ’délégué au Budget et à la réforme de l’État’ avait abouti à un rapport d’experts remis au gouvernement en avril dernier. Ce “Rapport sur la politique du logement social outre-mer” contient une analyse pertinente des facteurs de blocage (le coût du foncier aménagé en particulier), des carences et des insuffisances, voire de l’irresponsabilité d’une politique qui a écarté le logement social outre-mer du champ de la loi de Cohésion sociale de décembre 2004. À partir de tels constats, on était en droit d’attendre des préconisations qui iraient dans le sens d’une budgétisation ferme des crédits logement, à la hauteur des besoins considérables constatés. Mais au moment de les chiffrer, la mission sous-évalue très largement ces besoins. Et un préalable apparaît vite comme la “pierre de touche” du rapport : la baisse à venir des crédits budgétaires est présentée comme inévitable, sans arbitrage possible. En découle une “issue fatale” : l’amputation des crédits de la L.B.U. (Ligne budgétaire unique), que Bercy annonce déjà pour 2007. Pour colmater les brèches budgétaires, d’autres canaux de financement seraient mis en œuvre, mais ils n’ont pas fait l’objet de concertation et ils restent tout à fait dans le vague. Alors qu’au contraire, il y a urgence à affirmer une véritable politique du logement social outre-mer.

À la lecture du rapport, on est amené à se poser la double interrogation suivante : la mission commandée s’inscrit-elle dans une réflexion d’ensemble sur une relance de la politique du logement social outre-mer, ou bien s’est-elle vu fixer dès le départ, comme hypothèse incontournable, la baisse programmée des crédits budgétaires ? L’ambiguïté du rapport apparaît dès lors qu’on est amené à répondre successivement “oui” aux deux questions ! Oui, la mission contribue utilement à la réflexion, quand elle recense tous les facteurs de blocage, que ce soit "la faible disponibilité du foncier à un prix abordable", "les impacts négatifs des mécanismes de défiscalisation", "les freins au montage financier des opérations", mais aussi le caractère inadmissible de la situation financière de la L.B.U., avec la non prise en compte budgétaire, le "grand écart" entre les crédits de paiement et les autorisations de programme, la "dette de l’État envers les opérateurs et le BTP" (1) .

Une baisse des crédits budgétaires posée comme préalable

Mais oui également à la seconde question ! L’orientation donnée à la mission est explicite : "S’agissant d’un audit de modernisation de l’État, destiné à rechercher une plus grande efficacité de ses interventions ainsi que des économies de gestion, la mission a délibérément privilégié l’hypothèse d’une ressource budgétaire durablement sous contrainte". Elle ne nie pas que "si des marges de manœuvres budgétaires existaient, le logement social outre-mer pourrait tout à fait prétendre à en bénéficier". Mais on l’a compris : ces "marges de manœuvre" n’existent pas. La baisse des crédits budgétaires de l’État est ainsi posée comme un préalable. Tout se passe comme si les arbitrages budgétaires étaient d’ores et déjà tranchés pour les D.O.M., avant même d’avoir pu mener la concertation. Cela est d’autant moins acceptable que pour la France hexagonale, c’est bien à la suite d’un arbitrage, qui a pris en compte l’urgente priorité du logement social, que fut votée le volet de la loi de cohésion sociale.
À partir de cette donnée présentée comme incontournable, la mission a recherché les autres "marges de manœuvre qui pourraient être mobilisées (ressources complémentaires ou optimisation de dispositifs existants) de manière à compenser une éventuelle difficulté budgétaire" (2).

Des financements de remplacement encore aléatoires

Les pistes proposées, si elles ne doivent pas être rejetées intégralement, sont loin d’offrir le caractère pérenne indispensable pour asseoir les ressources du logement social dans les D.O.M. 
Trois "nouveaux moyens de financement" sont cités : l’ANAH (Agence nationale pour l’amélioration de l’habitat), le “1% logement” (3) et la défiscalisation. L’activation des subventions de l’ANAH, pour contribuer à la réhabilitation des logements des propriétaires occupants et non plus seulement des propriétaires bailleurs, reste encore aujourd’hui dans les D.O.M. du domaine des bonnes intentions. Les financements apportés par le “1% logement” ne pourraient en aucun cas constituer un palliatif à l’insuffisance des crédits d’État, ce que précise l’organisme concerné lui-même.
Quant à la défiscalisation, l’idée est de la "recentrer" sur le logement locatif social, au lieu de continuer à "favoriser le logement locatif libre". De nombreuses voix se sont déjà exprimées pour amender le dispositif de la défiscalisation, afin qu’elle vienne contribuer à l’effort d’aménagement qui vient grever les coûts du logement social. La réorientation envisagée de ces financements n’est donc pas à négliger. Mais elle ne saurait être considérée comme effective à terme rapproché, et la simulation des investissements ainsi mobilisés devra passer au crible de la réalité, afin de démontrer la capacité de la défiscalisation à remplacer une partie de la L.B.U.

Vers une baisse de près de moitié de la L.B.U. ... dès 2007 !

Le raisonnement qui consiste à présenter des esquisses de financements de remplacement - de remplacement de la L.B.U.! - comme des solutions d’ores et déjà faisables et mobilisables, est extrêmement dangereux. Et ses effets destructeurs ne se sont guère fait attendre, puisqu’on apprend que le ministère des Finances s’est engouffré dans la brèche - une brèche qu’il a bien encouragé à ouvrir - en annonçant pour l’année 2007 une enveloppe budgétaire réduite à 150 millions d’euros, au lieu des 270 millions d’euros d’autorisations de programme des années 2005 et 2006. Soit une amputation d’un exercice à l’autre de 45% !
Le rapport lui a bien ouvert la voie, en chiffrant à 60 millions d’euros par an la ressource du “1% logement”, à 30 millions d’euros par an la ressource de l’ANAH - et cela dès l’année 2007 -, et en escomptant une ressource, là aussi dès 2007, de quelque 20 à 25 millions d’euros en provenance d’une défiscalisation "recentrée" et appelée à croître rapidement. Ce qui permet à la mission de préconiser une réduction plus que drastique de la L.B.U. : 137 millions d’euros dès 2007... et 74 millions d’euros "à l’issue du plan, en 2011" ! (4)

Se battre pour un socle financier pérenne

Par conséquent, dire qu’aujourd’hui la situation est inquiétante est faible. L’impasse du logement social à La Réunion est le résultat d’une politique du logement social qui se délite, au point de disparaître. Les D.O.M. ont raté, à la fin de 2004, le train de la “priorité nationale” pour le logement social (loi Borloo). Vont-ils maintenant se voir exclus du grand “engagement national pour le logement” (dont la loi du même nom est en projet) ?
Une mobilisation s’impose, pour faire échec à ces agressions contre les plus fragiles des Réunionnais, dont le droit au logement décent doit être réaffirmé avec force. Une politique du logement digne de ce nom doit s’inscrire dans la durée. Elle doit pouvoir être assise sur un socle financier pérenne. Cette condition impérative a été reconnue pour la France hexagonale. Elle doit l’être sans tarder pour les D.O.M. C’est à partir de cette consolidation des moyens financiers que d’autres réformes indispensables doivent être décidées, en particulier la revalorisation des paramètres de financement des opérations, pour faire face à une hausse des coûts que plus personne ne nie (25 à 30% depuis 2002), mais aussi la revalorisation de l’Allocation logement.

A. D.


(1) Sans revenir sur le cumulé impressionnant des crédits de paiement non versés par l’État depuis des années, il faut savoir que le montant des factures présentées par les opérateurs mais non payées s’élevait en avril 2006 à quelque 60 millions d’euros pour l’ensemble des D.O.M. (35 millions d’euros pour La Réunion).
(2) ... "éventuelle" n’étant ici qu’un artifice de langage, puisque le rapport nous a plongés d’entrée dans une situation de grave “difficulté budgétaire” !
(3) Le “1% logement” est la participation des entreprises privées pour financer le logement d’un certain nombre de leurs salariés.
(4) L’audit de "modernisation" a atteint son objectif : "Ainsi, grâce à l’apport de financements extérieurs (...), il apparaît possible (...) de réduire, à terme, la pression sur le budget de l’État puisque les moyens d’engagement seraient durablement réduits de 270 à 74 millions d’euros par an". Mission remplie !


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