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L’accession à la propriété s’éloigne des Réunionnais

Un facteur de tension sociale

lundi 14 mai 2007, par Manuel Marchal


“Comment vendre du rêve aux Réunionnais s’ils ne peuvent être propriétaires de leur terre ?”. Au lendemain du Salon de la Maison, ce constat de l’AGORAH traduit la difficulté croissante des Réunionnais à accéder à la propriété de leur logement. Sur fond de croissance démographique et de décohabitation, la spéculation à la hausse du prix du foncier et de l’immobilier rend plus difficile, voire impossible, les projets de familles réunionnaises désirant sortir du statut de locataires. Cette situation porte le risque d’aggraver les tensions d’une société déjà gravement touchée par de nombreuses injustices telles que le chômage, la difficulté d’avoir droit à un logement décent ou l’illettrisme.


Conséquence d’un marché spéculatif, immobilier et foncier continuent leur très importante inflation, excluant chaque jour davantage de familles réunionnaises de l’accession à la propriété. Ce constat inquiétant pour la cohésion sociale est à nouveau confirmé.
Vendredi dernier, soit 3 jours après la clôture du Salon de la Maison, l’Agence pour l’Observation de La Réunion, l’Aménagement et l’Habitat (AGORAH) a rendu publiques deux études relatives à l’immobilier. “Observatoire des transactions immobilières et foncières” et “Évolution du marché et capacité des ménages à accéder à la propriété” amènent à tirer la sonnette d’alarme : l’accession à la propriété est de plus en plus difficile pour la majeure partie des Réunionnais. Force est de constater qu’il ne suffit plus d’un travail stable pour se constituer un patrimoine immobilier. Ce phénomène d’exclusion tend à s’étendre dans la société, ce qui ne peut qu’alimenter les tensions et nuire à la cohésion sociale.
Issu des données fournies par les services fiscaux, l’“Observatoire des transactions immobilières et foncières” pondère à la baisse les prix souvent constatés dans les agences. Malgré cela, le constat est sans appel : c’est la flambée. Elle se traduit dans une hausse importante du prix moyen du foncier et de l’immobilier entre 2001 et 2005, soit respectivement 71% et 56%. Dans le même temps, les revenus moyens sont loin de suivre, avec une augmentation de 18%. Résultat : « les couches moyennes ont de plus en plus de difficultés à devenir propriétaires », souligne Philippe Jean-Pierre, Directeur de l’AGORAH. Si la tendance se maintient, le risque, à terme, est un « danger sociologique » : “Comment vendre du rêve aux Réunionnais s’ils ne peuvent être propriétaires de leur terre”.

L’impact de la spéculation

Parmi les explications avancées par l’AGORAH vient d’abord une cause structurelle, une réalité qui s’impose à tous : la démographie. « La démographie évolue de manière quantitative et qualitative », précise Philippe Jean-Pierre. Sur le premier aspect, La Réunion est confrontée au défi du million d’habitants. Ce qui signifie créer les conditions pour accueillir 250.000 habitants supplémentaires au cours des 20 prochaines années. Mais d’ores et déjà, cet accroissement de la population s’imbrique avec l’aspect qualitatif de la démographie. Car les modes de vie changent, les jeunes familles veulent avoir leur indépendance et ne plus vivre dans la même cour que leurs parents : c’est le phénomène de décohabitation. Cela suscite une hausse de la demande.
Autre point mis en évidence par l’AGORAH : il s’agit de l’impact des infrastructures routières mises en service ces dernières années. Elles rapprochent en temps les salariés de leur lieu de travail, et elles rendent des régions plus attractives. Du coup, les prix augmentent, notamment dans l’Est et le Sud.
Quant à la défiscalisation, elle est attractive pour ceux qui ont les moyens de l’utiliser, c’est-à-dire les résidents réunionnais qui souhaitent se constituer un patrimoine à moindre coût, ou les investisseurs métropolitains visant une niche fiscale. En tout état de cause, « elle participe à la pression à la hausse », note le Directeur de l’AGORAH.
Force est de constater que dans ce marché du foncier et du logement, « l’augmentation des prix vient aussi de l’insuffisance de l’offre, bien qu’elle soit dynamique ». Philippe Jean-Pierre rappelle que les services fiscaux ont dénombré 8.100 transactions en 2005, alors qu’en 2000, ils en ont comptabilisé 5.000.
Un facteur plus artificiel tire encore les prix vers le haut. En effet, pour le Directeur de l’AGORAH, « le marché à La Réunion connaît l’influence d’une bulle spéculative ». Et d’expliquer que dans de nombreux cas, « les fondamentaux du marché ne justifient pas de tels prix ».

Adapter l’accession à la propriété

Face à cette perte de pouvoir d’achat dans l’immobilier, les familles qui peuvent encore malgré tout investir s’adaptent. Elles révisent souvent leur projet à la baisse. Cela peut par exemple se traduire par un temps de construction plus long avec un échelonnement dans l’achèvement des travaux, l’achat d’une parcelle moins étendue, ou d’un terrain plus éloigné du lieu de travail.
Pour l’AGORAH, des solutions peuvent atténuer ce décalage entre la flambée spéculative de l’immobilier et la hausse des salaires. Cela peut passer par « adapter les dispositifs d’aides à l’accession à la propriété ». Une remise à jour pouvant par exemple se concrétiser dans un élargissement du public éligible aux familles ayant des revenus insuffisants pour investir aujourd’hui, mais trop élevés pour avoir droit à ces mécanismes de solidarité.
« Les mesures prises il y a 10 ans sont-elles toujours adaptées ? », interroge Philippe Jean-Pierre. Une évolution qui ne peut se faire qu’en partenariat avec les différentes autorités compétentes : État et Collectivités locales.
Alors que vient de se terminer le Salon de la Maison, manifestation véhiculant son cortège de rêves et de projets, gageons que ces deux études pourront amplifier la prise en compte de la réalité d’un risque important de tension et de fracture de la société. Or, à l’heure où La Réunion est face à des défis considérables, une des conditions essentielles pour sortir de la crise est au contraire la convergence des luttes, le rassemblement de tous vers l’objectif du développement.

Manuel Marchal


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