Réflexions sur le logement

Les leviers politiques pour relancer la construction

28 octobre 2005

Roger Alagama, ancien secrétaire de la Fédération CGTR du Bâtiment, livre ici des réflexions sur le logement, qu’il a menées en vue du 5ème Congrès de la Fédération, réuni demain samedi à Sainte-Suzanne.

Dans l’analyse que vous faites de la situation socio-économique réunionnaise, quels éléments vous paraissent les plus importants dans le contexte actuel ?

- Roger Alagama : Nous évoluons dans une situation qui se dégrade, avec 776.000 habitants sur une île de 2.500 kilomètres carrés et nous serons 845.000 vers 2010. Actuellement, 110.000 personnes en situation de travailler sont sans emploi, plus de 38.000 travailleurs sont en contrat précaire. Environ 175.000 personnes sont employées dans différents secteurs d’activité publics et privés et 85.000 sont allocataires du RMI.
Chaque année, un peu plus de 250.000 élèves rentrent en classe alors qu’en même temps 15.000 en sortent et vont dans la vie active. Le marché de l’emploi est “truqué” et les politiques en place n’ont pas la volonté de changer cet état de fait en donnant un emploi à chacun et en lui permettant d’accéder à un logement. Les besoins vitaux et fondamentaux des Réunionnais ne sont pas pris en considération.

Les observateurs pourtant soulignent en général un niveau de croissance dynamique. Ce n’est pas votre avis ?

- Nous constatons un niveau de croissance de 5% à 6% dont 2,5% vont à la création de 4.500 à 5.000 emplois par an. C’est du moins ce qu’on nous fait croire depuis des années, mais ce chiffre de croissance est trompeur, car tous les bénéfices des grosses entreprises repartent vers des groupes extérieurs. Ils quittent le pays ! Alors que s’ils étaient investis dans l’île, nous pourrions créer beaucoup plus d’emplois. Au passage, mais il faudra y revenir, c’est pourquoi certains s’opposent au contrôle de la formation des prix. Aujourd’hui, la seule solution proposée est d’expédier nos jeunes en mobilité. Et après ? Même le “parti de gauche” a rejoint la droite sur ce sujet, sans aucune volonté politique de changer la situation. La population en subit les coups. Il faut mener une autre réflexion globale sur le développement de notre île.

Votre réflexion à vous, vous amène à faire quelques propositions. Quelle est celle qui vous paraît prioritaire ?

- D’abord une réforme foncière. C’est plus que nécessaire pour débloquer la situation du logement. Il faudrait construire 50.000 logements d’ici à 5 ans : la moitié sur le littoral et l’autre à mi-hauteur. Je pense qu’il faudrait faire chaque année 13.000 logements - 10.000 logements sociaux et 3.000 intermédiaires. Mais pour cela, et pour que les plus démunis puissent accéder à un logement, il faut baisser le prix du foncier et baisser le coût de la construction. Actuellement, le retard accumulé depuis 2000 est catastrophique, seulement 1.000 à 1.500 logements neufs sont construits par an.

Selon vous, qui porte la responsabilité de cette situation ?

- L’État porte une grande responsabilité : sa politique ne traduit aucune volonté dans ce domaine. Il faut rappeler que l’État fixe la Ligne budgétaire unique (LBU) et définit les orientations politiques. Sur les 100 millions d’euros alloués pour l’année 2004, nous constatons une réduction de 30%, alors qu’il faut de plus en plus de logements sociaux. En fin d’année, le ministre est venu faire des “effets d’annonce” : 10 millions pour la LBU... après qu’on en ait enlevé 30 millions ! Ce que De Robien a enlevé à La Réunion, la politique de Jean-Louis Borloo ne l’a pas rétabli et La Réunion se retrouve avec moins de moyens qu’il n’en faut. Les élus proches du gouvernement ne font rien pour changer cela et le Conseil général vient se substituer à l’État au lieu de le pousser à faire plus. Parler de 5 millions d’euros pour 1.000 logements, c’est se moquer du monde. En se substituant à l’État, le Conseil général accentue le désengagement de ce dernier. Il ferait mieux de s’occuper de la lutte contre le chikungunya : c’est dans son domaine de compétence.

Le coût de la construction et le coût du foncier, dont vous parliez à l’instant, sont des freins importants. Comment faire baisser ces coûts ?

- Selon un chiffre de cette année donné par la SIDR, 44 LLS (Logement locatif social) coûtent 4,4 millions d’euros, soit 100.000 euros par logement ! L’aide de l’État tirée de la LBU est de 1 million seulement. Sur cette base, les organismes calculent le prix des logements individuels. Avec un coût moyen du foncier actuellement entre 900 et 1.000 euros le mètre carré, comment faire plus ? Tant que l’État ne prendra pas la décision de réformer le foncier, le coût de la construction du logement ne baissera pas. C’est le rôle de l’État : c’est lui qui encaisse l’impôt et qui est chargé de la politique du logement. C’est lui aussi qui peut agir pour le contrôle de la formation des prix.
Dans le coût de la construction, on a beaucoup parlé de l’acier, dont le prix a enflé de 75% sur le cours mondial parce que, disait-on, la Chine importait tout. Mais prenons le cas du ciment. La Chine n’a rien à voir avec le prix du ciment ! Dans notre île, l’argent gagné sur le ciment repart partout... jusqu’en Amérique !

Dans le coût de la construction, il y a aussi ce que coûte l’installation des réseaux... Vous critiquez par ailleurs certains usages de la LBU. Pourquoi ?

- On entend souvent dire que l’absence de viabilisation demande des investissements. Mais même quand, le réseau de viabilisation est en place à proximité, comme par exemple à Saint-Denis, le prix ne change pas ! Il y a un problème ! Pour redonner de l’oxygène à la construction, il faut une volonté de changer la politique du foncier et le coût de la construction. Et il est vrai aussi qu’en 2004, il n’y a eu que 2.500 logements neufs, parce que le montant de la LBU est partagé entre les logements neufs, la réhabilitation et l’aménagement des parcelles. Avec la création de l’Établissement public foncier, 10% de la LBU sont passés au foncier. Et ce qu’il faut savoir, c’est que la LBU paie aussi toute la mise aux normes européennes des constructions ou des réhabilitations de logements. Les 5.000 logements dont a parlé le préfet incluent aussi la réhabilitation. Ce ne sont pas que des logements neufs.

Au-delà de la question du logement, quelles sont les mesures que vous préconisez comme étant prioritaires ?

- La première est le suivi de la formation des prix. Tous les gouvernements passent à côté. Or les salaires des travailleurs ne suivent pas, et au final, la population ne s’y retrouve pas du tout. Mais pour y arriver, il faut passer outre les pressions politiques - pressions du gouvernement sur les élus de La Réunion, pressions des importateurs sur le gouvernement... Il y a une responsable du MEDEF ici, qui est partie voir des ministres socialistes, avec l’appui du MEDEF-France, pour leur demander “d’arrêter avec l’Observatoire des prix”.
Enfin, un dernier point important est la formation des cadres. Elle doit pouvoir se faire ici même, pour La Réunion et ses relations avec les pays de l’océan Indien, dans les différentes filières de métiers. Le discours qui consiste à dire qu’il faut forcément aller se former ailleurs est un discours de capitalistes, qui veulent pouvoir continuer à disposer d’une main d’œuvre sous-qualifiée et sous-payée. Il n’y a aucune raison qu’on ne puisse pas former ici des techniciens et des cadres supérieurs. S’ils veulent partir pendant un temps, après, dans l’accomplissement de leur carrière, c’est autre chose. Mais il faut penser à les former ici pour prendre en considération La Réunion dans son développement, pour elle-même et dans ses relations avec les pays de la COI et au-delà.

Propos recueillis par P. David


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