Rapport de la Fondation Abbé Pierre

Mal-logement : « La situation est en train de devenir intolérable »

23 avril 2013, par Manuel Marchal

25.000 familles dans un taudis, entre 22.000 et 25.000 demandes de logement social, au moins 370 SDF, une sous-information de l’existence du Droit au logement opposable (DALO), une sous-utilisation du contingent préfectoral… dans son rapport sur le mal-logement à La Réunion, la Fondation Abbé Pierre constate une situation catastrophique en pleine aggravation.

Sonia Trabelsi, directrice de la Boutique solidarité, Saliha Villaume, responsable de centre d’hébergement, Thierry Hergault, directeur régional de la Fondation Abbé Pierre et Joaquim Soarès, directeur de l’animation territoriale de la Fondation.
(photo MM)

Hier au siège de la délégation régionale de la Fondation Abbé Pierre à Saint-Denis, Thierry Hergault, directeur régional, Sonia Trabelsi, directrice de la Boutique solidarité, Saliha Villaume, responsable de centre d’hébergement et Joaquim Soarès, directeur de l’animation territoriale de la Fondation ont tenu une conférence de presse.
C’est demain dans le cinéma Cinépalmes que la Fondation Abbé Pierre présentera son 18e rapport annuel sur le mal-logement en France. À ces données s’ajoutent celles concernant La Réunion, où la crise du logement atteint des sommets. A la veille de cette présentation, la Fondation a rendu publiques les données du rapport 2013.
L’éclairage régional se conclut par un appel à la mobilisation. La situation est en effet intolérable. Les chiffres sont connus, les causes également. Tous les facteurs se réunissent pour encore aggraver la pénurie. C’est en particulier dans l’Ouest que la situation est la plus critique, avec un prix du foncier élevé qui renchérit les loyers et amène le développement de l’habitat insalubre.
À ses difficultés s’ajoute un déficit d’utilisation manifeste des moyens existants : contingent préfectoral et sous-information du recours possible au DALO ont été pointés du doigt.

Logement social en crise

La présentation de l’éclairage régional du 18e rapport de la Fondation Abbé Pierre commence par les plus précaires : ce sont les Réunionnais privés de domicile. À ce jour, la dernière enquête a été réalisée par l’Agence régionale de Santé en 2010, sur la base de déclarations volontaires. Elle signalait que 370 personnes étaient sans domicile fixe, dont 90% d’hommes. Beaucoup souffrent de problèmes d’addictologie, ou de problèmes psychiques. Les solutions sont de plus en plus difficiles à trouver, d’autant qu’entre les paroles des bailleurs sociaux ne correspondent pas toujours à leurs actes dans ce domaine précis, déplore en substance la Fondation. La crise du logement social est un autre problème. Tout d’abord, il n’est plus possible de connaître précisément le nombre de demandeurs, car « le numéro unique ne marche plus », constate Thierry Hergault. Du coup, l’estimation est comprise entre 22.000 et 25.000 demandes insatisfaites sans plus de précision possible.
Le taux de rotation moyen est de 9%, auquel s’ajoutent des constructions nouvelles. Tout cela permet entre 7.000 et 7.500 attributions, ce qui est nettement insuffisant. « Un demandeur a une chance sur quatre d’avoir un logement social », souligne la Fondation qui met aussi en exergue l’inadéquation entre les besoins et les types de logements offerts. En effet, 31% des demandes concernent des personnes seules, et 56% des ménages de deux personnes ou moins, alors que le parc social ne comprend que 9% de studio.
À ce décalage s’ajoute une sous-utilisation du contingent préfectoral (voir encadré), et un taux d’effort demandé de plus intolérable, à cause de loyers trop élevés et d’une diminution de l’aide sociale (voir encadré). Autrement dit, quelques mesures peu coûteuses permettraient quelques progrès.

Bidonvilles dans les Hauts de l’Ouest

Le rapport de la Fondation Abbé Pierre pointe également la persistance de l’habitant insalubre. 25.000 familles vivent dans un taudis à La Réunion, soit environ 60.000 personnes. La Fondation note que d’importants progrès ont été accomplis. Mais les bidonvilles ne sont pas éradiqués. Ils sont maintenant plus diffus, dans les zones rurales.
C’est en particulier dans l’Ouest que ce phénomèsne est observé. C’est là que le taux de rotation est le plus faible, parce que les loyers du secteur intermédiaire et du privé sont plus élevés qu’ailleurs. Du coup, de nombreuses familles n’ont d’autre choix que d’émigrer dans l’Est ou le Sud, ou alors de se fixer dans les Hauts. Ils occupent alors bien souvent un terrain de manière précaire, ou alors se réfugient dans un bidonville dans les Hauts de Saint-Paul, Trois Bassins ou Saint-Leu.
Toute cette précarité a des conséquences dramatiques pour les familles les plus démunies. Car le mal-logement est une des causes du maintien des inégalités à La Réunion puisqu’il est beaucoup plus difficile de répondre aux exigences du système scolaire dans de telles conditions.
La crise économique subie par la France n’arrange pas les choses. Les crédits à la réhabilitation diminuent, tout comme ceux de l’aide au logement, et la production ne suffit pas.
En conclusion, la Fondation Abbé Pierre lance un appel : « l’urgence est là, ce sera pire demain ». La Fondation souhaite que sautent les cloisons entre les différents acteurs, pour aller vers une démarche partenariale. Car « la situation est en train de devenir intolérable », affirme Thierry Hergault.

Manuel Marchal

C’est dans les Hauts de l’Ouest, inscrits largement sur le territoire de la commune de Saint-Paul, que se créent encore des bidonvilles. On ose imaginer la situation si au contraire de Saint-Paul, de Trois-Bassins et de Saint-Leu, Le Port et La Possession n’avaient pas mis en place des politiques favorisant le logement social.
(photo d’archives CF)

Il n’est plus possible de connaître précisément le nombre de demandeurs de logements sociaux alerte la Fondation, on estime que 22.000 à 25.000 demandes chaque année sont insatisfaites.(photo Toniox)

Le manque de construction de logements sociaux est immense. Chaque année, il n’y a que 7.000 et 7.500 attributions en comptant aussi les réattributions et les départs.
(photo Toniox)

7.000 attributions pour 25.000 demandes

C’est le maximum possible en additionnant le nombre des familles qui quittent le parc social, (9%), et les nouveaux logements livrés chaque année.

Contingent préfectoral : 10 à 12% au lieu de 30%

Le contingent préfectoral, c’est la part du parc social que l’État peut attribuer à un public prioritaire. Ce ne sont donc pas les bailleurs mais l’État qui décide.

En théorie, ce contingent s’élève à 30% du parc, en réalité il ne dépasse pas 10 à 12%, affirme la Fondation Abbé Pierre dans son rapport.

À cette sous-utilisation s’ajoute un éclatement de la gestion par sous-préfecture qui ne favorise pas l’efficacité, dit en substance le rapport. « La situation est particulièrement problématique dans l’Ouest où les difficultés d’accès sont les plus criantes ». Un problème d’effectif met les services de l’État « dans l’incapacité de suivre efficacement les attributions au sein du stock de logements qui leur est réservé ».

Droit au logement opposable (DALO) : population sous-informée

En 2011, 555 recours déposés avec au final 207 décisions favorables à un relogement pour 92 relogements effectifs.

En 2012, 902 recours déposés pour 211 décisions favorables et 65 relogements. C’est le bilan de deux années d’application du DALO à La Réunion.

Or, plus de 20.000 familles se voient refuser un logement social.

Pour la Fondation Abbé Pierre, la sous-utilisation de cette aide est d’abord un problème de manque d’information. Le dispositif est mal connu par ceux qui y ont droit. L’autre difficulté est que les personnes en plus grande précarité, notamment les SDF, ont de grandes difficultés à constituer d’eux-mêmes un dossier pour plaider leur cause devant un tribunal.

Réhabilitation : le désengagement de l’État

De plus 15,5 millions en 2007, les aides de l’État à la réhabilitation de l’habitat inscrites dans la LBU représentaient trois ans plus tard moins de 11,5 millions d’euros. Cette somme n’a cessé de baisser, indique le rapport de la Fondation Abbé Pierre.

Le Conseil général compense par un engagement de 40 millions d’euros, bien que cela ne fasse pas partie de ses compétences. Mais avec la baisse des dotations allouées aux collectivités, que deviendra ce soutien ?

L’aide au logement en baisse

« En 10 ans, les aides au logement ont diminué », déplore Joaquim Soarès. Ces restrictions de crédit peuvent s’expliquer par la crise financière, le soutien de l’État aux banques puis la crise de la dette publique.

Aujourd’hui, pour une personne seule, il ne faut pas dépasser un revenu de 1,06 SMIC pour avoir droit à l’aide au logement. Ce plafond était plus élevé auparavant. Il est donc de plus en plus difficile d’avoir droit à cette aide sociale alors que dans le même temps, les prix des loyers augmentent.

Or sans cette aide, il est bien plus difficile d’obtenir un logement social de la part d’un bailleur.

Loyer diminué de l’aide au logement : 36% des revenus !

Pour un ménage locataire du parc privé, le taux d’effort, c’est-à-dire la part consacrée au loyer, peut atteindre 36% du revenu mensuel. Plus les revenus sont faibles, plus ce taux d’effort est important.

Dans le parc social pour une personne seule, ce taux d’effort atteint en moyenne 26,7%.

Pour mettre fin à cette injustice, la Fondation Abbé Pierre propose que la loi encadre le prix du foncier, jugé responsable de 50% du coût de la construction. Cela montre l’importance d’une politique de réserve foncière, pour que des terrains meilleurs marchés puissent être mis à la disposition des constructeurs de logement social.

La Fondation demande aussi à se pencher sur le rôle des intermédiaires dans ces prix élevés. Pourquoi ne pas laisser au public la propriété du foncier, avec une mise à disposition sous forme de bail emphytéotique aux promoteurs de logements sociaux ?

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