Quand le droit est révolutionnaire

Renforcer la lutte pour le droit de tous les Réunionnais à un logement décent

13 mars 2007, par Manuel Marchal

Adopté le 1er février par le Sénat sous le régime de la déclaration d’urgence par le gouvernement, transmis à l’Assemblée nationale le 2 février, le projet de loi « instituant le droit au logement opposable et portant diverses mesures en faveur de la cohésion sociale » réunit, comme son nom l’indique, des mesures relatives d’une part au droit au logement, et d’autre part à celles et ceux qui sont contraints de vivre avec des revenus minimum. Sous l’intitulé ’Droit au logement’, la première partie du texte provisoire apporte des modifications importantes qui vont dans le sens positif, mais aussi une autre qui, paradoxalement, permet également de légitimer la répression contre les personnes sans logis qui squattent un logement sans titre et contre les locataires qui n’arrivent plus à payer leur loyer. Décryptage.

Parmi les mesures annoncées dans le texte de loi voté récemment par le Sénat et transmis à l’Assemblée nationale, le droit au logement opposable « ouvre la possibilité de le faire valoir dans le cadre d’un recours gracieux ou contentieux ». « Ce droit est garanti par l’Etat aux personnes résidant sur le territoire français de façon régulière et stable n’étant pas en mesure d’accéder par leurs propres moyens à un logement indépendant et décent », explique l’Assemblée nationale.
La mise en œuvre de ce droit garanti par l’État est décrite dans l’article 3 du texte, qui constitue le cœur du dispositif législatif de ce projet de loi.
Il permet à un demandeur de logement de saisir la justice administrative pour faire respecter son droit à un logement décent. Cette possibilité sera mise en œuvre progressivement.

Obligation d’informer sur les droits

À partir du 1er janvier 2008, elle concernera notamment les habitants des bidonvilles, les sans-logis et les personnes ayant un enfant à charge vivant dans un logement sur-occupé. Au 1er janvier 2012, le recours devant le juge administratif pourra être utilisé par toute personne ayant droit à un logement social, mais dont la juste demande n’est pas satisfaite.
Le texte de loi provisoire promet un jugement rapide, puisque le juge administratif « statue en urgence [ ] sans conclusions du commissaire du Gouvernement ».
Il est à noter que l’article 1 ter du texte provisoire a pour but l’amélioration de la diffusion auprès des personnes concernées de ce nouveau droit opposable. Cet article stipule en effet que « pour garantir l’accès des personnes visées par la présente loi aux informations de nature à favoriser la mise en œuvre du droit au logement, le représentant de l’État dans le département mobilise les organismes, associations ou autorités publiques concourant à la réalisation des objectifs de la politique d’aide au logement et tout autre moyen susceptible d’y contribuer ».
La conjonction de ces deux articles de loi peut être un outil pour faire avancer la cause du droit des Réunionnais à un logement, puisque dès l’année prochaine, les demandeurs de logement social sans-logis, ou survivant dans un bidonville, pourront ester en justice pour faire respecter ce droit. Ceci concerne des milliers de personnes à La Réunion. Gageons que ce droit au logement opposable puisse être par exemple un moyen pour pousser à la construction de suffisamment de logements sociaux afin de tenir compte de la réalité réunionnaise.

Vigilance

Néanmoins, à plus court terme, il est important de rester vigilant quant au projet de loi qui sera finalement adopté. En effet, si l’article 3 du texte provisoire est porteur de progrès, son article 6L peut être interprété comme un outil pour favoriser la répression contre les occupants sans titre d’un logement et contre les locataires menacés d’expulsion.
De plus, la mise en œuvre du droit au logement est accompagnée de “Dispositions en faveur de la cohésion sociale” qui sont éparpillées dans le plusieurs chapitres du texte provisoire. Elles portent sur des aspects aussi divers que les contrats dits d’avenir et autres contrats précaires, ainsi que sur d’autres décisions touchant de très loin le droit au logement.
À titre d’exemple, la majorité des sénateurs a voté pour un article concernant la retraite des fonctionnaires qui demandent leur intégration dans la Fonction publique territoriale. Autrement dit, la vigilance doit être de mise pour que la légalisation d’une mesure allant dans le sens du respect du droit au logement ne signifie pas aussi l’adoption de dispositions légales visant paradoxalement à précariser encore davantage la vie quotidienne des plus démunis.
On ne peut que souhaiter que le texte finalement adopté sera un nouveau moyen efficace de faire reculer une injustice qui, dans notre pays, se traduit par plus de 25.000 demandes de logement social insatisfaites, et aussi par la violence quotidienne imposée à des dizaines de milliers de Réunionnais pour qui le bidonville et la sur-occupation sont la seule solution pour avoir un toit.

Manuel Marchal


Article 3 du projet de loi

Le droit au logement opposable en détail

Ci-après l’article 3 qui met en œuvre le droit au logement opposable tel qu’il a été voté par les sénateurs.

I. - Après l’article L. 441-2-3 du Code de la construction et de l’habitation, il est inséré un article L. 441-2-3-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 441-2-3-1. - Lorsque la commission de médiation a reconnu une demande comme prioritaire et comme devant être satisfaite d’urgence, le demandeur qui n’a pas reçu, dans un délai fixé par voie réglementaire, une offre de logement tenant compte de ses besoins et de ses capacités ou une proposition d’accueil dans une structure d’hébergement, un établissement ou logement de transition, un logement-foyer ou une résidence hôtelière à vocation sociale, peut introduire un recours devant la juridiction administrative tendant à ce que soit ordonné son logement, son relogement ou son accueil dans une structure d’hébergement, un établissement ou logement de transition, un logement-foyer ou une résidence hôtelière à vocation sociale ».
« Ce recours est ouvert à compter du 1er décembre 2008 aux personnes mentionnées au deuxième alinéa du II
(1) et au premier alinéa du III (2) de l’article L. 441-2-3 et, à compter du 1er janvier 2012, aux demandeurs mentionnés au premier alinéa du même II (3)  ».
« En l’absence de commission de médiation dans le département, le demandeur peut exercer le recours mentionné à l’alinéa précédent si, après avoir saisi le représentant de l’État dans le département, il n’a pas reçu une offre tenant compte de ses besoins et de ses capacités dans un délai fixé par voie réglementaire ».
[ ]
« Le président du Tribunal administratif ou le juge qu’il désigne statue en urgence [ ] sans conclusions du commissaire du Gouvernement.
« Le juge, lorsqu’il constate que la demande a un caractère prioritaire et doit être satisfaite d’urgence et que n’a pas été offert au demandeur un logement tenant compte de ses besoins et de ses capacités, ordonne le logement ou le relogement de celui-ci par l’État [ ] et peut assortir son injonction d’une astreinte. Il peut, dans les mêmes conditions, faire usage de ces pouvoirs à l’encontre de l’État pour ordonner l’accueil dans une structure d’hébergement, un établissement ou logement de transition, un logement-foyer ou une résidence hôtelière à vocation sociale ».
« Le produit de l’astreinte est versé au fonds institué en application du dernier alinéa de l’article L. 302-7 dans la région où est située la commission de médiation saisie par le demandeur ».

(1)
Quand un demandeur est « de bonne foi, est dépourvu de logement, menacé d’expulsion sans relogement, hébergé ou logé temporairement dans un établissement ou un logement de transition, logé dans des locaux impropres à l’habitation ou présentant un caractère insalubre ou dangereux, ainsi que, s’il a au moins un enfant mineur, lorsqu’il est logé dans des locaux manifestement su-roccupés ou ne présentant pas le caractère d’un logement décent ».

(2)
« La commission de médiation peut également être saisie sans condition de délai par toute personne qui, sollicitant l’accueil dans une structure d’hébergement, un établissement ou logement de transition, un logement-foyer ou une résidence hôtelière à vocation sociale, n’a reçu aucune réponse adaptée à sa demande ».

(3) « La commission de médiation peut être saisie par toute personne qui, satisfaisant aux conditions réglementaires d’accès à un logement locatif social, n’a reçu aucune proposition adaptée en réponse à sa demande de logement dans le délai fixé en application de l’article L. 441-1-4 ». Ce dernier article du Code de la construction et de l’habitat précise qu’« après avis du comité responsable du plan départemental d’action pour le logement des personnes défavorisées, des établissements publics de coopération intercommunale ayant conclu un accord mentionné à l’article L. 441-1-1 et des représentants des bailleurs sociaux dans le département, un arrêté du représentant de l’Etat dans le département détermine, au regard des circonstances locales, les délais à partir desquels les personnes qui ont déposé une demande de logement locatif social peuvent saisir la commission de médiation ».


Signaler un contenu

Un message, un commentaire ?


Témoignages - 80e année


+ Lus