Le droit : un levier pour lutter contre les injustices

Réquisition préfectorale pour construire des logements sociaux

13 février 2007, par Manuel Marchal

Saint-Maur des Fossés est une ville de 75.000 habitants qui se situe dans le peloton de queue en termes de logements sociaux avec un pourcentage de 5,4% des résidences principales. Argument de la majorité municipale : le manque de foncier. Or, il s’avère au fond que la Mairie préfère payer chaque année une amende plutôt que de respecter la loi SRU qui l’oblige à livrer 20% de logements sociaux. Or, sur le territoire communal, une parcelle de 6 hectares constructibles peut être réaménagée pour construire des logements, mais ce n’est pas la volonté de la commune. Alors, pour ne pas gâcher ce précieux foncier disponible, le préfet va utiliser la procédure du Projet d’intérêt général et de fait réquisitionner ce terrain pour construire des logements sociaux.

« Un gaspillage d’un foncier urbanisable remarquablement situé. Une occasion manquée de lancer une opération qui apporte une réponse aux besoins d’offre nouvelle dans Saint-Maur, et qui participe au rééquilibrage du parc de logement familial » : tels sont les principaux arguments sur lesquels s’appuie le préfet du Val-de-Marne pour lancer un Projet d’intérêt général sur un terrain de 6 hectares qu’une municipalité envisageait de transformer en espaces verts.
Le préfet rappelle que selon le Code de l’urbanisme, l’État est garant du principe de mixité sociale. Or, dans la ville de Saint-Maur, ce principe est loin de s’appliquer, et la municipalité fait montre de sa volonté de ne pas respecter la loi SRU l’obligeant à atteindre le seuil de 20% de logements sociaux parmi les résidences principales. Sachant que dans cette ville, le logement social ne représente que 5,4% des résidences principales, et constatant que la politique de la direction municipale ne va pas dans le sens du rattrapage, le préfet a constaté la carence par un arrêté pris le 22 décembre 2005. En conséquence, les contribuables de la commune doivent payer une amende annuelle majorée de 1,3 million d’euros en raison de ce constat de carence. « C’est une double peine pour les plus démunis », souligne Guy Deloche, conseiller municipal PCF de l’opposition.

Terrain réquisitionné

« C’est une double peine injustifiable : non seulement les habitants ayant droit aux HLM n’y ont pas accès ici, et en plus ils doivent payer une amende s’élevant à 50 euros par foyer fiscal parce que leur maire ne construit pas suffisamment de logements sociaux pour répondre à la loi. Le Conseil municipal a même adopté une délibération demandant l’abrogation de la loi SRU ! », poursuit le conseiller PCF de Saint-Maur.
Pourtant, dans cette commune, 29% de la population a droit aux HLM, l’habitat insalubre concerne 2,3% des résidences. Et tous ces ayants droits doivent se contenter de moins de 6% des logements. Argument avancé par la Mairie : le manque de foncier. Mais cette ligne de défense est battue en brèche quand elle a l’opportunité de devenir propriétaire de six hectares de terrains constructibles d’un seul tenant. Et loin de vouloir utiliser ce foncier pour construire du social, la mairie souhaite transformer cette superficie en espaces verts et zones de pique-nique. C’est ici qu’intervient le préfet qui lance une procédure de réquisition sous forme de Projet d’intérêt général (PIG).
« L’objectif de l’opération : construire 550 logements dont 33% en intermédiaire (PLI), et 20% en logement étudiant », annonce Guy Deloche. Cette démarche suscite l’opposition de la Mairie qui utilise tous les recours pour freiner l’opération. Elle ne fait que retarder l’inéluctable car tôt ou tard, ces logements seront construits. La lutte s’appuie sur le droit qui donne la possibilité aux préfets de faire plier les maires récalcitrants à la construction de logements sociaux. Elle se situe dans un département où 28% de la population a le droit d’habiter en HLM, et dans lequel des communes dépassent largement les objectifs de la loi SRU en affichant une proportion dépassant quelquefois 70% de logements sociaux.

Utiliser tous les leviers

À La Réunion, quelques communes traînent encore les pieds pour respecter leur obligation légale d’atteindre les 20% de logements sociaux au sein du parc immobilier. D’autres sont en conformité avec la loi, mais ont tendance à céder leur précieux foncier à des promoteurs privés qui ne construisent pas des logements adaptés aux besoins de la majorité de la population.
Avec plus de 25.000 demandes insatisfaites, plus de 20.000 familles obligées de vivre dans des bidonvilles, et donc de fait exclues du droit de bénéficier des allocations logements à cause de l’insalubrité de leur logis, la priorité dans le domaine de la construction est le logement social. L’accroissement démographique ne fera qu’amplifier ce phénomène, eu égard à la faiblesse des revenus dus à la majorité des familles réunionnaises et à la nécessaire volonté de décohabitation qui s’exprime au sein des jeunes générations.
La procédure du Projet d’intérêt général tel qu’elle a été mise en œuvre à Saint-Maur est là pour résonner comme un avertissement aux oreilles des collectivités qui ont un foncier disponible et aménageable pour faire des logements sociaux, mais qui préfèrent employer ces terrains à d’autres fins.
Elle illustre les pouvoirs importants à la disposition d’un préfet pour renforcer la solidarité.
À elle seule, cette procédure ne résoudra pas à elle seule le défi du logement. Mais elle souligne que tous les moyens légaux disponibles sont autant de leviers capables de faire avancer le droit des Réunionnais à un logement décent.

Manuel Marchal


Ce que dit le droit

Le projet d’intérêt général
Le projet d’intérêt général est décrit dans l’Article R121-3 du Code de l’urbanisme.
« Peut constituer un projet d’intérêt général au sens de l’article L. 121-9 tout projet d’ouvrage, de travaux ou de protection présentant un caractère d’utilité publique et répondant aux conditions suivantes :
1º Etre destiné à la réalisation d’une opération d’aménagement ou d’équipement, au fonctionnement d’un service public, à l’accueil et au logement des personnes défavorisées ou de ressources modestes, à la protection du patrimoine naturel ou culturel, à la prévention des risques, à la mise en valeur des ressources naturelles ou à l’aménagement agricole et rural ;
2º Avoir fait l’objet :
a) Soit d’une délibération ou d’une décision d’une personne ayant la capacité d’exproprier, arrêtant le principe et les conditions de réalisation du projet, et mise à la disposition du public ;
b) Soit d’une inscription dans un des documents de planification prévus par les lois et règlements, approuvé par l’autorité compétente et ayant fait l’objet d’une publication.
Les projets relevant de l’initiative des communes ou de leurs groupements compétents pour élaborer un document d’urbanisme ou des communes membres de ces groupements ne peuvent être qualifiés de projets d’intérêt général pour l’application de l’article R. 121-4 ».

Modification du PLU par le préfet
Pour imposer la réalisation d’un projet d’intérêt général, le préfet peut modifier le Plan local d’urbanisme adopté par une commune selon la procédure décrite dans l’Article L123-14 du Code de l’urbanisme.

« Lorsqu’un plan local d’urbanisme doit être révisé ou modifié pour être rendu compatible, dans les conditions prévues par l’article L. 111-1-1, avec les directives territoriales d’aménagement ou avec les dispositions particulières aux zones de montagne et au littoral, ou pour permettre la réalisation d’un nouveau projet d’intérêt général, le préfet en informe la commune.
Dans un délai d’un mois, la commune fait connaître au préfet si elle entend opérer la révision ou la modification nécessaire. Dans la négative ou à défaut de réponse dans ce délai, le préfet peut engager et approuver, après avis du conseil municipal et enquête publique, la révision ou la modification du plan. Il en est de même si l’intention exprimée de la commune de procéder à la révision ou à la modification n’est pas suivie, dans un délai de six mois à compter de la notification initiale du préfet, d’une délibération approuvant le projet correspondant.
Le préfet met également en oeuvre la procédure prévue aux deux alinéas précédents lorsque, à l’issue du délai de trois ans mentionné au dernier alinéa de l’article L. 123-1, le plan local d’urbanisme n’a pas été rendu compatible avec les orientations d’un schéma de cohérence territoriale, d’un schéma de secteur, d’un schéma de mise en valeur de la mer, d’une charte de parc naturel régional ou de parc national, d’un plan de déplacements urbains ou d’un programme local de l’habitat ».

Les compétences du Maire exercées par le Préfet
L’Article R123-21 du Code de l’urbanisme relève que lorsque le représentant de l’État dans un département engage une révision du PLU pour faire aboutir un projet d’intérêt général, il exerce alors les compétences du maire.
« Lorsqu’il engage la procédure de révision dans les conditions prévues aux deuxième et troisième alinéas de l’article L. 123-14, le préfet en informe les personnes publiques mentionnées au premier alinéa de l’article L. 123-8. Il exerce les compétences attribuées au maire, au conseil municipal, au président ou à l’organe délibérant de l’établissement public de coopération intercommunale, pour l’application des articles L. 123-6, L. 123-8, L. 123-9 (2e alinéa), L. 123-10 et les articles R. 123-15 à R. 123-19 ».


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