Filière Aide à l’Amélioration de l’Habitat des DOM

Une grave crise de financements

19 septembre 2006

On compte environ 70.000 logements insalubres sur l’ensemble des départements d’Outre-mer pour la plupart occupés par des personnes âgées et en grande précarité. Ces logements pourraient être réhabilités si les crédits accordés à la filière Aide à l’Amélioration de l’Habitat n’étaient pas en constante régression depuis plusieurs années. Les opérateurs sociaux des quatre DOM se sont constitués en collectif pour alerter le gouvernement sur une crise sans précédent.

Lors d’une réunion à Paris le 21 juin dernier, les différents opérateurs sociaux de l’habitat de l’Outre-mer ont établi une déclaration commune pour une relance de la politique du logement social au travers de la Ligne Budgétaire Unique (LBU). Pour Déva Radakichenin, Directeur du PACT Réunion, cette initiative est "une première en matière d’amélioration de l’habitat". Le taux de vétusté et d’insalubrité des logements outre-mer largement supérieur à la métropole, mais aussi les spécificités locales des départements (vieillissement de la population et manque de structures d’accueil, pression démographique, importance des risques naturels, PIB par habitant inférieur à la moyenne nationale) appellent à un réveil de l’État pour faire vivre le droit au logement qualifié de fondamental dans les textes.

Une crise financière pas structurelle

Cette déclaration commune a une double vocation : sensibiliser l’ensemble des élus sur les difficultés de mise en œuvre de la politique de réhabilitation de logements sociaux et interpeller le gouvernement sur l’ampleur de la crise de l’amélioration de l’habitat dans les DOM. Et Déva Radakichenin de préciser que "cette crise est financière, budgétaire et non structurelle". L’ensemble des départements d’Outre-mer disposent d’une organisation structurée qui s’appuie sur une politique du logement social adaptée au contexte local, reste que "les fonds LBU sont mobilisés en deçà des besoins et des capacités de travail des acteurs, explique le directeur du PACT Réunion. Nous avons les structures, la capacité de monter des opérations mais pas la garantie de financement dans les délais nécessaires". Au nom de la filière d’Aide à l’Amélioration de l’Habitat des Dom, Déva Radakichenin ainsi au gouvernement : "Rétablissez-nous la sérénité pour la mise en œuvre de ce droit au logement". Il est évident pour ce dernier que "cette démarche est politique. Les élus doivent prendre à bras le corps cette problématique pour permettre sa prise en compte par le gouvernement".

120 millions d’euros de factures impayées

Cette diminution du soutien financier de l’État en matière d’amélioration de l’habitat a deux impacts négatifs directs : d’une part au plan social, des milliers de familles attendent une remise aux normes complète de leur logement pour pouvoir vivre décemment, et d’autre part, les entreprises artisanales du bâtiment spécialisées dans cette filière réhabilitation - soit 1.100 entreprises et près de 6.000 emplois directs à l’échelle des DOM - sont menacées. Compte tenu de l’écart entre les Autorisations de Paiements de la LBU et les Crédits de Paiement finalement dévolus par l’État, les factures impayées aux opérateurs affaiblissent leur trésorerie. Ainsi, au 31 décembre 2005, la dette globale de l’État pour le logement social s’élevait à 80 millions d’euros pour atteindre au 30 juin 2006 près de 120 millions d’euros. Les opérateurs sociaux des DOM demandent un apurement rapide de cette dette, mais aussi une programmation pluriannuelle des financements dédiés au logement social soit 300 millions d’euros de Crédits de Paiement par an, sur le modèle de ce qui est pratiqué dans le cadre du Plan de Cohésion Sociale pour le logement social en métropole. "Il y a une demande très forte des acteurs politiques et économiques d’avoir une vraie lisibilité et visibilité des actions issues de la LBU, sous-tend Déva Radakichenin. Il n’est plus possible aujourd’hui de travailler sur une programmation d’amélioration avec ces incertitudes permanentes de financements".

Une démarche inter-DOM

Sur le plan local, cette déclaration commune a été transmise à 200 destinataires, acteurs politiques et socioéconomiques. La semaine dernière, le PCR, lors d’une conférence de presse, se positionnait en faveur d’une refonte de la LBU (voir notre édition de vendredi 15 septembre). Les autres DOM ont dans le même temps adopté cette démarche de sensibilisation territoriale. Les homologues nationaux des différents opérateurs sociaux de l’amélioration de l’habitat des DOM ont également été interpellés pour favoriser leur intervention auprès du gouvernement. "On commence à avoir des retours des maires qui partagent cette problématique et appui notre demande, précise le directeur du PACT Réunion. Quelques parlementaires souhaitent se saisir du débat à l’occasion du projet de loi de finances. Il faut bien rappeler que ce n’est pas un problème propre à La Réunion mais domien. Nous sommes particulièrement sensibles au fait que cela reste une démarche inter DOM. Le projet de loi de finances sera l’occasion de parler de la LBU dans les DOM et chacun fera valoir ses difficultés au plan départemental". S’il est reconnu que l’union fait la force, reste à souhaiter que ce cri d’alerte partagé trouve un écho auprès du gouvernement dans l’agitation de la campagne présidentielle.

Stéphanie Longeras
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An plis ke sa

Le collectif qui réunit les opérateurs sociaux des 4 DOM (Réunion, Guyane, Guadeloupe, Martinique) demande également au gouvernement dans sa déclaration commune :

"l’adaptation d’une terminologie propre aux DOM en corrélation avec l’importance des travaux effectués en matière de réhabilitation du parc existant" (Aide Individualisée à la Réhabilitation de l’Habitat au lieu de Aide à l’Amélioration de l’Habitat) ;
- "d’inscrire durablement dans le cadre de la LBU, une ligne de financement dédiée à la réhabilitation de l’Habitat" ;

- "la réalisation d’une étude d’impact économique et sociale réalisée par un cabinet indépendant afin de mettre en exergue les enjeux économiques et sociétaux réels de la filière".


Signataires de la déclaration

Philippe Gocar, Président du Groupement Interprofessionnel Des Opérateurs Sociaux (GIDOS) de Martinique ; Gino Ponin-Ballom, Président de la SICA Habitat Réunion ; Hilaire Brudey, Directeur de Karukera Logement de Guadeloupe ; Pierre Hellier, Président de la Fédération Nationale Habitat et Développement ; Alain Tien Liong, Président du Pact Guyane ; Teddy Soret, Président du PACT Réunion ; Jean-Claude Lacouture, Président du Club des PACT des DOM ; Georges Cavallier, Président de la FNC PACT ARIM.


Témoignage

Michel Oberlé, délégué de l’ARMOS

Crise du logement : "une bombe à retardement"

La crise en matière de logement social - qui touche tous les secteurs : le locatif, l’accession à la propriété et l’amélioration de l’habitat - a débuté et s’amplifie depuis le début de l’année 2000. Michel Oberlé, délégué de l’ARMOS (Association Réunionnaise des Maîtres d’Ouvrages Sociaux) relève trois impasses dans cette crise qu’il est urgent de surmonter.

"La dette de l’État se creuse"

D’année en année, les Autorisations d’Engagement s’érodent. À La Réunion, elles sont passées de 100 millions d’euros dans les années 90 à 80 millions depuis 2000. Dans le même temps, le coût de la construction, du foncier et des matériaux a augmenté. De plus, Michel Oberlé note que "l’État a pris la mauvaise habitude de délivrer des Autorisations d’Engagement et de ne pas mettre suffisamment à hauteur les Crédits de Paiement. L’État ne met pas suffisamment d’argent dans les caisses pour financer les opérations. Depuis 3-4 ans, on a 270 millions d’euros d’Autorisations d’Engagement et seulement 170 millions d’euros de Crédits de Paiement. Tous les ans, la dette de l’État se creuse, comme le note le rapport de la mission d’audit de modernisation du logement social dans les DOM et à Mayotte publié en mai". Les opérateurs qui ont déjà réalisé des travaux, payé leurs fournitures, voient ainsi leur trésorerie se vider. La troisième impasse réside dans le fait que depuis 5-6 ans, chaque année, en plus de l’augmentation des coûts du foncier et de la construction, de nouveaux critères de mises aux normes des logements interviennent. Michel Oberlé note que "c’est une très bonne chose en soit sauf que les paramètres de financement n’évoluent pas. D’année en année, il est de plus en plus difficile d’équilibrer les opérations ce qui oblige à des demandes de financement autres que celui de l’État".

"On ne peut plus"

Les fonds des collectivités locales, des communes et communautés de communes, des opérateurs sont donc mis à contribution. "On ne peut plus", souligne Michel Oberlé, qui rappelle également que les personnes qui souhaitent accéder à la propriété voient elles aussi leurs apports personnels augmenter dans une proportion délirante compte tenu de leurs capacités financières. Résultat : de moins en moins de logements sociaux sont livrés chaque année, le taux de rotation sur le parc existant est en chute très rapide, 26.000 demandes de logements sociaux sont en attente alors que seulement 5.000 ont été attribués en 2005. Il y a là "un véritable écart entre les besoins et ce que l’on peut mettre à la disposition des demandeurs". La solution s’affirme alors de façon claire et évidente pour Michel Oberlé : la déclinaison locale du volet logement du Plan de Cohésion Sociale où l’État s’engage auprès des sociétés HLM et des SEM immobiliers dans une programmation sur 5 ans qui prend en compte l’augmentation des Autorisations d’Engagement et des coûts. Un dispositif similaire doit être appliqué localement attendu que l’État doit également accélérer le paiement de sa dette aux opérateurs et que les paramètres de financement doit être révisés.

Des intentions sans suite

La crise du logement social est pour Michel Oberlé "une bombe à retardement qui peut avoir des effets graves". Déjà aujourd’hui, on assiste aux prémices de l’explosion avec l’insatisfaction de la demande, l’accélération de l’habitat informel, la multiplication des marchands de sommeil... C’est un bon en arrière de plusieurs années qui est en train de s’opérer. Et pour le délégué de l’ARMOS, il n’y a pas de quoi être optimiste. Il y a fort à parier que le gouvernement ne réagira pas à l’approche de l’élection présidentielle et même si des mesures favorables étaient prises, il faudrait au minimum deux ans pour relancer l’offre de logements sociaux. "Lors du passage de Borloo en 2004 accompagné du ministre du logement de l’époque, il avait annoncé que la loi Engagement National pour le Logement (ENL) serait dotée d’un volet spécifique pour les DOM, rappelle Michel Oberlé. Il n’y en a pas eu ni de loi spécifique Habitat pour l’Outre-mer". Pourtant, La Réunion et l’ensemble des départements d’Outre-mer devraient "faire partie d’une réflexion ENL".

Stéphanie Longeras


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