Eugène Rousse

« A La Réunion, la volonté est d’isoler la CGT »

17 mai 2008

« Tout commence avec les grèves qui débutent en France le lundi 13 mai 1968, à l’appel de l’UNEF, de la CGT, de la Fédération de l’Education Nationale (FEN) et de FO. Nous l’apprenons ici par la radio. A La Réunion, à l’appel du SNI, la grève est effective dans l’Education nationale le 22 mai. Pour l’enseignement, le SNI a appelé à une grève générale illimitée.
Le mardi 21 mai, le PCR lance un appel “Travailleur tous debout !” »

Bien que le contexte ait été ici très différent, il y a eu aussi en mai 1968 un fort mouvement revendicatif et syndical. Quelle a été sa portée selon vous ?
¬- Tout commence avec les grèves qui débutent en France le lundi 13 mai, à l’appel de l’UNEF, de la CGT, de la Fédération de l’Education Nationale (FEN) et de FO. Nous l’apprenons ici par la radio. A La Réunion, à l’appel du SNI, la grève est effective dans l’Education nationale le 22 mai. Pour l’enseignement, le SNI a appelé à une grève générale illimitée.
Le mardi 21 mai, le PCR lance un appel “Travailleur tous debout !” Cet appel trouve sa réponse. Le vendredi 24 mai, c’est la grève générale d’avertissement à l’appel de la CGT, de la CFDT et de FO. C’est une grève de 24 heures, qui vise à obtenir notamment des augmentations sensibles de salaire ; le strict respect de la liberté syndicale et la signature de conventions collectives.

La grève intervient dans un contexte fortement politisé, avec un appel à un meeting pour l’autonomie, Cour Basile, le lendemain, samedi soir...
- Paul Vergès, de retour de Paris, organise une conférence de presse le vendredi 24 mai. Au lendemain de la grève générale d’avertissement, des meetings sont organisés dans toute l’île le samedi 25 mai à l’appel du PCR, de la CGT, de l’UFR et du F.J.A.R. Au cours de ces meetings du 25 mai, cinq travailleurs sont arrêtés à Saint-Pierre, dont Maurice Labenne - qui est alors un syndicaliste membre du bureau de la CGT (avec Baba Selly, notamment - Ndlr). Au Port, au cours de la nuit de samedi à dimanche, deux travailleurs sont gravement agressés par des CRS, qui bien sûr ne seront pas inquiétés. La ville du Port était quadrillée par les CRS, et des brutalités sont commises en divers points de l’île. Des travailleurs sont arrêtés sans motifs, la photo de Maurice Labenne menottes aux poignets paraît dans le “JIR”.

La grève des travailleurs CGT va durer plus d’une semaine, dix jours dans le BTP. Toujours unitaire ?
- Devant le refus de toute négociation, l’UD des syndicats CGT lance un mot d’ordre de grève illimitée, le 27 mai, mais là il n’est plus question de la CFDT ni de FO. Le jour même, à Paris, des négociations patronales et syndicales débouchent sur le constat de Grenelle, qui prendra valeur d’accord après la ratification par les travailleurs.
A La Réunion, la volonté est d’isoler la CGT ; son appel à la grève provoque une réaction pour le moins curieuse chez les autres syndicats. Ainsi le SNI qui avait appelé ses adhérents à cesser le travail à compter du 22 mai, décide dans la soirée du 26 mai de lever son mot d’ordre de grève, sous prétexte que « l’entrée dans la grève de la CGT politise le mouvement ».

Les syndiqués du SNI ne disent rien ?
- J’étais dirigeant syndical à l’époque ; je suis allé au Tampon pour cette réunion au cours de laquelle la reprise du travail a été décidée. Le communiqué a été envoyé directement à radio Saint-Denis... qui diffuse. On ne consulte pas la base ! C’est le reproche que nous, minoritaire au sein de la FEN, avons fait à la direction de la Fédération. Les décisions se prennent au sommet et la base n’est pas consultée !
Cette analyse n’est toutefois pas partagée par le SNES, autre syndicat d’enseignants, qui « n’entend pas s’incliner devant la menace d’exploitation de la grève, trop facilement agitée à La Réunion devant toute action syndicale. » Le SNES a continué la grève.

Quels en ont été les acquis pour les travailleurs réunionnais ?
- Au bout d’une semaine de grève, l’UD enregistre des succès dans plusieurs secteurs : dans le BTP le salaire horaire le plus bas passe de 92,30 frs CFA à 105 frs ; le salaire horaire le plus élevé passe de 156 frs à 169 frs et même 172 frs CFA à la SGTE (Société des Grands travaux de l’Est) et SBTPC.
Dans les usines sucrières, l’augmentation est de 10% ; l’augmentation de salaire consentie aux dockers atteint 30%. L’engagement est pris de discuter des conventions collectives à compter du 1er juillet. Le SMIG (salaire minimum garanti) est augmenté de 12% le 3 juillet 1968, mais l’écart avec le SMIG métropolitain se creuse et passe de 17% à 31%. En appliquant au SMIG en vigueur à La Réunion (92,30 frs CFA) le même taux d’augmentation qu’en France (35%), on aboutit à un SMIG horaire de 124,10 frs. Or dans la plupart des branches d’activité, ce SMIG n’atteindra pas 100 frs et il n’est porté qu’à 103,40 frs par le Conseil des ministres du 3 juillet 1968.

La grève s’est élargie et renforcée lorsque l’Union départementale CGT tient son Congrès le 1, 2 et 3 juin à la Plaine des Palmistes
- Le 7e Congrès de l’UD se déroule à la Maison de nos Enfants et décide de transformer l’Union Départementale des syndicats CGT en centrale autonome - la CGTR - « afin de donner aux travailleurs réunionnais des pouvoirs de décision plus étendus ». Fabien Lanave est élu secrétaire général de la nouvelle centrale.
Ces grèves n’ont pas été inutiles, puisque cela aboutit à des augmentations du SMIG, même si ce ne sont pas celles auxquelles les travailleurs pouvaient s’attendre. Lorsque la loi du 2 janvier 1970 créé le SMIC (salaire minimum interprofessionnel de croissance), le SMIC Réunion s’élève à 68% du SMIC métro. Après 70, il décroît de 68% à 66,7% en 1973, puis 66,6 % en 1974
pour remonter à partir de 74. En 80, il sera à 74,9% du SMIC métro et 77,8% en 1983. L’écart est resté important.
Il faut souligner qu’après la naissance de la CGTR, il n’y a plus eu de contact entre le “nouveau venu” sur la scène syndicale et les autres organisations.
Après 68, le mot d’ordre des organisations syndicales a été d’isoler la CGTR, de la diaboliser - on les traitait de “séparatistes”. Au sein de la FEN, le SNI agira ensuite pour l’unité d’action de la classe ouvrière, par un rapprochement entre la CGTR et les autres organisations syndicales. Nous estimions qu’il n’était pas possible d’isoler la CGTR, qui représentait un taux élevé des salariés réunionnais.

Est-ce qu’à votre avis ces événements ont contribué à lever un tant soit peu la “chape de plomb” qui étouffait la vie politique et sociale de l’époque ?
- Je ne pense pas. Lorsque le Congrès s’achève à la Plaine des Palmistes, la CGTR fait une demande à la Préfecture, pour obtenir la mise à disposition du Jardin de l’Etat et rendre compte de ses travaux aux travailleurs du Nord : elle essuie un refus catégorique. Les élections législatives de fin juin 1968 sont marquées par des incidents violents ; c’est encore la fraude, une fraude grossière, cautionnée par les autorités de l’époque.

La mort d’Edouard Savigny, le 10 décembre 1967, avait créé une forte émotion...
- Enorme. Mais ses assassins ont été acquittés ! Sauf un, condamné à une peine avec sursis.

Entretien P. David


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