Remise en cause du droit de grève

« Ah non ! vous n’allez pas faire ça ! »

8 août 2007

Imaginons “l’entreprise d’après”, avec l’obligation pour le salarié d’annoncer individuellement 48 heures auparavant sa participation à une grève...

Imaginons “l’entreprise d’après”, avec l’obligation pour le salarié d’annoncer individuellement 48 heures auparavant sa participation à une grève...
48 heures, c’est long dans ces cas-là ! Êtes-vous informé à temps, êtes-vous convaincu à temps, êtes-vous pour ou contre ? Savez-vous ce que font vos collègues ? Votre syndicat ? Dans votre branche, dans votre entreprise, qu’est-ce qu’en pensent tous vos collègues, soumis comme vous à la feuille blanche, au formulaire, à l’autodéclaration, à l’affrontement individuel avec le chef ?
En tout cas, votre hiérarchie, elle, va savoir manipuler, diviser, opposer, intoxiquer, menacer, allécher, susurrer, manier carotte et bâton... Imaginez les discussions dans l’atelier, le bureau, la boutique, le service, le bureau de la DRH ou avec les chefs de personnel : « Tu y vas, tu n’y vas pas... ». « Tu donnes ton nom le premier, tu donnes le mien, on fait une liste ? - Non, c’est individuel ».
Le chef qui arrive : « Ah non ! vous n’allez pas faire ça ? ». Ou : « Pas question de grève ici, n’est-ce pas ? Avec le boulot qu’on a ! ». La note de service qui fait pression. Le formulaire sophistiqué à remplir, inventé par une hiérarchie tatillonne : « Si vous faites grève, c’est de telle heure à telle heure », ce jour-là, pour ce service-là, telle prime sera perdue, en plus du salaire... Le petit entretien individuel dans le couloir : « Monsieur, vous n’allez pas faire ça, déjà que vous savez, pour votre note, pour votre promotion, pour vote mutation, pour votre réduction d’ancienneté, pour votre prime. Vous repasserez. - Ah, je pensais à vous pour tel poste, dommage... ».
« Dites c’est impossible, il y a déjà trop de grévistes, pas vous... ».
Ou encore : « Mais il n’y a que vous qui avez donné votre nom ! ». Et les contestations : « Mais vous n’aviez pas dit... ». « Mais vous n’étiez pas sur la liste ». Hésiter ? Ah non, il faut choisir, et tout de suite. Et le jour de la grève : « Ah mais il est trop tard, pas possible de changer d’avis, je comptais sur vous ». Les communiqués de service : « On a remplacé tout le monde », « La grève n’a pas eu d’effet », « Moins de 20% de grévistes », « Le service a été intégralement assuré » (mais en fait, 60% étaient en grève et verront leur salaire perdu... Sans résultat apparent, déception pour la fois suivante).
Et après la grève : « Votre nom n’était pas sur la liste, vous étiez en grève, vous êtes en faute ». Avertissement, lettre de rappel, lettre de mise à pied... « Votre délégué n’a pas donné la bonne liste, c’est sa faute », ou encore : « Mais je ne veux rien savoir de votre délégué, c’est à vous personnellement de vous engager et de venir me voir et ne me dire que vous serez en grève ». « Ah ! vous vous inscrivez pour la grève...? Entre nous, cette grève-là, elle ne va pas marcher, pourquoi vous la faites ? Je vous donne un conseil, entre nous, ne la faites pas, ça va être mal vu. Et si vous la faites, je saurai m’en souvenir ! ».
Cela va être le déchaînement : déjà que faire grève est un acte de courage et de résistance exceptionnel dans le contexte actuel de chantage au chômage et à la productivité, cela va être un parcours du combattant : sélectif. Cela fera de la grève, d’un acte collectif, entraînant, solidaire, un parcours individuel, dissuasif, sélectif. Des millions de salariés le savent : « Ce genre de loi, y a qu’une saleté d’ami de taulier de choc pour inventer cela ».
Et cette loi vaut pas seulement pour le prétendu service minimum (lequel n’a aucune justification puisque 98% des incidents, des arrêts dans les transports ne viennent pas de la grève, mais des manques dans le service public, en investissement, matériel, effectifs), elle vaudra bientôt pour les enseignants, pour tout le public et toutes les entreprises du privé, où la terreur et la souffrance au travail qui poussent déjà un salarié par jour à se suicider augmenteront d’autant... Faute de garantie d’emploi, le chantage à la non-grève sera total : tu ne fais pas grève ou je te vire ! Avec un CNE, contrat unique à vie, c’est le retour au 19ème siècle, à Germinal, qui s’amorce !

Gérard Filoche,
Inspecteur du Travail, animateur de la revue “‘Démocratie et socialisme”


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