Bilan social 2006

Amplifier la lutte pour une société plus juste

11 janvier 2007

Chikungunya, lutte victorieuse contre le CPE, climat d’insécurité juridique pour le CNE, le torpillage du congé solidarité : tels sont les principaux dossiers qui ont marqué l’année sociale 2006. Un fil conducteur : la bataille contre la précarité, pour l’emploi, la dignité, la défense des droits acquis et du pouvoir d’achat. Ces mots d’ordre sont toujours d’actualité. Plusieurs organisations représentatives des travailleurs expriment leurs points de vue sur ces différents événements et apportent un éclairage sur les enjeux de l’année électorale qui débute.

Dossier M. M.

Regards croisés pour un bilan

Jean-Marc Gamarus (CGTR)

Tous ensemble pour le droit à la dignité du travailleur réunionnais

Tour d’horizon des événements marquants de l’actualité sociale avec Jean-Marc Gamarus, secrétaire général de la CGTR-Ouest.

« En 2006, un fait important a marqué la vie et l’esprit des Réunionnais : le chikungunya.
La flambée épidémique pas maîtrisée est la conséquence de l’imprévoyance, du laxisme des autorités alors que les parlementaires Huguette Bello et Gélita Hoarau étaient montées au créneau.
Le chikungunya a eu des répercussions sur l’emploi dans l’hôtellerie et la restauration. Cela s’est traduit par des licenciements, notamment à l’hôtel des Aigrettes, ou par des mesures de chômage technique. D’autres secteurs ont connu une inquiétante baisse d’activité, c’est le cas des taxis, et aussi d’une centaine de guides péi confrontés au chômage technique. Le chikungunya était le coup de massue de 2006.
À la CGTR, nous souhaitons que cette crise serve de leçon afin qu’un service de prophylaxie soit mis en place de façon pérenne.

Une autre société est possible

Un autre fait marquant de 2006 a été la mobilisation des TOS, transférés contre leur gré aux collectivités locales contre l’avis de ces dernières. Les collectivités sont confrontées à des difficultés provoquées par cette nouvelle compétence car les moyens correspondants n’ont pas été transférés. Chez les TOS, une autre bataille a concerné les précaires. Ils luttent pour leur intégration. Dans cette bataille, la CGTR a joué un rôle d’accompagnement et de moteur. Une première avancée est la reconduction des contrats pour deux ans sous forme de CAE. Nous comptons remobiliser et conscientiser les personnels afin que les TOS précaires soient pleinement reconnus.
C’est en 2006 qu’a été livrée une grande bataille contre la précarité. Avec le Contrat Première Embauche (CPE), le gouvernement voulait traduire dans la loi la mise en place de la précarité généralisée. Cela a entraîné la mobilisation massive des étudiants, des lycéens et aussi des parents. Les jeunes ont pris conscience que leur avenir se jouait dans l’issue de la lutte menée contre le CPE. Et toutes les organisations syndicales ont montré leur opposition. Elle s’est notamment concrétisée par la grève nationale du 6 février 2006, et par une intense mobilisation en mars. Finalement, Dominique de Villepin, Premier ministre, a dû capituler en rase campagne. La défaite du CPE est une victoire pour tous ceux qui veulent montrer qu’une autre société est possible. La lutte contre le CNE, Contrat Nouvelle Embauche, continue.
C’est aussi un appel à la vigilance face au développement d’une société que l’on veut nous imposer : la société de la précarité. Une précarité institutionnalisée que certains voudraient imposer comme la norme, alors que pour nous, c’est l’emploi pérenne, le contrat à durée indéterminée qui doit être la norme.

Prix et revenus : aller au fond sans a priori

L’an passé, nous avons soutenu la mobilisation des travailleurs originaires de l’Outre-mer de la Fonction publique qui exercent en France. Le 28 avril, ils ont manifesté contre les discriminations dont ils sont la cible. Les salariés originaires des DOM-TOM sont des salariés à part entière. Aux côtés d’autres organisations, nous menons une lutte permanente pour que les originaires de nos pays ne soient pas déconsidérés.
L’Observatoire des prix et des revenus est un autre dossier important de l’année écoulée. Nous considérons que l’on ne peut pas dissocier l’Observatoire des prix du pouvoir d’achat. Nous devons avoir les moyens de juguler les flambées des prix. À travers cet Observatoire, l’objectif est de réfléchir collectivement à une Réunion solidaire. Cela passe par la vérité sur les prix, pour que les Réunionnais puissent être au courant des facteurs qui sont à l’origine des distorsions. Et plutôt que de faire porter la responsabilité de la vie chère sur une catégorie de travailleurs, un tel outil permettra d’aller au fond des choses, sans a priori.
Nous saluons également le dynamisme du BTP. C’est un secteur boosté par les grands chantiers et la commande publique. Nous pensons notamment à la route de Tamarins financée par la Région et aussi à l’extension du port. Ce dynamisme se traduit par des milliers d’emplois assurés pour plusieurs années.

Combatifs et déterminés

Autre point, la condamnable réforme de l’assurance chômage. Elle amène à la trappe des chômeurs culpabilisés, que la réforme veut rendre responsables de leur chômage. C’est ajouter de l’humiliation à des personnes humiliées parce qu’elles n’ont pas de travail. C’est une atteinte à l’individu, une atteinte à la société. Nous déployons notre énergie pour tendre la main à ces travailleurs.
Je poursuivrai en notant le phénomène de la valse des ministres dans notre département à l’approche des élections. Ils viennent pour ne rien dire mais pas pour ne rien faire. Des stratégies se mettent en place, que les travailleurs jouent gagnants et ne se laissent pas prendre au jeu des bonimenteurs. En cette année électorale, les travailleurs doivent se positionner par rapport à leurs combats et leurs revendications.
Pour l’année qui commence, nous souhaitons que les salariés soient encore plus combatifs et déterminés. Qu’ils ne comptent pas sur les autres pour agir fortement sur leurs revendications, pour améliorer leurs conditions de travail. Tous ensemble pour l’emploi pérenne, pour défendre les acquis, le pouvoir d’achat, le service public garant de la cohésion sociale, pour le droit à la santé, le droit à l’éducation, le droit à la formation et surtout le droit à la dignité.
Nous souhaitons que 2007 soit une année de lutte, de solidarité et d’espoir pour une société plus juste et plus humaine. Bonne et heureuse année sous le signe de la satisfaction et de la réussite ! »


Emploi local : montrer l’exemple

Il a fortement été question l’an passé de la préférence régionale. Sur ce point, voici le commentaire de Jean-Marc Gamarus.

« Il a été question de l’emploi local dans le débat l’an dernier. Je remarque que chaque fois que l’on dit qu’il est nécessaire de donner d’abord du travail aux locaux, on est souvent taxé de racisme.
Mais nous ne pouvons pas accepter que nos jeunes qui ont fait des études soient en marge de la société sous des prétextes aussi divers que le manque d’expérience. C’est de la foutaise et les Réunionnais en prennent conscience. Je rappelle d’ailleurs que le président de la Chambre régionale des comptes a souligné le manque de cadres locaux dans les postes à responsabilité à La Réunion.
En 2007, nous devons nous mobiliser pour que notre jeunesse soit mise en avant.
Cela passe par un appel aux autorités et aux collectivités. Dans des collectivités, on parle de promotion locale alors qu’en coulisse, on s’entoure de collaborateurs extérieurs. Les collectivités locales doivent montrer l’exemple, elles doivent recruter massivement des cadres locaux.
La Réunion doit être pilote dans la promotion de sa jeunesse. Notre jeunesse est méritante, notre jeunesse a droit à un travail ».


Le congé solidarité sacrifié

Au lieu d’être amélioré, le congé solidarité a été remis en cause par un amendement législatif. Réaction de Jean-Marc Gamarus.

« Le congé solidarité a été également au centre des luttes l’an passé. Le 4 novembre a eu lieu au centre de formation consulaire du Chaudron l’assemblée générale des délégués de trois syndicats : CGTR, UNSA et CFTC. Thème de l’assemblée générale : le congé solidarité. Cela faisait plus d’un an que les organisations syndicales interpellaient l’État pour la reconduction du dispositif. Une mesure qui a permis à 3.000 salariés de plus de 55 ans de quitter un travail pénible, dans le commerce notamment, en échange de l’embauche d’un jeune de moins de 30 ans. L’assemblée générale s’est prolongée par une grève intersyndicale. Le mouvement a connu une importance significative.
Malgré cela, le congé solidarité a été sacrifié suite à la présentation d’un amendement de Bertho Audifax. Cet amendement a permis une reconduction au rabais, il vide le congé solidarité de sa substance, il tord le coup au dispositif et ne rend pas service à La Réunion, ni aux travailleurs. Tout d’abord il diminue l’aide de l’État, qui va payer le manque à gagner ? Ensuite, les nouveaux critères excluent de nombreux travailleurs : ceux qui sont salariés dans des organismes comme la sécurité sociale ou la CAF, les employés du commerce. Or c’est précisément de ces secteurs que provient la majorité des travailleurs qui ont fait valoir leur droit au congé solidarité.
Les organisations syndicales sont mobilisées pour que l’on revoie cet amendement. N’oublions pas que le congé solidarité tel qu’il existait auparavant permettait d’offrir un espace professionnel aux jeunes de moins de 30 ans. Eu égard au taux de chômage à La Réunion, un dispositif qui a permis l’embauche de 3.000 jeunes n’est pas à négliger ».


Jean-Pierre Rivière (CFDT)

Les partenaires sociaux plus que jamais incontournables

La lutte victorieuse contre le CPE montre au gouvernement ce qu’il en coûte de passer outre les partenaires sociaux, estime Jean-Pierre Rivière, secrétaire général de l’UIR-CFDT.

« Tout d’abord la catastrophe du chikungunya. L’épidémie a eu non seulement un impact économique, mais aussi sur la santé et les finances des travailleurs. Le chikungunya a permis de révéler que très peu d’entreprises ont des contrats de prévoyance. Cette carence a provoqué une diminution des revenus des salariés qui ont subi le contrecoup des difficultés de leurs entreprises. Si ces dernières avaient toutes souscrit de tels contrats, les travailleurs auraient moins souffert. Il est à noter que dorénavant, les contrats de prévoyance font partie des négociations annuelles obligatoires.
L’autre événement marquant de l’année a été la bataille victorieuse contre le Contrat Première Embauche (CPE). En tentant d’imposer son projet, le gouvernement a réussi le tour de force de reconstruire une intersyndicale désunie suite à des prises de positions divergentes au sujet de la réforme des retraites. Et l’élan intersyndical donné par la lutte contre le CPE n’est pas retombé.
La défaite du gouvernement montre également que quoi qu’il fasse, il doit compter sur les partenaires sociaux.

Congé solidarité vidé de sa substance

Concernant l’autre contrat qu’a créé ce gouvernement, à savoir le Contrat Nouvelle Embauche (CNE), contrairement au CPE, nous n’avons pas pu avoir un rapport de force favorable dans la rue, nous sommes en train de l’obtenir dans les tribunaux. À La Réunion, la CFDT défend une salariée du Cinépalmes qui avait signé un CNE et qui a ensuite été licenciée. Elle a contesté son licenciement devant les prud’hommes. Si la justice lui donne raison, alors à La Réunion les patrons seront beaucoup plus prudents avant de licencier un travailleur en CNE.
Le dernier point, c’est l’arrêt de mort du congé solidarité par le gouvernement et deux députés réunionnais. Un amendement, voté à la sauvette en pleine nuit, vide cette mesure de sa substance puisqu’elle exclut du champ d’application les entreprises qui fournissaient l’essentiel des bénéficiaires du congé solidarité.
Dans de telles conditions, le nombre de personnes qui peuvent y prétendre diminue fortement, et quand il sera question d’évaluer le dispositif, le gouvernement annoncera que le congé solidarité coûte trop cher du fait d’un faible nombre de bénéficiaires, et, en utilisant cet argument, il supprimera le congé solidarité, à moins que l’élection présidentielle change la donne ».


Eric Marguerite (Force Ouvrière)

Lutter pour les salaires, contre le chômage et la précarité

Pour le secrétaire général de FO-Réunion, l’année passée montre que la lutte paie, en témoigne l’issue victorieuse de la bataille contre le CPE et les acquis dans la lutte contre la précarité.

« Tout d’abord le problème de la gestion du chikungunya a montré la nécessité d’un service public fort. En effet, pendant des années, le service de prophylaxie a été peu à peu démantelé. Il faut nettoyer La Réunion en profondeur pour détruire les zones de prolifération des moustiques. L’impact du chikungunya révèle qu’il faut repenser la stratégie.
Sur le plan social, les travailleurs ont souffert des conséquences de la crise sanitaire et économique. Les salariés du tourisme, par exemple, souffrent encore des séquelles de la catastrophe.
L’année 2006 a été marquée par la lutte contre la précarité. La bataille contre le Contrat Première Embauche (CPE) que le gouvernement voulait imposer a été l’occasion d’une grande mobilisation réunissant les travailleurs et les jeunes. Seule la mobilisation a compté, et le CPE n’est plus.
Contre le Contrat Nouvelle Embauche (CNE), nous sommes en train de gagner sur le terrain juridique. Car ne perdons pas de vue que le CNE est un CDI avec des clauses abusives, permettant le licenciement sans motif pendant une période allant jusqu’à deux ans.
La remise en cause du congé solidarité a été la cerise sur le gâteau de la part du gouvernement. Il s’en prend à une mesure populaire. Il aurait mieux valu voir comment améliorer le dispositif, et pas faire passer un amendement qui au fond est une mauvaise mesure, contre les jeunes.

Augmenter les salaires

Pour 2007, nous allons continuer à nous battre. C’est une période électorale, et cela rime souvent avec mensonges. Pendant quelques mois, nous serons assaillis par des promesses qui ne sont pas faites pour être tenues.
Pour notre part, nous allons lutter pour que les augmentations de salaires ne concernent pas seulement les actionnaires.
Nous constatons que nous sommes face à un patronat de plus en plus arc-bouté sur ses positions. Les négociations annuelles obligatoires sont difficiles. En témoigne la situation dans le secteur du Bâtiment. Le pouvoir d’achat des travailleurs du BTP en a pris un coup, alors que le secteur est florissant avec les grands travaux, comme le chantier de la route des Tamarins.
Au sujet de la Fonction publique, nous ne pouvons que constater la réapparition dans le débat de questions récurrentes qui tombent toujours à des périodes propices à la surenchère. Ce qui risque d’amplifier la précarisation croissante dans la Fonction publique.
Nous n’allons pas vers une société plus juste avec la politique menée. Cette politique s’en prend aux salaires et aux retraites. Elle instaure une médecine à plusieurs vitesses en augmentant chaque année la liste des médicaments qui ne sont plus remboursés.
Nous lutterons pour l’augmentation des salaires, contre la précarité et le chômage. Nous voulons toujours aller de l’avant et nous souhaitons que de plus en plus de travailleurs se retrouvent dans les syndicats ».


Jean-Pierre Técher (AC ! Chômage)

Chômeurs exclus et précaires : se rassembler et agir

Pour le représentant d’AC ! Chômage, l’année 2006 n’a pas permis d’amélioration de la situation des travailleurs les plus démunis. Au contraire, les mesures prisent remettent en cause leur droit à la santé. Quant au pouvoir d’achat, il ne cesse de diminuer.

« En 2006, nous sommes loin du résultat. Un tripatouillage massif des statistiques permet d’afficher une baisse des chiffres du chômage. Mais à La Réunion, la réalité du chômage, c’est le double.
Loin du résultat aussi dans le logement : 1.600 logements sociaux construits l’an dernier, alors qu’il en faut environ 10.000 par an comme le montre les 28.000 demandeurs. Sur le droit au logement opposable, nous devançons les politiques. C’est une revendication que nous portons depuis plus de deux ans, et que nous avions soumise à l’ancien Premier ministre, Jean-Pierre Raffarin. Sa concrétisation est une avancée.
En dépit de la volonté des collectivités, la situation est difficile. 45% de la population est sous le seuil de pauvreté, 45% de la population est bénéficiaire de la CMU.
Le pouvoir d’achat diminue, les salaires et les prestations sociales n’arrivent pas à suivre l’inflation qui reflète un coût de la vie de plus en plus important.
Même avec les emplois-aidés comme le CIRMA ou le Contrat d’avenir, le pouvoir d’achat ne s’est pas amélioré. C’est ce qui arrive à un ancien allocataire du RMI qui a signé pour un emploi aidé. Il travaille, mais ce qu’il gagne en plus de ce qu’il touchait avec son allocation est très insuffisant pour améliorer son pouvoir d’achat.
Cette masse rejoint celle des travailleurs pauvres. Ils ont un salaire qui ne permet pas de pouvoir avoir un logement.

Débattre des vrais problèmes

L’an dernier, la situation des plus de 60 ans ne s’est pas améliorée. Pour la plupart d’entre eux, le montant de la retraite tourne autour de 500 à 600 euros, et en plus ils doivent payer une mutuelle. Pendant ce temps, la liste des médicaments déremboursés ne cesse de s’allonger. À quoi bon payer une cotisation de mutuelle si on a pas droit au médicament dont on a besoin pour se soigner. Sur le plan de la santé, le forfait d’hospitalier augmente, tout comme le prix de la consultation.
Pour 2007, année électorale, nous espérons que tous les candidats vont pouvoir débattre des vrais problèmes de la population réunionnaise. Cela concerne les prétendant à l’élection présidentielle, mais aussi ceux qui briguent un mandat de député ou un mandat local.
Nous souhaitons aussi que les chômeurs, les exclus, les précaires arrêtent d’être des spectateurs, mais se rassemblent pour agir et être acteur de leur destin ».


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