Echec de ’l’entreprise sociale’

ARAST : une crise qui signale la fin d’un modèle

14 janvier 2010, par Geoffroy Géraud-Legros

Le tissu social entier est déchiré par une crise profonde, qui frappe de plein fouet les structures d’accompagnement et d’aide à la personne. La dépression économique s’ajoute aux effets d’une crise structurelle : sous l’effet de cette tourmente, on assiste dans toute l’île à une cascade de dépôts de bilan d’associations spécialisées dans ce domaine. Fortement médiatisé, l’écroulement de l’ARAST a brutalement porté cette débâcle à la connaissance de l’opinion publique. Toute La Réunion a ainsi été témoin de la détresse et du combat des personnels de l’association, privés de revenus pendant la période des fêtes.

Une sortie de crise pourrait être en vue. Mardi, les élus de la Région ont voté à l’unanimité une motion demandant l’application du droit. 24 heures plus tard, le représentant de l’État a annoncé le versement par l’AGS de l’équivalent d’un mois de préavis aux anciens salariés de l’association.
Ce début de règlement ne doit pas masquer le problème de fond posé par la crise de l’ARAST. En effet, la chute de cette association, qui a été dotée d’un budget de 23 millions d’euros et a employé jusqu’à 1.200 salariés est avant tout un symptôme : celui de l’épuisement d’un modèle basé sur les « entreprises sociales ». Longtemps, ce type de dispositif, qui confiait à des associations des missions telles que l’animation, l’aide à la personne et la prise en charge de l’enfance. a été plébiscité par de nombreux élus et experts. A leurs yeux, ces « entreprises sociales » apparaissaient comme une alternative à l’entreprise capitaliste classique et à l’intervention publique directe. Dans l’opinion, la grande connaissance de l’action sociale et l’engagement civique et caritatif des dirigeants de ces structures étaient présentés comme les meilleures garanties de succès. La réalité des rapports économiques et sociaux s’est chargée de montrer que les bonnes intentions, fussent-elles portées au rang d’idéologie et de croyances, ne pèsent pas lourd face aux contradictions sociales.

Derrière la vocation sociale, un abîme entre dirigeants et salariés

Ainsi, la faillite a révélé que les dirigeants recevaient des rémunérations dont les montants apparaissent incroyablement décalés par rapport à la grande majorité des salariés qui, jour après jour, accomplissaient une mission d’intérêt général pour le montant d’un SMIC. Le contraste entre cette vocation sociale et les rémunérations des dirigeants les plus hauts placés, —P.J. 8.395,89 euros (net) ; L.M. 8.217,26 euros (net) ; D.P. 6.152, 43 euros (net), P.T. 6.052, 61 euros (net), auxquelles s’ajoutaient certains avantages — mise à disposition de véhicules et prestations diverses — est saisissant.
Plus choquante encore est l’ignorance dans laquelle étaient maintenus la plupart des travailleurs de l’ARAST de cet écart entre le revenu de leur travail et celui que percevaient les responsables. Rétrospectivement, l’opacité est telle que l’on est en droit de se demander si les employés de l’ARAST connaissaient eux-mêmes l’identité des membres du Conseil d’administration de l’association… Que dire, dès lors, de l’injustice qui apparaît lorsqu’on se penche sur le problème de la protection des salariés de l’ARAST ? Avec la faillite de leur employeur, ces derniers, à qui on avait bien souvent caché l’état désastreux de la situation, se sont retrouvés sans ressources.

L’urgence d’un nouveau modèle

Happés par la précarité pendant les fêtes de fin d’année, les travailleurs de l’association déchue se sont heurtés au refus exprimé par l’Assurance garantie salaire (AGS) de régler les indemnités qui leur étaient dues. Rien de normal, pourtant, dans ce rejet : c’est précisément le rôle de cet organisme, placé sous le contrôle des ASSEDIC, de garantir les salaires en cas de faillite. Dans le même temps, alors que les travailleurs se débattaient dans une situation de plus en plus difficile, ils découvraient que 65 membres de l’ARAST étaient protégés, et percevaient des indemnisations… servies par la même AGS ! Preuve est donc faite qu’il est est tout à fait possible, légalement et financièrement, de payer les employés de l’ARAST dans le besoin, qui ne font que demander l’application de la loi. On voit ainsi éclater le constat d’échec total de « l’entreprise sociale » : vouée initialement à la défense des plus faibles sur des bases morales, l’ARAST a en réalité creusé en son sein même un abîme entre des dirigeants riches qui ne prenaient aucun risque, et des employés maintenus au salaire minimum, qui ont durant des années travaillé à l’intérêt collectif. Cette injustice s’est poursuivie jusque dans la chute, maintenant les responsables les plus nantis, souvent déjà reclassés, à l’abri des conséquences d’une chute dans laquelle ils ont pourtant une large part de responsabilité. La faillite a révélé une part de cette inégalité de traitement, que tous jugent aujourd’hui inacceptable ; il reste maintenant à faire toute la lumière sur les mécanismes précis qui ont conduit à la catastrophe. De manière plus profonde, la faillite de l’ARAST signale l’urgence d’un nouveau modèle de services pour l’aide apportée à la personne.

Geoffroy Géraud-Legros


An plis ke sa

Le communiqué du préfet boycotté par RFO
Hier dans le journal télévisé le tour de force de parler pendant 15 minutes de l’ARAST sans mentionner la publication par le préfet d’un communiqué qui contient les nouvelles très informations très importantes que nous reproduisons, et qui annonce notamment que l’AGS s’apprêterait à verser l’équivalent d’un mois de préavis à tous les anciens salariés de l’ARAST.
Il est dommage que les usagers du service public d’information aient été privés de l’information la plus importante de la journée sur ce sujet.

L’AGS se conforme au communiqué du préfet
Interrogé hier, le directeur de la caisse locale AGS a indiqué avoir obtenu l’accord de sa direction pour le versement prochain de l’équivalent d’un mois de salaire au bénéfice de tous les anciens salariés de l’ARAST. « Nous nous conformons au communiqué du préfet », a dit en substance Erik Marimoutou.

La pertinence de la motion
Hier, l’Intersyndicale de l’ARAST a par voie de communiqué fait part de sa déception à la suite du vote de la motion de la Région. Manifestement, le communiqué a été rédigé avant que ses auteurs aient pu prendre connaissance des informations données par le préfet. Ces dernières montrent au contraire toute la pertinence de la motion adoptée à l’unanimité par les conseillers régionaux.

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Messages

  • Pouvez-vous intégrer dans votre forum ces quelques précisions à l’article sur "la fin d’un modèle" ?

    1- L’ARAST était une association loi de 1901 financée sur des subventions du CG ou sur des prestations payées par le CG ; cela n’en fait pas une "entreprise sociale", la finalité d’une entreprise, même sociale, étant de faire du profit. L’association se situait dans le champ de l’action publique autorisée. Il s’agissait d’intervention publique directe et indirecte.
    2- Votre 3e colonne contient une autre erreur grave : vous évoquez 65 membres de l’ARAST "protégés" et affirmez qu’ils "percevaient normalement leurs indemnités" (sous-entendu : de chômage). Est-ce par ignorance de ce qu’est un "personnel protégé" dans le droit syndical ? un salarié comme les autres qui, parce qu’il voue une partie de son temps à la défense de ses camarades, bénéficie d’une disposition du code du travail qui dit qu’il/elle ne peut être licencié(e) sans que cette décision ait fait l’objet d’une autorisation administrative de la Direction du Travail. Tout simplement pour éviter les abus de patrons qui seraient enclins à licencier tel ou telle de leurs salarié(e)s pour fait syndical - ce qui ne fait pas partie des "raisons valables" de licenciement.
    Sur 1258 salariés confrontés à la liquidation de l’ARAST, 65 (64 en réalité) étaient des représentants du personnel, membres du Comité d’entreprise ou délégués syndicaux dont le licenciement, parce qu’il devait recevoir l’accord de la Direction du Travail, a été prononcé plus tardivement. Et comme ils n’ont pas été licenciés en même temps que les autres, ils ont continué à percevoir leur salaire de décembre. En aucun cas "leurs indemnités", comme vous l’affirmez. Et cette mesure n’a concerné aucun des personnels de direction. Ces 64 salariés n’ont pas perçu leur salaire de décembre de l’AGS, mais du liquidateur, Me Badat.

    Je n’ose pas affirmer ici que Témoignages, historiquement le journal des travailleurs réunionnais, pourrait chercher sciemment à salir le rôle des représentants du personnel, en en faisant des privilégiés, voire des planqués. Mais je constate que vous martelez cette contre-vérité depuis la semaine dernière et je peux vous affirmer, par mes contacts personnels, qu’elle choque beaucoup les ex-salariés de l’ARAST. Je peux vous dire aussi que, sur les 9 grévistes de la faim, 5 sont des "salariés protégés". Comme planqués, il y a pire.

    Je vous saurais gré de bien vouloir publier ces mises au point, avec mon invitation à vous intéresser de plus près aux luttes sociales de La Réunion, ne serait-ce que par respect pour l’histoire du journal qui vous héberge.
    Sur le fond, il y aurait beaucoup à dire sur "l’urgence d’un nouveau modèle de service d’aide à la personne". Mais comme cette conclusion découle de prémisses erronées (présupposé d’un "modèle ARAST" ... qui n’existait pas), il n’est pas nécessaire de s’y étendre.

  • Je confirme également l’abîme entre les salariés et les hauts dirigeants..
    J’attends de voir ce que la motion va donner...

    Bon article en tout cas !
    Gael, rédacteur pour le site danger sante


Témoignages - 80e année


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