Tribune libre

Au secours ! 300.000 Réunionnais sont en grand danger ! (3)

2 août 2007

Cap sur Terrain Elisa, un des quartiers des Hauts de Sainte-Marie.
Nous nous présentons à l’entrée d’une case entourée d’une clôture faite de feuilles tôle kasse-kassé. On ne voit rien, mais on entend des cris d’enfants qui jouent, des gens qui parlent fort.
À force d’appels, un petit garçon, suivi de sa maman, vient retirer la feuille de tôle qui sert de fermeture. Nous discutons dans la rue de ce lotissement de LTS jumelés. La maman finit par nous faire rentrer. Et là, nous découvrons une ribambelle de marmailles, jouant, criant et pleurant. Une vraie cour de récréation.
Un coup d’œil suffit à constater l’insalubrité de la maison et le triste état des lieux. La mère nous apprend alors que son compagnon vient de décéder, il y a tout juste 15 jours. Elle se retrouve seule avec ses 9 enfants, et deux autres de sa sœur que le juge a placés chez elle.
L’état de l’habitation est tel que nous nous demandons si les services sociaux ont constaté les conditions sanitaires dans lesquelles vivent ces enfants dont le plus petit n’a que 18 mois. La jeune veuve - 41 ans - nous fait visiter sa demeure. Trois petites pièces. Pas de lits, mais des matelas de mousse à même le sol. La ventilation se fait mal. Il n’y a pas d’air et une odeur aigre comme si les pièces étaient restées longtemps fermées.
Elle nous raconte comment c’est devenu encore plus difficile avec la disparition de son homme, que même avant qu’il ne décède, ils avaient fait des démarches pour faire ajouter un étage : « Nous vive les uns sur les autres, mon bann’ filles et garçons lé dan la même pièce. Depuis la mort de mon monsieu, personne la pas passé voir à nou. Mi gainye pu supporter, mi arrive pas à zoindre les 2 bouts. Quand y arrive milieu le mois, na pu rien, des fois nana manzé, des fois na point. Seulement la semaine dernière, deux moune du conseil paroissial l’a apporte un carton bazar. Avec 11 enfants, comment y fé ? Mon l’eau la arrive 400 euros, nana crédit pou payer et bann’ marmailles y demande plein de choses. Personne y aide pas nous. Quand ou la poin, personne y fait pas un compte avec ou ». Et là, elle éclate en sanglots. Elle pleure à chaudes larmes et nous dit même que si jamais elle n’y arrivait plus, elle avalerait tous les antidépresseurs que son médecin lui a prescrits à la suite du drame qui l’a frappée. Un des garçons ne parle plus du tout depuis la mort de son papa.
Nous étions accablées. Plus un seul mot ne pouvait sortir de nos bouches et nous avons pleuré nous aussi, l’accompagnant dans sa détresse. J’ai ressenti mon cœur gros, tellement gros que je croyais qu’il allait exploser.
Partout où nous sommes passées ce jour là, les gens se méfiaient, nous accusant presque : « Zot tout lé pareil, zot tout lé voleur, zot y rode rienk pou zot poche ». La question qui revenait le plus souvent c’est « quo ça zot y donne et combien zot y donne ». Bien évidemment, on écoutait et on tentait d’expliquer et de rappeler le travail accompli pour améliorer le sort des plus défavorisés. Certains écoutaient, d’autres ne comprenaient pas et se montraient très hostiles. « Zot i vyien dann tan zélexion aprésa ni trouv pi azot ». Dans ce contexte de profonde misère, tous espèrent pouvoir bénéficier d’un petit quelque chose ou d’argent, alors, parler de notre programme ou de notre plate-forme...!
Dans ce quartier, on a le sentiment d’une population laissée à l’abandon, livrée à elle-même, sans repère. Il ne s’agit pas pour nous d’incriminer qui que ce soit, mais un constat s’est imposé à nous : ils ne connaissent pas leurs droits, ignorent tout de la politique et ils éprouvent le sentiment qu’ils n’existent pas. Ils ont besoin d’être accompagnés, d’être instruits de leurs droits et devoirs. Certains hommes que nous avons rencontrés de bon matin étaient déjà quasiment ivres. Un quartier où le désespoir semble régner sans partage.
Quand on voit ces situations de ses propres yeux, quand on entend de ses propres oreilles ce que vous expliquent ces personnes touchées de plein fouet par les injustices de notre société, on essaie de comprendre, mais beaucoup de questions restent sans réponses. Pourquoi, en 2007, tant de nos semblables sont-ils ainsi maltraités, humiliés ?
Nous avons rencontré la faim, la maladie, l’absence de toit, et surtout une solitude infinie. Maintes fois, je me suis posé cette question dont je sais qu’elle peut paraître sentimentale : où dans ces quartiers y a-t-il place pour l’amour de son prochain et pour l’être humain en général ?
Dans cette société réunionnaise qui est scindée, il y a ceux qui n’ont aucun souci matériel et, à côté, sur une si petite île, ceux qui sont pauvres et luttent pour s’en sortir tandis que d’autres, submergés par le désespoir, sombrent sans fin.
Comment leur permettre de retrouver une combativité qui leur rende confiance en eux ? Si nous n’y parvenons pas, comment oser parler de solidarité, de fraternité ? Comment pouvons-nous vivre en faisant semblant d’ignorer la réalité de ces vies qui ne disposent même pas de 350 euros par mois pour tenter de faire face aux nécessités quotidiennes ?
Ces portes à portes m’en ont encore plus convaincue : c’est de notre responsabilité si nous voulons que l’ensemble de notre peuple réunionnais puisse enfin marcher debout dans une société plus juste. Mais la situation est tellement grave que tous les jours, désormais, dans mon cœur, se forme un véritable appel au secours en faveur de ces Réunionnais abandonnés.

Sylvie Mouniata

(fin)


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