Forum social à Saint-Paul

’Changer le monde’

21 mars 2005

Le “Forum social local de Saint-Paul” s’est réuni pour la première fois samedi dans le centre culturel flambant neuf de la rue Eugène Dayot. Préparée par une association qui se réclame du Forum social mondial de Porto-Alegre, cette journée a été la première d’un mouvement qui veut rassembler pour faire front ’à un processus de mondialisation accélérée de l’économie qui constitue une menace sans précédent pour la paix, la démocratie, les cultures et les droits des peuples’.

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Pour la ville de Saint-Paul, ce forum est une nouveauté et il est bien sûr trop tôt pour dire quelles seront ses suites. Mais il faut prendre la mesure de ce que représente une telle initiative impulsée par une association et un maire issus du courant libéral. C’est peut-être la manifestation la plus évidente de ce que la mondialisation du tout-marché, telle qu’elle se manifeste dans le monde, est en train de poser des problèmes et des questions dans toutes les couches sociales.
Le fait est que le “Forum social de Saint-Paul”, sur la soixantaine des forums sociaux qui se sont tenus en France et Outre-mer, est le premier organisé non pas par un collectif d’organisations citoyennes dressées contre les politiques néo-libérales, mais par un organisateur unique - de coloration UMP - ce qui n’amoindrit en rien, bien au contraire, la portée de ses questions.
Quelles sont les questions soulevées par le Forum de Saint-Paul ? Ce sont d’une part celles données en ouverture par le président du FSL saint-paulois, Bernard Marek, professeur d’histoire au collège Antoine-Soubou et signataire du “Manifeste” de l’association, où l’on trouve la citation : "D’autres mondes sont possibles". Comme beaucoup, le FSL constate que le monde ne tourne plus rond, que les "richesses matérielles de la planète sont (...) accaparées" par des groupes de prédateurs désignés. Il en mesure les risques sur "notre environnement, notre alimentation, l’enseignement de nos enfants, l’exclusion, l’objectivité de la presse, l’impartialité de la justice, notre sécurité, notre mobilité et la liste n’est pas exhaustive".

"Se changer pour changer le monde"

En se réclamant du philosophe et magistrat Jean Bodin (1530-1596) ("Il n’est de richesse que l’homme"), le FSL appelle à des convergences humanistes - “tronc commun” à toutes les formes de résistances - contre "les énormités de la mondialisation" et explique au passage certaines prises de position du maire de Saint-Paul contre les OGM et contre l’accord général sur le Commerce des Services (AGCS). "Ni passéistes, ni moralisateurs, nous voulons dire que chaque être humain a en commun des valeurs universelles. (...) Nous souhaitons faire valoir l’humanité qui est en chacun de nous et mettre en avant nos responsabilités et nos engagements pour qu’un autre monde soit possible" poursuit le manifeste.
"L’humanité des hommes, les pieds sur Terre", était aussi le thème choisi par le maire de Saint-Paul, Alain Bénard, dans son introduction aux débats du matin (voir “Zot la di”) . Articulant responsabilité individuelle et transformations collectives, il a parlé de "ruptures culturelles", pour "réinventer l’espoir" et changer ce monde par l’humanité de l’homme. "Oui d’autres mondes sont possibles, plus justes plus fraternels, plus solidaires", a-t-il conclu en invitant à l’ouverture des travaux.
La séance plénière du matin a été animée successivement par Philippe Jean-Pierre, économiste, Éric Magamootoo, président de la Chambre de Commerce, et Éric Dadier, journaliste financier et ancien rédacteur en chef (section économique) à “l’Express”. Le débat auquel ces trois intervenants ont participé ensuite avec la salle était animé par la journaliste Isabelle Allane.
Trois ateliers ont réuni une cinquantaine de participants l’après-midi sur les thèmes : "se changer pour changer le monde" (atelier 1), "changer les organisations humaines pour changer le monde" (atelier 2) et "changer le supranational pour changer le monde" (atelier 3). Ils ont débouché sur une synthèse de clôture que les absents retrouveront, ainsi que la totalité des interventions de ce Forum, dans les Actes à paraître prochainement. L’association FSL de Saint-Paul a également dans ses projets d’autres rencontres-débats et d’autres conférences. Ils ne reste qu’à souhaiter à ces manifestations un public - saint-paulois et autre - plus étoffé, plus participatif... et encore plus ouvert.

P. David


Zot la di

o Alain Bénard :
Garder les pieds sur terre

Le maire de saint-Paul pense que "tout est encore possible" et notamment d’influer "sur les engrenages qui menacent de nous broyer". Comment ? Par la "remise en cause" des structures en place (il a parlé de l’ONU) et par la "responsabilité individuelle" de chacun d’entre nous.
Cette responsabilité individuelle, le maire de Saint-Paul la situe sur deux plans : consommateur et moral. Nos “choix de consommateurs” (alimentaire, automobile, grandes “marques”) confortent "le système" selon lui. Ainsi, le but de ce Forum saint-paulois est d’appeler à la "participation active" et à une "remise à plat [de] l’ensemble des responsabilités qui sont les nôtres".
Et dans son discours, le maire de Saint-Paul s’est livré à un certain nombre de remises en question. Il suffit de comparer ce qu’ont été les pratiques municipales pour l’affermage de l’eau, il y a quelques années et son refus actuel de considérer l’eau "comme une simple marchandise". Comment ce refus va-t-il se traduire, dans les actes ? Pour tracer "un chemin pour l’espoir", voire renouer avec l’utopie, le maire de Saint-Paul s’en remet aux "moments de rupture" qui ponctuent la vie des sociétés. Le Forum de Saint-Paul, au moins dans l’intention, s’inscrit dans cette démarche de "rupture culturelle". "Comment réinventer la démocratie, comment mieux écouter la voix qui monte de nos quartiers et de nos villes, quels moyens utiliser pour mieux entendre nos concitoyens ?" (...) "Il n’est pas nécessaire d’être d’accord sur tout pour agir ensemble" (...) Il est devenu indispensable d’inventer une façon de créer de l’espace commun sans écraser les pluralités"...

o Laetitia Marchais :
Encore un petit effort...

L’alter-mondialiste Laetitia Marchais, du groupe ATTAC-Réunion, a participé à un atelier l’après-midi et à la synthèse de clôture. "Très intéressée" par la démarche d’Alain Bénard, qui la laisse toutefois "perplexe", la militante d’ATTAC-Réunion pense tout de même qu’il ne faut pas tout mélanger. "Le Forum de Saint-Paul n’est pas un Forum social ! Un Forum social ne se tient pas dans un endroit hyper sélect, sur invitation. Tout le monde doit pouvoir entrer ! Ensuite, ce sont surtout des ateliers et après seulement, une plénière" poursuit-elle, en admettant qu’il peut s’agir "d’erreur de débutants". De même que les thèmes des ateliers : "trop généraux", dit-elle. "L’atelier 1 a fini sur “vive l’amour !” ; l’atelier 2 a donné dans le dualisme “de l’être et de l’avoir”. Quant à l’atelier 3, il n’a rien retenu des interventions qui ont été faites sur l’Europe !" Par "respect pour la démarche des altermondialistes", Laetitia Marchais pense que les organisateurs auraient dû "chercher un autre nom". "Mais la démarche est intéressante", conclut-elle.

o Eric Magamootoo :
Se mobiliser

Le président de la CCIR a puisé dans son mandat tout neuf des exemples de situations intolérables : comment les faire changer ?
"Trois compagnies d’assurance mondiales nous imposent une situation de prise d’otage", a-t-il commencé. D’autres exemples, pris dans l’actualité, ont illustré à ses yeux le fait que les questionnements soulevés par les citoyens - dans ce type de Forum ou ailleurs - révèlent selon lui l’existence d’une "crise des valeurs qui fondent notre humanité". Reprenant au bond certaines "idées paradoxales" d’Alain Bénard, à l’ouverture, il a estimé, avec le Prix Nobel indien de l’économie (Sen), qu’il est urgent de se mobiliser.

P. D.


En séance plénière

Plus de débats, partout

Dans le débat avec la salle, d’autres questions ont affleuré : sur l’emploi et le rôle des politiques ; sur les responsabilités de l’Europe pour élaborer un "droit social" qu’elle sera "bien obligée de reconstruire", a estimé Éric Magamootoo ; sur la nécessité de "dire la vérité" et de multiplier de genre d’initiative, partout.
Le maire de Saint-Paul s’est interrogé sur la nécessité d’introduire "de la démocratie directe" dans les formes de représentation actuelles.
Enfin, si certains étaient très tentés de tout renvoyer vers l’individu, plus facile à culpabiliser, Philippe Jean-Pierre, économiste à Université de La Réunion, a insisté sur le fait qu’il vaut mieux "valoriser les choix collectifs plutôt que les choix individuels", en mettant en place les organismes, les institutions ou les outils nécessaires.

P. D.


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