Une Maison d’Adolescents à La Réunion ?

Comme une évidence

5 avril 2007

À La Réunion, les moins de 20 ans représentent plus de 36% de la population totale. Une situation démographique bien différente de celle de la Métropole et de l’Europe, un atout démographique dit-on, certes, mais de quoi à besoin cette jeunesse pour vivre et développer son pays ? La population réunionnaise est jeune et le développement rapide de La Réunion n’est pas sans influence sur elle, accentuant gravement les clivages générationnels et favorisant l’émergence de nouveaux problèmes de santé, tant somatiques (nutrition, obésité, anorexie...) que psychiques (tentatives de suicide, violences...). Une prise en charges globale des problématiques de l’adolescence s’impose, mais tarde à venir.

Comment prétendre que la jeunesse est un atout pour l’île si on ne lui accorde pas l’attention et l’écoute dont elle a besoin, si on occulte ses souffrances ?
(photo Toniox)

En juin 2004, la Conférence nationale de la Famille - qui réunit chaque année, à Paris, professionnels, institutions, associations, représentants de parents - a acté la nécessité de favoriser le développement des “Maisons des Adolescents”, structures pluri-professionnelles, lieux d’écoute et de prise en charges des adolescents en difficulté, en souffrance physique ou psychologique. Le 25 mai 2005, la Fondation des Hôpitaux de Paris - Hôpitaux de France, présidée par Bernadette Chirac, et le Ministère de la Santé signent une convention de partenariat puis actent, le 23 janvier 2006, l’installation du comité de pilotage chargé de lancer les appels à projets pour la création des “Maisons des Adolescents” sur tout le territoire. Qu’en est-il à La Réunion ?

On en parlait déjà, il y a 20 ans

Il faut remonter à la fin des années 70-début des années 1980 pour constater que ce projet de “Maisons des Adolescents” inspirait déjà une poignée de soignants avant-gardistes. Mais, à l’époque, « cela n’a pas été retenu par l’administration et les tutelles, se souvient l’un de ses pionniers, le Docteur Combes, chef du service pédiatrique du CHD de Bellepierre. Il ne faut pas avoir raison trop tôt ». Après un passage au Québec où il travaille aux côtés du Professeur Jean Wilkins sur la prise en charges des problématiques adolescentes, le Docteur Combes s’installe en 1978 à La Réunion. Il constate déjà des « problèmes sociaux importants, causes ou conséquences de problèmes somatiques chez les adolescents ». Une évolution dans leur prise en charges s’impose. En 1986, des formations d’infirmiers psychologues sont mises en place, puis, l’année suivante, les professionnels du Nord, de l’Est et de l’Ouest établissent une collaboration durable pour le suivi et la prise en charges d’urgences pédo-psychiatriques par le service pédiatrique du CHD de Bellepierre, dirigé déjà à l’époque par le Docteur Combes. Cinq lits d’hospitalisation en court séjour y sont aujourd’hui disponibles, mais ils ne s’adressent pas aux psycho-pathologies lourdes ou longues, comme l’anorexie mentale. Il faudra attendre le premier SROS (Schéma Régional d’Organisation Sanitaire I) pour voir la création, en 1996, du Centre Marie Dessembre à Saint-Denis : structure interdisciplinaire d’hospitalisation pédiatrique de jour proposant 12 places pour les adolescents de 13 à 20 ans. Dans ce même SROS, figurait la création d’un “Centre pour adolescents en crise” dans le Nord, mais il ne verra jamais le jour.
Ce n’est qu’en avril 2005 que le “Centre Adolescents”, structure ambulatoire unique en son genre à La Réunion, ouvre ses portes à proximité du CHD, rue Tourette. Cette unité fonctionnelle de pédopsychiatrie assure des suivis individuels, un travail familial, des ateliers thérapeutiques et permet un élargissement des partenariats. Censé accueillir uniquement la population de Saint-Denis et de Sainte-Marie, des jeunes viennent pourtant de l’Est et de l’Ouest de l’île, de façon certes encore marginale, faute de transports. Saint-Benoît accueillant les jeunes seulement jusqu’à 14 ans contre 15 ans pour Saint-Pierre : il y a toujours un déficit dans la prise en charges des adolescents à La Réunion comme la nécessité d’une prise en compte des problématiques adolescentes à partir d’une approche globale et multidisciplinaire.

Prévu pour juin 2007, mais toujours aucun site !

Il y a 2 ans, sous l’égide du Département, un groupe de travail rassemblant institutions et associations s’est réuni pour réfléchir à la promotion d’une “Maison des Adolescents” - voire des Maisons des Adolescents, puisque le dernier SROS en mentionne 3. Mais la Collectivité s’est désengagée : ce travail préparatoire n’a donc trouvé aucun relais, ni donné lieu à aucune publication ! L’EPSMR (Etablissement Public de Santé Mentale de La Réunion), le CHD et l’ASFA (Association Saint-François d’Assise), 3 acteurs sanitaires dont la solidité de la structure administrative semble la plus à même de faire vivre le projet, ont donc dessiné ses contours (rejoints à la dernière réunion par le Département). L’axe fort de cette “Maison des Adolescents” étant sa multidisciplinarité, d’autres acteurs ont été invités à en finaliser les grandes lignes, et parmi eux, la Défenseuse des Droits de l’Enfant, l’Education nationale, la Protection Judiciaire de la Jeunesse, les juges pour enfants... ont répondu présents.
L’ARH et l’Etat ont lancé l’appel à projet en août 2006. En avril 2007, à 2 mois de la concrétisation prévue du projet, alors même qu’aucun foncier n’a encore été dégagé par la Mairie de Saint-Denis, il reste encore à communiquer sur sa teneur et son intérêt, pour fédérer les énergies, pour convaincre partenaires et financeurs, les plus difficiles à trouver. Quand la “Maison des Adolescents” verra-t-elle vraiment le jour ? Que de choix politiques en suspens.

« Constituer un esprit de lutte autour de ce projet »

Pour Michel Brun, Directeur de l’EPSMR, « il faut constituer un esprit de lutte autour de ce projet. On va continuer à travailler, continuer à tenir le drapeau tant qu’il faudra le tenir, le temps que les choses se construisent, que les moyens se renforcent ». Et c’est pourquoi, voilà 15 jours, dans le cadre de la Semaine nationale de Santé Mentale dont le thème était cette année “Adolescents, citoyens en devenir”, EPSMR, CHD, ASFA et Centre Adolescents avaient convié un large panel de professionnels et de partenaires à une conférence-débat autour du projet. L’occasion de prendre des contacts et de travailler ensemble sur sa concrétisation, qui s’apparente, pour nombre de personnes fermement convaincues de sa pertinence et de sa nécessité, à un rêve inaccessible. Un juge pour enfants, présent dans l’assistance, remerciera d’ailleurs longuement les porteurs du projet, et le Docteur Combes pour sa persévérance. Des remerciements qui en disent long sur les attentes de chacun, les besoins ressentis sur le terrain. Reprenant les propos circonstanciés de François Miterrand qui disait que « tout reste inachevé », le Docteur Combes, qui prendra sa retraite en septembre de cette année, après des années de travail au contact des adolescents de La Réunion, souhaite bien sûr que ce projet phare soit relayé. Bien sûr, la question des financements reste encore le frein majeur avancé par les décideurs (quand ce n’est pas leur incapacité à mesurer les enjeux), mais s’inspirant de la bataille politique engagée par la Région pour obtenir le financement des grands projets structurants de l’île, le Docteur Combes nous confiera qu’il faut avoir de l’ambition, savoir défendre et convaincre, ne pas hésiter la démesure.
L’avenir de la jeunesse de l’île, donc de son développement, reste un argument de poids à mesurer, non ? Car, comment prétendre que la jeunesse est un atout pour l’île si on ne lui accorde pas l’attention et l’écoute dont elle a besoin, si on occulte ses souffrances ? Comment la vouloir actrice de son développement avant même de s’assurer qu’elle a les outils en main ? L’adolescence est un passage obligé parfois difficile, mais pas insurmontable. Les adultes d’aujourd’hui sont les ados d’hier !

Stéphanie Longeras


Pourquoi ce projet est nécessaire ?

• Docteur Combes, chef du service pédiatrie du CHD

« Les adolescents inquiètent les adultes. Qui doit alors s’en occuper ? »

« Chez les adolescents, les problèmes sont toujours les mêmes », explique le pédiatre qui fait référence à la contestation de l’autorité parentale, à la recherche de sa personnalité, à cette étape de transformation physique.... Il note en outre que les incidences sociales et l’aspect psychologique de la maladie chez les adolescents qui souffrent de pathologies chroniques comme l’asthme ou l’épilepsie sont encore totalement négligés.

« Les psy, c’est comme les antibiotiques, il faut les utiliser à bon escient »

« Avec les ados, tout est urgent : à nous d’y répondre calmement, sans précipitation ». Si le Docteur Combes se dit favorable à l’hospitalisation après une tentative de suicide, le temps de décoder les demandes du jeune, de calmer le jeu, de lui permettre de faire le point, ou en cas de troubles psychologiques dus à des situations de violences pour l’éloigner du danger, etc... il déplore le fait que « dès que les ados ruent un peu dans les brancards, on les envoie chez les psy... S’ils soignaient tout le monde, ça se saurait ! Les psy, c’est comme les antibiotiques, il faut les utiliser à bon escient ». Selon lui, le problème majeur aujourd’hui, c’est que « les adolescents inquiètent les adultes. Qui doit alors s’en occuper ? », interroge le pédiatre qui, sans intention de provoquer, est néanmoins conscient de soulever là une question polémique. « L’adolescent est un être complexe, somatique, psychologique... tous ces aspects de sa personne sont maillés. Qu’entend-on alors par approche globale ? ». Le travail avec les familles pour démailler les éléments complexes de sa personnalité est la première approche des pédiatres, professionnels qui, malheureusement, aujourd’hui, sont mis au second plan. Le pédiatre ou la famille peuvent, selon les cas et la personnalité de l’enfant, avoir recours à d’autres acteurs qui permettront de progresser dans cette démarche. La prise en charges pluridisciplinaire est souvent nécessaire, mais la médicalisation ne doit pas être systématique. « Il ne faut pas avoir peur de s’occuper des ados, soutient encore le Docteur Combes. Lorsqu’un ado ne peut pas supporter les conseils ou l’exemple de ses parents, il faut peut-être l’en éloigner un temps, lui faire rencontrer d’autres personnes », mais il n’est pas pour « psychiatriser trop ». Dans une société où l’on veut tout normaliser, où la souffrance individuelle est devenue insupportable, on devrait s’intéresser davantage au contenu qu’au contenant (...). Dire que tous les ados souffrent de pathologies mentales est une caricature, mais sa prise en charges demande de la souplesse, une analyse des professionnels, pour constituer cette approche et cette vision globale (...). Le secret avec les ados, c’est de les respecter, de les écouter, de leur dire “ça m’intéresse”. Un adolescent plutôt faible sur le plan narcissique, confronté à un parent qui ne lui trouve aucune qualité, forcément ne s’estimera pas. Il faut l’écouter, le valoriser, être le décodeur de ses attentes. Quand je vois les ados, je ne regrette pas d’être pédiatre. Il est clair qu’ils ont besoin d’une prise en charges globale ».

• Docteur Kostyrka, responsable médicale du Centre Adolescents

« Il faut engager un travail transversal sur la politique adolescente »

Le Docteur Kostyrka, responsable médicale du Centre Adolescents de la rue Tourette, estime que la toute jeune structure « a ouvert une brèche d’expression pour les jeunes qui sont plus présents, viennent à nous ». En 2006, le centre constate même, au regard des prévisions, une explosion de la fréquentation avec 334 jeunes reçus, dont 60% de filles et une tranche 15-17 ans qui constituent 55% des visites. « La plupart des jeunes ne sont pas malades, mais ont des difficultés avec leur famille, leur environnement (école, amis...). Ils manifestent des troubles du comportement classiques, qui ne sont pas rattachés à des troubles de la personnalité. Ils se posent beaucoup de questions sur l’autorité parentale, la loi... on essaie de prendre en compte toutes ces attentes grâce à un travail pluridisciplinaire. Justement, le projet de Maison des Adolescents va à contre-courant de cette tendance de montage sanitaire pour une ouverture partenariale ». Le centre d’accueil ambulatoire rencontre des difficultés à accueillir de façon informelle, à mettre en place des groupes d’accompagnement pour les parents. Pourtant, il faut aller plus loin. Le Docteur Kostyrka fait état de « jeunes marginalisés, hors du circuit sanitaire et scolaire, qui commencent à se manifester, qui commencent à reconnaître la structure et à vouloir pousser sa porte. C’est un point très positif. Il y a en d’autres tellement attentifs et réceptifs à la misère du monde qu’ils veulent en finir, ne veulent plus communiquer. Ces jeunes, on ne les voit pas, il faut parvenir à leur faire passer le message, qu’ils sachent qu’ils ont leur place. Il faudrait des ateliers de pairs où les jeunes pourraient échanger entre eux, des ateliers thérapeutiques... Il faut engager un travail transversal sur la politique adolescente ». La mutation de notre société, des mentalités, des liens enfants/parents, enfants/écoles engendrent « une perte de repères chez les jeunes, qui sortent du système éducatif sans diplômes. Nous ne sommes pas là pour rajouter une structure, ajoute le Docteur Kostyrka, mais pour proposer un lieu ouvert où l’adolescent doit pouvoir s’exprimer. Ce projet doit mobiliser les professionnels et lever les obstacles institutionnels pour permettre une ouverture vers les enfants ».

Propos recueillis par SL


- ZOOM sur l’activité du service pédiatrique du CHD en 2006

Les 12 ans et + : 80% de l’activité du service

Le CHD pallie actuellement les crises adolescentes, mais compte tenu du contexte financier actuel, il n’est pas sûr qu’il puisse encore continuer à accueillir les adolescents. Le service reçoit 24 heures/24 en flux constant. En 2006, il a reçu 378 jeunes de 12 ans et plus, dont une majorité de filles. Sur 611 hospitalisations, 437 ont concerné les 12 ans et plus, une tranche d’âge qui représente 80% de l’activité du service. Les motifs d’hospitalisation sont variés : 44% sont relatifs à des questions médicales, 40% à des tentatives de suicide, 10% environ à des intoxications aiguës (alcool, canabis...), 4,5% à des troubles psychologiques et du comportement alimentaire, 4% à des cas de maltraitance hors abus sexuels qui ne sont pas répertoriés de façon aussi claire. Le service compte 2 pédiatres, 1 éducateur spécialisé, 1 infirmière, 2 vacations de pédo-psychologie et 2 de psychiatrie.

SL


- Les grandes lignes du projet

Promouvoir une culture commune de l’adolescence

La Maison des Adolescents de la région Nord a entre autres pour objectif d’accueillir, d’écouter et d’accompagner les adolescents et leur famille dans un même lieu, et pour différentes problématiques, quelles soient familiales, scolaires, médicales, avec une dimension aussi de justice et de droit.

Un accueil à tout moment et une équipe mobile

Elle doit permettre de fédérer en réseau un large panel d’acteurs en lien avec l’adolescence et doit être un outil d’information pour le public et les professionnels, assurant ainsi une dimension de prévention des différentes problématiques adolescentes. Cette structure n’a pas vocation à se suppléer aux autres dispositifs en place. Elle doit, si nécessaire, guider les jeunes vers des structures spécialisées, ce qui appelle à un partenariat de qualité et un engagement institutionnel de tous les acteurs dans ce projet. Quel que soit le problème, l’accueil doit se faire à tout moment. C’est un besoin clairement recensé auprès de la population adolescente, besoin que les structures hospitalières ne peuvent pas toujours assurer. La Maison des Adolescents n’est pas un lieu fermé, mais bien ouvert sur l’extérieur, avec un panel d’informations aussi bien pour les adolescents et leur entourage que pour les professionnels. Promouvoir une culture commune sur l’adolescence, mettre en place un diplôme universitaire “Santé et adolescence”, engager des actions de formations pluridisciplinaires permettrait de développer la thématique adolescente et de constituer un réseau professionnel en capacité d’agir, de réagir de se confronter, pour ouvrir de nouvelles perspectives d’accompagnement. Toutes les compétences autour de l’adolescence et de la famille seraient sollicitées, avec la participation d’intervenants extérieurs comme la justice, les écoles, les hôpitaux, les acteurs culturels... L’équipe de la structure (dans l’idéal, 21 personnes) doit être mobile pour pouvoir intervenir en tant que conseil et appui vers d’autres structures de l’île. Les actions doivent systématiquement être évaluées.

La Maison de Solenn : un modèle du genre

Les locaux doivent se situer dans un quartier connu des adolescents, accessible, sans aucune stigmatisation (hospitalière, éducative, à mandat judiciaire), avec une architecture qui correspond au goût des jeunes, pensée par eux. Un espace accueil, un espace attente, un espace santé, un espace pédo-psychologique avec un pôle entretien et un pôle d’ateliers, un espace animations pour des conférences, la diffusion de vidéos, la tenue d’expositions, de concerts... une bibliothèque, un centre de documentations... Voilà, en substance, ce que devrait être et pourrait être la Maison des Adolescents. Les professionnels n’osent demander une structure comme la Maison de Solenn à Paris, un modèle du genre dont l’étendue des moyens fait rêver et qui a pu voir le jour grâce à la générosité de nombreux donateurs, notamment dans le cadre des campagnes Pièces Jaunes organisées par la Fondation Hôpitaux de Paris - Hôpitaux de France et ses partenaires.

SL<


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