Pour la première fois depuis plusieurs années, le baril de pétrole dépasse 100 dollars

Crise en Ukraine : quelles conséquences sur les prix à La Réunion ?

25 février 2022, par Manuel Marchal

A La Réunion, Total impose une baisse de la marge de ses gérants de station-service pour faire diminuer le prix de 10 centimes par litre. Cela suscite les protestations des concurrents qui évoquent une menace sur l’emploi de 1700 pompistes. Mais ce débat risquerait bien de passer au second plan si la crise en Ukraine se prolongeait. Suite à l’opération militaire déclenchée hier par la Russie, le prix du baril de pétrole a bondi pour dépasser 100 dollars pour la première fois depuis plusieurs années. Si la situation perdurait, les compagnies pétrolières n’hésiteraient pas à utiliser ce prétexte pour augmenter le prix des carburants qu’elles importent à La Réunion, avec des répercussions immanquables sur le tarif à la pompe et sur de nombreux prix d’autres produits compte tenu du monopole de l’automobile en matière de transport des marchandises. Paris sera au pied du mur : comment empêcher une hausse générale des prix susceptible de déclencher un mouvement social en pleine campagne présidentielle ?

La Russie est un des principaux exportateurs de pétrole et de gaz. Son implication désormais sur le plan militaire dans la crise en Ukraine a aussitôt eu des répercussions chez les spéculateurs qui fixent le cours du pétrole. Pour la première fois depuis plusieurs années, le prix du baril de pétrole a dépassé la barre symbolique de 100 dollars. Si l’Union européenne et les autres pays occidentaux maintiennent leurs promesses de sanction contre la Russie, alors le cours des hydrocarbures risque bien de s’envoler. Si une issue diplomatique n’est pas rapidement trouvée à cette crise, alors cette envolée sera durable.

L’industrie pétrolière des États-Unis grande bénéficiaire de la crise en Ukraine

Or, Washington a tout intérêt à des sanctions durables. En effet, elles obligent les Européens à se tourner vers l’Amérique pour réduire leur dépendance aux importations d’hydrocarbures russes, en particulier le gaz. Les États-Unis ont fortement développé l’extraction du pétrole et du gaz de schiste et trouveront là un nouveau débouché. Mais le coût de production de ces hydrocarbures US ne peut être compétitif qu’à condition que le prix du baril de pétrole soit élevé. Les compagnies pétrolières américaines proposent par exemple une alternative au gazoduc NordStream 2 qui est prêt à fonctionner et qui doit alimenter de manière imminente l’Europe en gaz russe : une flotte de méthaniers américains transportant du gaz extrait du sol des États-Unis, avec un prix fixé par les compagnies pétrolières des États-Unis, un rêve pour ces capitalistes.
Plus le cours du pétrole sera élevé, plus grand sera le profit des capitalistes actionnaires de l’industrie des hydrocarbures des États-Unis. D’où l’intérêt de Washington à un pourrissement de la situation justifiant le maintien de sanctions contre la Russie favorisant d’une part la hausse du cours du pétrole, et d’autre part amenant les Européens à réduire considérablement leurs importations de Russie, un concurrent sur le marché du gaz et du pétrole.

L’opacité des profits sur l’importation des carburants à La Réunion

Cette situation ne manquera alors pas d’être saisie par les compagnies pétrolières pour augmenter le prix des carburants à leur arrivée à La Réunion, qu’elles peuvent fixer sans avoir à rendre compte car elles maîtrisent tous les paramètres. En effet, les profits réalisés dans l’extraction du pétrole, le raffinage en carburants et le transport sont d’une totale opacité alors qu’ils constituent une part essentielle du prix des carburants à La Réunion : le prix à l’arrivée sur le quai. Toutes les autres composantes du prix de l’essence et du gaz à La Réunion sont connues : taxes et marges des intermédiaires, notamment des gérants des stations-service. De là découle le prix maximum fixé par arrêté préfectoral qui est le prix pratiqué dans toutes les stations-service, à l’exception depuis le début de la semaine des stations Total.
Total a en effet imposé une baisse de 10 centimes par litre de carburant à ses distributeurs et ces 10 centimes sont prélevés sur la marge des gérants des stations-service.
La décision de Total suscite une vive protestation des gérants concurrents. Ils estiment que si leurs enseignes leur imposent un alignement sur les prix de Total, leur marge baissera et l’emploi des pompistes sera menacé. Or, que représenteront ces 10 centimes si le prochain prix maximum fixé par arrêté préfectoral intègre un cours du baril dépassant largement les 100 dollars ? Ce chantage à l’emploi doit immédiatement cesser.
Car la priorité est de se tourner vers les compagnies pétrolières pour qu’elles ne profitent pas de la crise en Ukraine pour justifier une hausse importante du prix sur le quai des carburants qu’elles importent à La Réunion. C’est là que réside le principal potentiel de baisse des prix, qui est sans doute de plus de 10 centimes par litre.

Acheter la paix sociale à la veille des élections ?

Compte tenu du monopole du tout-automobile dans les déplacements à La Réunion, les automobilistes et les transporteurs ne sont pas les seuls concernés. Ces derniers ne manqueront de répercuter la hausse des prix du gasoil sur leurs clients. Au final, ce sera le consommateur qui paiera la totalité de ce surcoût. Or, pour la plupart des Réunionnais, le coût de la vie est déjà intolérable.
A La Réunion, les deux derniers grands mouvements sociaux étaient le COSPAR en 2009 et les gilets-jaunes en 2018. Les deux trouvaient leur origine dans une hausse importante des prix carburants décidée par les compagnies pétrolières pour le COSPAR, et, pour les gilets-jaunes, dans la volonté de la Région présidée par Didier Robert d’augmenter ces prix par une hausse des taxes afin d’équilibrer un budget mis à mal par l’impasse de la route en mer et l’application de promesses électorales visant à assurer la popularité de Didier Robert comme la « continuité territoriale », plus de 50 millions d’euros à elle seule.
Un tel mouvement social tomberait au plus mauvais moment pour le pouvoir, car c’est la campagne présidentielle et le président sortant va sans aucun doute briguer un nouveau mandat.
D’où l’impérieuse nécessité pour Paris d’éviter cette situation, se posera alors la question de savoir comment le gouvernement comptera-t-il s’y prendre pour espérer acheter la paix sociale.

M.M.

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