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Crise sociale à La Réunion : tensions dans les rangs, dérapages, attention danger !

Mouvement des gilets jaunes

lundi 26 novembre 2018, par Manuel Marchal


L’air du temps semble se conjuguer sous le signe de l’énervement. Une perte de self -control constaté tant du côté policier que des manifestants. Illustration de ce vent de « folie » auquel il convient de mettre rapidement un terme à travers, notamment, ces deux faits survenus dans le contexte de crise qui assaille l’île depuis bientôt deux semaines :


Jeudi 22 septembre , 20 heures , Station VITO de la Technopole :

Vincent Velayoudom, le gérant est interpellé manu militari. On l’embarque l’homme – bien connu de la population de Saint-Denis pour avoir, notamment occupé les fonctions de directeur de cabinet d’un ancien maire de la commune pendant des années - est interloqué. Il tente quelques quelques questions. En réponse : un lourd, interminable et terrifiant silence. Il éprouve alors la désagréable impression « d’être dans un film américain ».

Conduit au commissariat Malartic, il est placé en garde à vue. Dont il sortira le lendemain. Avec cette fois-ci toutes les explications sur la procédure engagée contre lui : « Je faisais partie des stations réquisitionnées. J’ai donc demandé à à la Préfecture de m’envoyer des policiers pour assurer le filtrage des entrées. Chose que je n’ai pas obtenue. Cependant, j’ai joué le jeu : j’ai servi de l’essence aux véhicules prioritaires en respectant scrupuleusement les horaires, c’est-à-dire de 8 heures à 12 heures et de 14 heures à 18 heures.

A 18 heures 30, arrive un policier en civil dans un véhicule banalisé. Il demande à faire le plein. Conformément aux recommandations données à mon personnel, le pompiste refuse mais consent à lui servir 20 euros comme pour tous les usagers non prioritaires car son véhicule n’était pas répertorié. A 18H35, arrive un petit gars la kour de Prima, un ti malheureux, mais travailleur qui demande 3 euros de carburant pour pouvoir partir achever des travaux d’élagage. Le policier assiste à cette scène et c’est lui qui sera à l’origine de cette dénonciation calomnieuse : il me dénonce en effet comme ayant détourné l’interdiction préfectorale en vendant de l’essence au grand public pendant les heures de la réquisition. Accusation contre laquelle je m’élève et qui pourra être contredite par un faisceau de preuves matérielles que j’ai confiées à mon avocat, Maître Morel ».

Le gérant de la station VITO a en effet décidé de déposer plainte car dit-il, « je comprends que les policiers soient particulièrement sous pression en cette période où La Réunion est traversée par des troubles sur tous les fronts. Mais, il ne faut pas qu’ils se trompent d’adversaires. En tant que gérant de stations services, je soutiens l’activité économique en créant de l’emploi, je participe à la cohésion social et je suis très attaché au lien social… Et, sans crier gare, on vient m’arrêter comme si j’avais commis le crime le plus odieux alors que je n’ai fait que partager la souffrance de la population en servant 20 euros de carburant à chaque véhicule ». Il est vrai qu’un simple visionnage de la vente des trois euros de carburant au « petit malheureux » aurait permis de confirmer que la scène s’était déroulée en dehors des heures règlementaires de la réquisition. Et, par conséquent, aurait permis de ne pas ternir davantage l’image des forces de l’ordre à un moment où elles sont particulièrement à portée de… galets.

Samedi 24 novembre devant la préfecture :

« Le Sud lé là. Allons voir le Préfet. Est ce que nous lé des gens civilisés ou pas » ? C’est, en ces termes, qu’un gilet jaune, fraîchement débarqué annonce la venue du Sud. Une arrivée qui intervient après l’échange prévu à 10 heures entre le Préfet et le millier de manifestants. « Oui, nou sé pa des sauvages, nou lé des gens civilisés. », « Allons voir le Préfet. » « Li va fait coule café pou nou ! », répondent quelques uns des nouveaux venus dont, certains, prennent aussitôt la direction de la préfecture.

Freinés dans leu élan par les grilles, la délégation d’hommes « du Sud » stoppe net. « Nou la pa ni pou batay. Nou la ni juste pou discuter », déclare tranquillement un jeune homme tandis qu’une voix s’élève et tonne : « Non, ni batay pa : nou cogne seulement ». Le benjamin tente d’amorcer un dialogue avec les forces de l’ordre : « Nous excuse à nous pou ce retard ; mais, est ce que ou pé annonce not arivé à Monsieur le Préfet et di a li ke nou souéterè li resoi a nous ? » demande-t-il poliment. « Mi sort Saint-Philippe : je vous en supplie », poursuit-il. Ce à quoi un manifestant répond : « Non, supli pas li. Li lé obligé resoi a nous ».

Et l’homme de fixer un à un les agents affectés à la sécurité et de lancer : « Kisa i gagne tapé ? » avant d’en cibler un, en particulier : « A ou, ou tap pas moins, ou. Ça non ! Non et non ! Ou la pas honte sak ou fé ? Ma enlève mon casquette. Comme ça quand ou va trouve a moi dans un ti coin serré, ou va gagne reconnèt a moi. Rogard a moi bien, espèce de… A moi mi cogne a zot ; mwin. Zot la pas honte travaille pou un boug komn Macron, comme le Préfet que bann Guadeloupéen la fé kouri ? Astèr, li vien fé la loi et kommand anou ici ? » poursuit le gilet jaune en égrenant une litanie d’invectives à l’encontre des forces policères massées devant les grilles.

Un de ses camarades intervient : « Té, banna i fé zot travay, zot lé pa kont nou » : « Ben, dans ce cas, di a zot tire zot gilet et vien rejoin anou (…) Lé pa possib ou di ? Ben banna cé des… » Et le manifestant d’abreuver de nouveau les agents d’insultes. Une situation qu’un d’entre eux, jusque là stoïque, ne peut plus tolérer. Il s’approche de la barrière et très calmement lance : « Monsieur, na point personne i sa tape à ou, ni personne. Out bann remark sur le préfet, le président, lé pa vèk nou ou doi dire sa. Par contre, ou na point le droit jure anou comme cela. Nou fé nout travay, nous réspèkt aou, ou osi ou doit réspekt anou. Nou lé des êtres humains, nous aussi. Nous aussi, nou lutte pou fé viv nout famille », poursuit l’agent, toujours calmement. « Akoz ou sa pa fé sa dan out péi ? » « Mi lé créol moins aussi monsieur, moins aussi mi lé né ici », se justifie presque le policier tandis que le manifestant continue à « lui donner la bouche » de plus en plus.

La tension monte. Les collègues du policier s’interposent et l’éloignent de son interlocuteur qui continuera encore et encore à débiter des insultes jusqu’à ce que des amis l’invitent à monter dans le bus. « Nou armèt sa pou un ot zour. Zot na la chance zordi », concluera t -il l en tournant les talons. Direction : la ville du Port qui sera dans la soirée secouée par des affrontements entre les forces de police et les manifestants.

M.M.


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