Pourquoi juste avant de partir dans un pays en grève générale, un ministre des Outre-mer parle-t-il d’ « autonomie » de la Guadeloupe ?

Crise sociale : le gouvernement doit écouter et accompagner, pas fixer le cadre du débat

29 novembre 2021, par Manuel Marchal

Quelques jours avant de se rendre en Guadeloupe, le ministre des Outre-mer a posé la question de « l’autonomie » de ce territoire. Est-ce pour réveiller le clivage entre les défenseurs des articles 73 et ceux du 74 de la Constitution afin de diviser le mouvement social ? Paris devrait d’abord prendre en compte la volonté d’un autre projet de société portée par les peuples en lutte. Les mesures que contient ce nouveau projet de société demanderont un accompagnement de l’État pour adapter la loi afin qu’elles puissent être appliquées. Si la Constitution ne permet pas de mettre en œuvre ces mesures, alors il appartiendra au gouvernement de changer la Constitution.

Manifestation de solidarité à La Réunion avec les grèves générales aux Antilles.

Le 26 novembre dernier, Sébastier Lecornu, ministre des Outre-mers a adressé en message vidéo aux Guadeloupéens. Il y dit notamment ceci :

« Certains élus ont posé la question - en creux - de l’autonomie, par rapport à son statut actuel de Département/Région d’outre-mer. D’après eux, la Guadeloupe pourrait mieux se gérer elle-même. Ils souhaitent moins d’égalité avec l’hexagone, plus de liberté de décision par les élus locaux.
Le Gouvernement est prêt à en parler. Il n’y a pas de mauvais débat. Du moment que ces débats servent à résoudre les vrais problèmes des Guadeloupéennes et des Guadeloupéens ».

Le ministre semble tout d’abord laisser entendre que la question de l’autonomie n’a pas été posée par les élus guadeloupéens qui ont discuté avec lui, mais qu’elle était dans l’esprit de ses interlocuteurs. Une chose est claire : cette question de l’autonomie est dans la tête du gouvernement, sinon pourquoi un ministre en parlerait-il ?
Une telle sortie n’est guère étonnante. Aussi bien en Guadeloupe comme en Martinique, l’égalité sociale a été atteinte depuis plus de 20 ans. Mais les problèmes de fonds tels que le chômage, la pauvreté, la vie chère et le manque de logements sont toujours loin d’être réglés. Depuis 75 ans, la méthode employée est d’appliquer la même loi qu’en France dans ces territoires, avec des adaptations possibles de la loi pour ces territoires par le législateur. L’acte 2 de la décentralisation a donné des pouvoirs supplémentaires en termes d’adaptation aux élus locaux de Guadeloupe, Guyane et Martinique. La Guyane et la Martinique ont désormais une Collectivité territoriale issue de la fusion de la Région et du Département, mais cela ne signifie pas globalement plus de compétences qu’en avaient les deux anciennes collectivités.

Qui veut « moins d’égalité » ?

Quand à ce stade actuel, un ministre évoque l’autonomie pour un département d’outre-mer, il est clair qu’il évoque le statut des collectivités régies part l’article 74 de la Constitution qui regroupent toutes les collectivités d’outre-mer sauf les départements d’outre-mer. Le ministre a d’ailleurs évoqué « moins d’égalité avec l’hexagone (la France-NDLR) » avec de parler de « plus de liberté de décision par les élus locaux ». Ceci rappelle que dans ces territoires, le montant du SMIC n’est pas aligné sur celui de la France, et la législation sociale peut être différente.
Souhaitons que le gouvernement ne souhaite pas amener le débat en ces termes. Car Paris sait très bien qu’avant de voter pour la collectivité territoriale unique, les Martiniquais avait voté largement contre le passage de leur pays sous le régime de l’article 74 de la Constitution, celui qui permet l’autonomie. Beaucoup n’y verraient là qu’une tentative de diviser le mouvement, en introduisant dans le débat une question politique clivante, celle du statut.

Changer le cadre

Une autre démarche de Paris serait bien plus salutaire. Ce serait prendre en compte la volonté d’un autre projet de société porté par les peuples en lutte. Les mesures que contient ce nouveau projet de société demanderont un accompagnement de l’État pour adapter la loi afin qu’elles puissent s’appliquer, notamment, tenir compte d’un besoin de responsabilité. Si la Constitution ne permet pas de mettre en œuvre ces mesures, alors il appartient au gouvernement de changer la Constitution.
En effet, la question qui se pose aujourd’hui est un cadre institutionnel qui est arrivé à bout de souffle. Si ce cadre ne permet pas de régler simplement le problème, alors il suffit de le changer plutôt que de tenter de réveiller une « bataille du statut ».

M.M.

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