Accidents du travail

Dans le BTP, la productivité compromet la sécurité

19 octobre 2006

Un grave accident a coûté la vie à un ouvrier mardi à Saint-Denis. Nous avons cherché à savoir dans quelle mesure des visites de contrôle par l’Inspection du Travail peuvent prévenir de tels drames. Christian Ribaud, membre du bureau confédéral de la CGTR et ancien Directeur adjoint du Travail, a répondu aux questions de “Témoignages”.

Estimez-vous que les contrôles des chantiers du BTP par l’Inspection du Travail surviennent assez souvent ?

- Il n’y a bien sûr pas assez de contrôles sur les chantiers du Bâtiment. Pour la seule section Nord et Ouest - c’était le découpage qui existait lorsque j’étais à l’Inspection du Travail - ils sont trois : deux contrôleurs et un inspecteur. Ce n’est pas suffisant.
Mais quel que soit leur nombre, l’industrie du Bâtiment se modifie tous les jours. En fait, c’est presque toujours un problème de productivité qui est à l’origine des accidents du travail sur les chantiers du BTP. Tel marché est pris avec des dates de livraison, qui exigent une rapidité d’exécution. Si des ouvriers travaillent sur une toiture et que l’entreprise n’a pas de filets de sécurité, le chef de chantier va lancer les équipes sans protection, alors qu’il devrait dire que rien ne se fera tant que le matériel n’est pas là.

Vous voulez dire qu’il ne suffit pas de faire des contrôles de légalité ?

- Dans le Bâtiment, c’est un système économique qui remet en cause la sécurité ; ce n’est pas un problème de légalité. On a mis en place un dispositif, depuis plusieurs années, rendant les maîtres d’ouvrage responsables d’une coordination de la sécurité sur les chantiers. Non seulement les chantiers sont vus par les inspecteurs du travail - les seuls à pouvoir sanctionner -, mais ils sont suivis par un coordinateur de sécurité, qui est une personne physique en activité libérale.
Dans les faits, les maîtres d’ouvrage vont essayer de payer le moins cher possible et faire un appel de marché. Si l’on prend l’exemple des chantiers de la route de l’Ouest, l’appel d’offres a donné le marché à des coordinateurs métropolitains plutôt qu’à un GIE de la place, parce que ce dernier a été jugé plus cher. Aller vers le moins coûteux, on ne prépare pas toujours les meilleures conditions d’une bonne application de la loi. Si l’on avait plus conscience de cette bonne application, il n’y aurait pas d’accident du travail.

Est-ce que la taille de l’entreprise et la taille du marché interviennent dans le respect des règles de sécurité ?

- Dans l’accident survenu mardi, on peut dire que si c’est une banche métallique qui est tombée, cela indique qu’il ne s’agit pas d’une petite entreprise. Il est fréquent de constater que l’étayage de ces banches n’est pas bien arrimé. Cela me rappelle un accident du même type survenu au Port, il y a quelques années, qui avait fait un mort et quatre blessés dont certains très gravement.
Ce qui s’est produit à Bellepierre semble être un problème de calage de banches. C’est ce qu’on regarde toujours sur un chantier.
Un accident peut dépendre aussi de la qualité des banches. Les plus anciennes reposent sur un système de contrepoids et, comme ça prend du temps à installer, on en met deux au lieu de trois en se disant que “ça suffira” ou qu’on en rajoutera un autre plus tard.
C’est cela le problème avec les chantiers du Bâtiment : la productivité du travail passe avant tout.

Cela peut être aussi que la sécurité coûte cher...?

- La sécurité coûte cher, mais c’est une erreur fondamentale de croire qu’on peut faire des économies sur ce poste. C’est une erreur parce que les salariés sentent s’ils sont en danger ou pas, et lorsqu’ils se sentent en danger, ils sont moins productifs.
La préparation du chantier est la phase la plus importante. Après, cela peut aller plus vite. D’ailleurs, les chantiers les plus en retard sont ceux où il y a moins de sécurité.

Lorsque survient un accident, quelle est la procédure mise en œuvre ?

- Dans tous les cas d’accident, l’Inspection va faire une enquête. Elle n’est pas la seule à enquêter ; il peut y avoir aussi des OPJ, police ou gendarmerie. Dans la plupart des cas, les accidents graves ou mortels sont liés à des problèmes de défaillances de la sécurité, telles que permet de les définir le décret du 8 janvier 1965.
L’inspecteur du travail rédige des procès-verbaux qui sont transmis au Parquet. Au niveau des statistiques disponibles, je ne pense pas qu’il en existe sur les poursuites pénales par type d’infraction, mais on peut évaluer la quantité des procès-verbaux, hors accident et en cas d’accident. Je n’ai personnellement jamais vu un PV “classé sans suite” en matière d’accident du travail. Cela débouche sur une procédure de constatation qui, en général, relève une ou plusieurs infractions. Une seule fois, j’ai dû enquêter sur le cas d’un homme tombé dans une cuve, dont je n’ai pas pu dire comment il était tombé. Dans ce cas, il n’y a pas eu de PV. Mais dans la plupart des cas, on trouve des PV d’infraction.

Propos recueillis par P. David


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