L’emploi vu par Patrick Salmon, auteur de “Chômage, le fiasco des politiques”

Décrypter la baisse du chômage

28 septembre 2006

L’accès à l’emploi est l’une des préoccupations majeures des Français. Les politiques l’ont bien compris, c’est sur ce terrain que se jouera la bataille présidentielle de 2007. D’où cette manie du gouvernement d’annoncer et de s’attribuer régulièrement la baisse du chômage, statistiques à l’appui. Patrick Salmon, syndicaliste et ancien Directeur d’une agence ANPE, revient dans son livre sur les politiques de l’emploi des 30 dernières années et nous donne les clés pour comprendre cette ’baisse du chômage’.

Votre analyse du chômage porte sur les 30 dernières années. Est-ce que ce sont les mêmes stratégies politiques qui ont été adoptées pendant toute cette période ?

- J’ai envie de faire un bon mot : certains refont les mêmes erreurs pour pouvoir les comparer ! On a l’impression que, concernant la politique de l’emploi en France, ça ressemble à cela. L’obsession du pouvoir politique est et a toujours été le court terme statistique.
Dès le premier choc pétrolier, au milieu des années 70, l’inexorable montée du chômage devient en soi un sujet médiatisé, l’objet permanent du débat et de la confrontation politiques. Cette réalité a une conséquence majeure : l’absence de politiques publiques globales à moyen ou long terme sur le thème de l’emploi ! L’intervention publique se concentre sur des mesures ciblées visant une catégorie particulière de demandeurs d’emploi, un temps les jeunes, ensuite les chômeurs de longue durée.
"Cachons ces chômeurs que nous ne saurions voir" est, dès le milieu des années 1970, la finalité constante des politiques de l’emploi. Une finalité qui n’a jamais cessé d’être, y compris jusqu’à aujourd’hui, et ce, quels que soient les discours politiques.

Vous soutenez que ce ne sont pas les mesures politiques qui sont à l’origine de la baisse du chômage. Pourquoi le chômage baisse-t-il alors ?

- Quatre éléments expliquent l’évolution du chômage : l’économie, la démographie, le traitement social et le traitement statistique.
L’économie : c’est clair qu’il y a plus de créations d’emplois qu’il n’y en avait hier. Mais de quels emplois s’agit-il ? De toujours plus de contrats courts ! C’est ce que révèle une étude de l’ACOSS (Agence Centrale des Organismes de Sécurité Sociale) datant de juin dernier : globalement, une intention d’embauche sur deux concerne des contrats courts (moins d’un mois). De plus, l’an dernier, la part des CDD a représenté 78% des intentions d’embauche des entreprises.
La démographie : même si la population active continue d’augmenter, le solde, positif, entre ceux qui arrivent sur le marché du travail et ceux qui partent, est de plus en plus faible chaque année : 150.000 par an pendant longtemps, 108.000 en 2004, 67.000 en 2005 et environ 29.000 en 2006. Dans ce contexte là, il faut créer moins d’emplois qu’avant pour afficher une baisse du chômage.
Troisième élément à prendre en compte, le “traitement social” : ce sont les contrats aidés, souvent rémunérés au SMIC, souvent à mi-temps. Comment vivre décemment avec la moitié d’un SMIC ? Ce “traitement social” est “boosté” actuellement. Ces contrats sont trop précaires et trop subventionnés pour ne pas alimenter ce que moi j’appelle le “chômage caché”. Ces contrats ne deviennent généralement pas des contrats stables correctement rémunérés.
Enfin, le dernier élément : le traitement statistique. Je m’explique : plus vous convoquez de demandeurs d’emplois en nombre, plus il y en a à ne pas venir ! Cela conduit à des annulations de demandes d’emplois... Ces opérations ont commencé de manière massive pendant l’été 2005 : la convocation de 57.000 jeunes, puis celle des 286.000 allocataires de l’“Allocation de solidarité spécifique” et, ensuite, à partir de début 2006, le gouvernement a fait le choix d’industrialiser ce système à travers le “Suivi mensuel personnalisé”.

Comment faudrait-il aborder le problème du chômage ?

- J’attends beaucoup de l’État et de la politique. Accepter que l’économie domine tout, ça serait accepter d’être tous précaires, d’être tous jetables du jour au lendemain. Ce “précariat” généralisé ne doit pas être l’avenir d’un pays riche comme la France. L’approche de la lutte contre le chômage doit être totalement renouvelée. Chaque salarié devrait avoir des droits attachés à sa propre personne qui seraient transférables d’un emploi à l’autre. La mobilité professionnelle choisie devrait être encouragée et, en étant sécurisée, elle deviendrait fréquente. Les pertes d’emploi ne doivent plus être des drames humains. Les notions de sécurité sociale professionnelle et de garantie permanente d’activité doivent être au cœur de la campagne présidentielle. Il nous faut une capacité collective d’anticipation et d’accompagnement des mutations économiques qui ne laissent personne au bord du chemin. Il faut refonder un État social, un État providence.

Interview de Patrick Salmon par Edith Poulbassia


Le suivi mensuel des chômeurs à l’ANPE

"Depuis le 1er janvier 2006, quatre mois après son premier entretien à l’ANPE, le chômeur entre dans le processus de suivi mensuel. Puisque le chômeur n’a pas trouvé de travail, il faut mesurer puis réduire les écarts entre le positionnement de la personne (ses souhaits) et les exigences du marché du travail en réajustant le parcours défini. Dans ce contexte, des chômeurs acceptent l’emploi qui existe, même mal rémunéré, même ne correspondant pas à leur qualification, et non plus celui qu’ils souhaitent.
Au-delà de ce constat, la philosophie du dispositif est limpide. Le profilage des chômeurs poursuit un double objectif. D’une part, il s’agit d’accélérer la sortie du chômage des personnes immédiatement employables. En multipliant les fréquences et les opportunités d’accès à l’information sur les emplois disponibles, ce premier objectif a des chances d’être atteint. D’autre part, il faut sortir des statistiques une partie des autres chômeurs. Sans aucun doute, cet objectif sera aussi atteint. En effet, la mensualisation du suivi entraîne une explosion mécanique des convocations, d’où découle une explosion, elle aussi mécanique, des absences à convocations. Les sorties de la liste des demandeurs d’emploi sont alors plus nombreuses. De plus, le dispositif peut conduire à la culpabilisation et au découragement de nombreux chômeurs qui, face à leur incapacité à trouver du travail et fatigués d’être convoqués inutilement, cessent leur recherche et disparaissent des listes de l’ANPE.".


En savoir plus

“Chômage, le fiasco des politiques”, essai de Patrick Salmon, édition Balland, 2006. 18 euros.
Le blog de Patrick Salmon : http://patricksalmon.over-blog.com/


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