Manifestation et blocage du pôle livraison de la Holcim

Des artisans du BTP inquiets

6 mars 2008

Les artisans du BTP s’étaient donné rendez-vous devant les grilles du pôle de livraison béton de la Holcim hier matin, à l’appel de la CAPEB et du SABR. Ils ont bloqué les livraisons pendant la matinée, pour alerter l’opinion sur « la mort programmée » de leur profession.

Le rachat de Ouest-Concassage par la Holcim, rendu public vendredi dernier, a ravivé de fortes inquiétudes chez les patrons artisans de petites et très petites entreprises du Bâtiment, employés très souvent à des travaux de sous-traitance pour le compte de grosses sociétés, elles-mêmes filiales de groupes plus importants.
Les dirigeants de la CAPEB et du SABR dénoncent « la reconstitution d’un monopole déguisé » entre Colas, Holcim et Lafarge. « C’est bonnet blanc et blanc bonnet. Il existe un réel danger de dérive vers l’entente illégale sur les prix, » accuse Franck Legros, Président de la CAPEB, venu hier matin avec plusieurs dizaines d’artisans qui ont pris position devant les grilles dès 9h30.
C’est d’abord l’inquiétude causée par le risque de leur propre disparition qui les fait parler ainsi. « L’indépendance des artisans du BTP, leur identité professionnelle sont aujourd’hui menacées par la stratégie financière et l’appétit féroce des capitaines d’industrie du BTP », soutient le président de la CAPEB. Les artisans prennent aussi de plein fouet les augmentations des prix des matières premières (acier) ou des produits dérivés du pétrole (peintures et autres).
La Confédération de l’artisanat et des petites entreprises du Bâtiment ainsi que le Syndicat des artisans du Bâtiment s’estiment représentatifs d’un tissu économique comptant près de 3.500 petites entreprises. Mais ces petits artisans « ne seront plus considérés comme des clients prioritaires devant le caractère urgent des travaux du tram-train, de la future route du Littoral et des logements sociaux sur lesquels se repositionneront les grands groupes de la construction... », craint encore Franc Legros.
Les artisans avaient choisi de manifester hier sur un lieu « hautement symbolique », caractérisant à leurs yeux « la puissance économique, le rouleau compresseur, la bête qui avale tout sur son passage... ».
« Plus les gros se regroupent, moins il y aura de concurrence et plus cela va se durcir dans la politique des prix. Les artisans veulent avoir le choix de leurs fournisseurs »,
ajoute Mme Fernando, Vice-présidente de la CAPEB.
Franck Robert devait ajouter les difficultés spécifiques qui sont celles de certains petits artisans intervenant en sous-traitance de grosses sociétés. « Elles ont des délais de paiement, alors que nous devons payer cash », a-t-il dit, précisant qu’une société comme la SBTPC fait travailler des sous-traitants dans 80% des marchés qu’elle remporte. Et les sous-traitants dénoncent le fait que les donneurs d’ordre refusent de revoir leurs prix, même lorsqu’ils révisent le coût de leurs prestations. Les artisans parlent de « délais de paiement sans commune mesure avec le droit commun (90 à 120 jours) ».
Après être restés la matinée devant les grilles, où ils ont tenu une conférence de presse, les artisans ont accepté de discuter avec les responsables de la Holcim, surpris la veille au soir par l’annonce de cette manifestation et plus encore par le fait qu’elle ait lieu devant leur siège.
« Les difficultés des artisans ne sont pas liées à l’offre Holcim », ont rétorqué les dirigeants de la société portoise, en donnant leur version de la situation, qui s’est traduite par l’immobilisation d’une dizaine de toupies par heure de blocage. « Je comprends leur inquiétude, mais je ne comprends pas qu’ils refusent le dialogue », a commencé par dire le PDG de Holcim, Andreas Rogenmoser, pour qui « l’acquisition de Ouest-Concassage n’est pas un événement dramatique pour les artisans, et la suite le prouvera », a-t-il dit.
Sur la politique des prix, Holcim s’est engagé à ne pas pratiquer de nouvelles hausses en 2008, une augmentation d’environ 4% ayant déjà eu lieu au 1er février. « Il n’y aura (...) aucune hausse complémentaire suite au rachat du Groupe Ouest-Concassage », assure le PDG de Holcim, qui n’envisage pas de changer de fond en comble la politique commerciale de Ouest-Concassage. « Les ajustements tarifaires seront nécessairement minimes étant donné la performance et la rentabilité du Groupe Ouest-Concassage », poursuit-il. La société a expliqué hier qu’elle n’envisageait pas de rentabiliser l’acquisition par des hausses de tarifs, mais « en fonction de [ses] objectifs de volumes ».
Les dirigeants de la Holcim estiment d’une façon générale que les difficultés des artisans « ne sont pas imputables aux matériaux de construction » qu’ils commercialisent. « Les artisans sont souvent confrontés à une concurrence féroce et déloyale provenant du travail au noir, » estime pour sa part Andreas Rogenmoser, qui note que « ce fléau est en augmentation depuis plusieurs mois ».

P. David


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