Les cadres, formations et emplois

Des potentiels, une visibilité réduite

20 juillet 2006

L’emploi de Réunionnais à des postes d’encadrement, dans les secteurs privé et public est une question récurrente. D’une part parce que la situation actuelle de l’emploi crée de nombreuses frustrations. Et aussi parce que c’est un sujet qui prête - à cause de ces frustrations précisément - à d’intarissables polémiques.
Les échéances électorales qui s’annoncent vont à la fois permettre d’approfondir et de clarifier les positionnements des politiques. Cela n’ira pas, non plus, sans un certain nombre de dérapages, plus ou moins contrôlés - sans parler des dérives démagogiques.

Le sujet est pourtant des plus graves, touchant de nombreux aspects du monde du travail dans la société actuelle : formation des jeunes et formation continue, mobilité, conventions collectives (lorsqu’elles ne sont pas nationales) et formation des salaires du privé et du public à La Réunion.
Or, le principal constat tiré de l’existant est son manque de visibilité réelle : à cause du cloisonnement des divers centres, de l’éparpillement des données d’évaluation (nombre de formés, taux de réussite ?) et du manque de suivi réel du taux d’embauche, selon les branches ou les spécialités.
Aucun des organismes concernés par la formation des cadres - pas même la Chambre de commerce, qui pilote 4 écoles (EGC, ECD, IFG et SupInfo*), bientôt 5 avec l’École supérieure de Management en cours d’élaboration - ne dispose de données générales émanant de l’ensemble des établissements, publics ou privés, et permettant une appréciation globale de l’existant, de ses points forts et de ses possibles lacunes.
Outre les centres consulaires de la Chambre de Commerce et d’Industrie, l’Université forme à un haut niveau, à l’Institut d’Administration des Entreprises (IAE), les futurs cadres en marketing, stratégie et finances, en gestion des ressources humaines, économie-gestion et contrôle de gestion. "On peut y préparer en cours du soir un Master 2 en “management et administration des entreprises”, 3 fois par semaine", précise Audrey Robert, à l’IAE.
L’IUT de Saint-Pierre prépare à des DUT (Bac +2) en "Gestion des entreprises et administration", génie biologique et génie civil et, à partir de la rentrée prochaine, en "Réseaux et télécommunications" ; et à des Licences professionnelles en "banque/assurance", "commerce électronique" et "génie civil" un public d’étudiants réunionnais et mauriciens.
Chaque centre peut dire évidemment combien d’étudiants sont formés chaque année, mais il existe peu de données sur les taux d’embauche et les parcours d’emplois.

Beaucoup de Bac+4

Une première impression dégagée de la floraison des écoles et des formations est que La Réunion ne manque plus, comme ce fut le cas pendant longtemps, de gens formés à un haut niveau. C’est l’avis du responsable de la cellule "cadre" de l’ANPE, Claude Pellegrini, qui notait 1.342 cadres inscrits (en fin de mois) sur les fichiers d’août 2005 et qui en compte 1.380 près d’un an plus tard, inscrits par les Répertoires Opérationnels des Métiers et des Emplois (ROME). Il s’agit surtout de jeunes de niveau Bac +4. "En réalité, la fonction d’encadrement n’est pas forcément liée à une question de niveau", ajoute Claude Pellegrini. C’est ce que permet de vérifier la promotion 2006 de l’IRTS, dont les diplômes ont été délivrés le 18 juillet . C’est ce que confirme aussi le parcours de nombreux jeunes, partis de l’apprentissage et arrivés à des postes d’encadrement après 10 ou 15 ans de métier.
Si le discours de certains patrons consiste encore très souvent à affirmer qu’"ils ne trouvent pas, parmi les jeunes Réunionnais, les cadres dont ils ont besoin", c’est surtout vrai dans certaines branches, soit parce qu’elles sont très techniques (BTP) et que le problème n’a pas été traité assez tôt en amont, soit peut-être aussi par un effet de "groupe" - comme dans les banques, le Bâtiment ou les Travaux publics, où le déplacement des cadres fait partie de la politique des maisons-mères. Il est souvent mis à profit pour former ici les jeunes qui arrivent dans ces métiers.

Le paradoxe de la sur-rémunération

Un autre facteur qu’évoque Claude Pellegrini est la distorsion existant, surtout chez les jeunes diplômés, entre la réalité du monde de l’entreprise et "ce qu’ils pensent pouvoir obtenir comme salaire", pour peu qu’ils aient une formation initiale élevée. À ces jeunes, généralement sans expérience réelle, l’ANPE conseille de se frotter aux entreprises. "Qu’ils commencent à travailler, en entrant s’il le faut par la petite porte (assistants DRH, aide-comptable...), car ils auront une possibilité d’avancer très vite, avec 2 ou 3 ans d’expérience", poursuit le responsable de la cellule “cadre” à l’ANPE. C’est vrai des entreprises qui "jouent le jeu".
"Il est vrai aussi que certains salaires débutants sont vraiment bas", relève Claude Pellegrini à partir de l’exemple des comptables, difficiles à recruter alors qu’il existe de nombreux jeunes formés à la comptabilité, et que les entreprises en recherchent... Mais elles les paient encore trop souvent au SMIC, ce qui, en termes d’attractivité, est plutôt contre-productif.
Sur la question des salaires, il reste beaucoup à faire. La réalité actuelle de la formation des jeunes cadres est que - quelle que soit leur formation, même ingénieurs ou comptables - ils sont surtout attirés par les salaires de la Fonction publique.
Par quelque bout qu’on prenne le problème de l’encadrement, la question de la sur-rémunération émerge vite comme facteur paradoxal : comme attrait d’un "modèle social de réussite" et comme frein économique vérifié dans de nombreux secteurs.

P. David

* École de Gestion et de Commerce (EGC), École du Commerce et de la Distribution (ECD), Institut Français de Gestion (IFG) et l’École supérieure d’Informatique (SupInfo).


IRTS

Un personnel d’encadrement détourné des collectivités locales

Mardi dernier à l’IRTS avait lieu la remise des diplômes à 196 étudiants de la promotion 2006. L’institut forme des travailleurs sociaux et des assistantes sociales qui, à Bac+3, seront souvent amenés à jouer un rôle d’animation et d’organisation là où ils seront recrutés : à la CAF, au Conseil général ou chez les bailleurs sociaux. Beaucoup d’assistantes sociales se dirigent vers le Conseil général où l’attractivité des +53% de la Fonction publique est forte. L’effet de cette attraction a eu des conséquences dévastatrices sur le budget de plusieurs associations investies d’une mission sociale par la collectivité et mises en liquidation pour charges salariales trop élevées.
Le paradoxe de cet attrait des salaires de la Fonction publique est que les CCAS (Centres Communaux d’Action Sociale), qui pourraient être les principaux pourvoyeurs d’emplois pour éducateurs spécialisés et assistantes sociales, en réalité n’embauchent pas, parce que les finances communales ne le permettent pas de suivre le surcroît de charge.

P. D.


Un "think tank" réunionnais

Promouvoir La Réunion par la valorisation de ses cadres

Un groupe de réflexion constitué autour de l’ancien Directeur du Travail, Alix Séry - le seul Réunionnais parvenu dans notre île à la Direction d’un service de l’État depuis la période de la départementalisation - a eu le mérite de mener une réflexion sur ce sujet, produisant un argumentaire qui - bien que peu diffusé - a fait grincer quelques dents. Il n’a pas fini.
Ce document est provisoirement intitulé “Pour la promotion de La Réunion par la valorisation de ses cadres”. La volonté du groupe, constitué de cadres du privé et du public - un vrai "think tank" de Directeurs ! - est de porter le débat sur la place publique, en écartant les pièges les plus grossiers.
L’idée centrale du groupe est qu’"il est important que les décideurs aient à assumer personnellement les conséquences de leurs décisions, à moyen et long terme". Cette proposition amène le groupe à poser les questions de la mobilité, dans l’optique de "corriger un déséquilibre" : entre "apport extérieur fréquemment renouvelé (...) et implication dans la durée, volet faible aujourd’hui".
L’orientation donnée par le groupe à sa réflexion vise à "inverser la tendance vers un nouvel équilibre".
Il fait pour cela 7 propositions relatives à des choix politiques à faire sur des axes aussi essentiels que la mobilité, la gestion des compétences et le maintien des liens avec les jeunes Réunionnais partis se former dans le monde.
D’autres propositions envisagent un lobbying politique, la création de réseaux locaux et nationaux d’identification des potentiels et la valorisation des réussites personnelles.
Une idée importante à retenir de ce travail est que la valorisation des cadres réunionnais n’est pas envisagée contre la venue des cadres métropolitains, mais "pour améliorer encore la qualité des apports extérieurs".

P. D.


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