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Exclure la précarité du Code du Travail

Contrat Nouvelles Embauches : le CNE plus que jamais en sursis

vendredi 13 juillet 2007, par Manuel Marchal


Coup sur coup, deux décisions judiciaires viennent de plomber sévèrement le Contrat Nouvelles Embauches. Créé en 2005 par une ordonnance du gouvernement, ce contrat applicable dans les entreprises de moins de 20 salariés rend possible le licenciement sans motif d’un salarié pendant les deux premières années d’engagement. Mais pour la Cour d’Appel de Paris et la Cour d’appel de Bordeaux, cette dernière disposition est illégale.
La présidente du MEDEF n’a pas tardé à réagir, elle demande des comptes aux magistrats, prétextant débattre du « commentaire économique » du jugement de la Cour d’Appel de Paris. Est-on à la veille d’une nouvelle grande victoire du mouvement revendicatif ? Par le biais d’un entretien à ’Témoignages’, Claude Allier, syndicaliste à la CGTR, apporte un éclairage réunionnais sur ces événements très importants.


Deux décisions de justice en appel viennent d’invalider le CNE. À quel niveau se situe maintenant la bataille ?

- Claude Allier : L’article 55 de la Constitution stipule que les accords internationaux sont applicables. La France a ratifié la Convention 158 de l’Organisation Internationale du Travail (OIT). C’est sur le respect de l’article 4 de cette convention que s’appuient les jugements.

Le seul moyen de s’opposer à cette décision, c’est la Cour de Cassation. Si la Cour de Cassation ne confirmait pas le jugement en émettant des réserves sur l’application de la convention 158 de l’OIT, cela voudrait dire une remise en cause de l’application par la France de tous les accords internationaux.

À ce sujet, on peut également préciser que l’application du droit international est un argument que les travailleurs ne doivent pas hésiter à utiliser. Par exemple, les associations de lutte contre le SIDA ont pu faire évoluer le droit du travail en s’appuyant sur l’article 26 du Pacte international de New York, ratifié par la France en 1981. Il n’est plus possible de licencier pour maladie.

Quoi qu’il en soit, à notre avis, pour le CNE, juridiquement, le débat est clos.

Les juges soulèvent la contradiction du CNE

Si l’illégalité de la disposition permettant le licenciement sans motif fait jurisprudence, cela veut-il dire une requalification automatique des CNE en CDI ?
- Dans les textes, le CNE est déjà un CDI. Ce qui le différencie du CDI, c’est la période d’essai de 24 mois. C’est uniquement cette dernière disposition qui est invalidée par deux décisions de Cour d’Appel. Si elles deviennent jurisprudence, alors celui qui a signé un CNE est bel et bien en CDI, et il est impossible de licencier ce salarié sans motif.

Si les employeurs voient que la jurisprudence évolue, leurs comportements évolueront.

Il faut tout de même noter que dans son jugement, la Cour d’Appel de Paris met le doigt sur une contradiction : « Dans la lutte contre le chômage, il est pour le moins paradoxal d’encourager les embauches en facilitant les licenciements ». Il est encourageant qu’un jugement mette en évidence une contradiction dans une mesure prise par un gouvernement. Car, rappelons-le, un des motifs invoqués pour l’adoption du CNE, c’est la lutte contre le chômage. Le jugement estime que ce n’est pas en augmentant la précarité que l’on va créer des emplois.

Derrière le juridique, un combat idéologique

Que pensez-vous de la démarche de Laurence Parisot, Présidente du MEDEF, de demander au président de la juridiction d’appel ayant déclaré le CNE illégal de débattre du « commentaire économique » de ce jugement ?

- Tout d’abord, c’est une remise en cause de l’indépendance de la Justice. J’espère que la présidente du MEDEF ne veut pas dicter à l’institution judiciaire la manière de se conduire.

Ensuite, le contenu idéologique ne doit pas faire illusion : on brandit l’économique pour pouvoir licencier plus facilement. Pour tenter de remporter l’adhésion du plus grand nombre sur le CNE, on met en avant un problème économique. Or, ce problème existait et existe toujours.

En effet, un chef d’entreprise n’est pas un mécène, il va embaucher s’il y a de l’activité. C’est ce qui doit être au cœur. En quoi le CNE permet-il de faire augmenter l’activité ? Au contraire, lorsqu’un travailleur est en situation de précarité comme avec le CNE, il n’est pas placé dans des conditions idéales pour produire.
La démarche de la présidente du MEDEF, et d’autres organisations patronales comme Ethic et CroissancePlus qui mettent, elles, en avant la confiance que les chefs d’entreprise doivent avoir pour embaucher, est un combat idéologique. Ce combat se traduit pas la volonté de mettre l’économique au centre de tout, en enrobant le discours par des mots comme "flexibilité" ou "confiance". Le salarié est alors en périphérie, devant subir la précarité.

Si on remettait l’humain au centre, les chefs d’entreprise reprendraient confiance en l’être humain avec qui ils travaillent, qui leur apporte des richesses et peut alors répondre pleinement aux demandes nouvelles créées par une hausse de l’activité.
Autre exemple : des salariés en CNE doivent recourir en référé aux Prud’hommes car ils ne sont plus payés par leur employeur. Faute de revenu, ils ne peuvent même plus aller travailler et sont obligés de demander la rupture de contrat. Dans ce cas précis, c’est l’irresponsabilité du chef d’entreprise qui est en cause. Ce n’est pas une plus grande précarité, comme le permet le CNE, qui peut régler ce type de problème.

Continuer le combat pour l’égalité

Quel peut être l’impact des jugements des Cours d’Appel de Paris et de Bordeaux sur les négociations en cours entre partenaires sociaux et gouvernement, relatives au droit du travail ?

- Il est possible qu’il y ait des choses à revoir dans le Code du Travail. Mais il est un fait : le Socle du Code du Travail doit rester, c’est un droit acquis.

Nous vivons aujourd’hui une période de reflux du mouvement ouvrier. Ce moment de reflux temporaire ne doit pas se traduire par un reflux juridique.
Le Code du Travail est le fruit de décennies de luttes, cela a permis des avancées considérables jusqu’en 1981.

En 1981, l’élection d’un président socialiste et l’arrivée d’un gouvernement dirigé par le PS a alors soulevé un immense espoir. Un espoir trahi, où le constat est que ce sont les travailleurs qui ont été grugés. La flexibilité, la multiplication des CDD et l’explosion de la précarité, tout cela est l’héritage des gouvernements dirigés par le PS. À La Réunion, tout le monde se souvient que le 1er Mai travaillé, nous le devons au PS quand il était à la tête de la Mairie de Saint-Denis.

Les événements récents confirment pour les travailleurs une évidence : entre le PS et la droite, il n’y a pas grande différence.

Nous souhaitons qu’à La Réunion, nous puissions arriver à continuer le combat pour l’égalité dans le Code du Travail. Il existe encore des dispositions qui sont moins favorables aux travailleurs réunionnais, comme par exemple pour le personnel de maison. Par ailleurs, des conventions collectives ne sont pas appliquées ici, ou quand elles le sont, elles ne donnent pas toujours les mêmes droits aux salariés de La Réunion par rapport à ceux qui, en Métropole, font le même travail.

Nous comptons donc sur la mobilisation la plus large pour que le travailleur réunionnais puisse être respecté, que l’égalité soit reconnue dans le droit du travail, et pour que le droit, rien que le droit, soit appliqué dans les entreprises à La Réunion.

Dossier Manuel Marchal


Licenciement sans motif et discrimination sont illégaux

De par l’article 55 de la Constitution, ces deux dispositions contenues dans des accords internationaux ratifiés par la France s’appliquent.

Convention 158 de l’OIT
Article 4
« Un travailleur ne devra pas être licencié sans qu’il existe un motif valable de licenciement lié à l’aptitude ou à la conduite du travailleur ou fondé sur les nécessités du fonctionnement de l’entreprise, de l’établissement ou du service ».

Pacte international de New-York
Article 26
« Toutes les personnes sont égales devant la loi et ont droit sans discrimination à une égale protection de la loi. A cet égard, la loi doit interdire toute discrimination et garantir à toutes les personnes une protection égale et efficace contre toute discrimination, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d’opinion politique et de tout autre opinion, d’origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de tout autre situation ».


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