« Ni pauvres ni soumis » : les personnes handicapées sortent de l’ombre

« Il est temps que le gouvernement nous entende »

31 mars 2008

Samedi, des milliers de personnes atteintes de maladies invalidantes, accenditées du travail et de la vie ont défilé en métropole et à La Réunion, pour réclamer la révalorisation de leur pension. Car comment vit-on avec 628 euros par mois ? Plus que des décrets de loi et des promesses, les citoyens handicapés veulent des actes, réclament le droit à la dignité.

Cette chaîne de solidarité qui a vu près de 27.000 personnes défiler dans les rues de la capitale samedi et pas moins de 500 à La Réunion est la réponse légitime au ras le bol suscité par l’injustice récurrente des pouvoirs publics à l’égard des personnes handicapées.
(Photos SL)

Le mouvement “Ni pauvres, ni soumis” engagé en métropole et relayé à La Réunion est historique. En effet, c’est la première fois en 30 ans de combat pour la reconnaissance et l’accès des personnes handicapées aux droits fondamentamentaux de citoyens, que la centaine d’associations déclarées au plan national décident de battre le pavé. A La Réunion, elles sont 40 à se donner la main.

L’AAH ne «  permet pas de vivre décemment  », disait le candidat Sarkozy

Cette chaine de solidarité qui a vu près de 27.000 personnes défiler dans les rues de la capitale samedi et pas moins de 500 à La Réunion est la réponse légitime au ras le bol suscité par l’injustice récurrente des pouvoirs publics à l’égard des personnes handicapées. Déclencheur de ce mouvement de grogne : la revalorisation au rabais de l’Allocation Adulte Handicapé dont le montant est bien en dessous du seuil de pauvreté établit à 800 euros. « L’Allocation Adulte Handicapé ne permet pas de vivre décemment, elle n’atteint même pas le seuil de pauvreté, et, au nom de la solidarité la plus élémentaire, je propose d’en revaloriser le montant de 25%. » La profession de foi du candidat Sarkozy est bien loin de l’application qu’en propose aujourd’hui le président qui a revu ses ambitions de solidarité à la baisse : 5% soit à peine 30 euros par mois. En métropole, ce sont 722.101 bénéficiaires de l’AAH (au 30 juin 2004) et 10.735 à La Réunion (au 12 décembre 2004) qui sont aujourd’hui, en pleine crise du pouvoir d’achat contraints à une précarité insoutenable. « C’est inadmissible », se soulève la sénatrice Gélita Hoarau. Seule élue, aux côtés de Gino Ponin-Ballom, a avoir participé à la marche de samedi, la sénatrice a rappelé que l’injustice dont sont victimes ces personnes invalides est d’autant plus criante à La Réunion où le coût de la vie est nettement supérieur à celui de la métropole (Voir par ailleurs). Déjà exclues du fait de leur handicap de la vie sociale et professionnelle, ces femmes et hommes ne supportent plus de subir le mépris révélé par l’immobilisme chronique des pouvoirs publics.

A quand les effets de la loi sur la handicap ?

Avec courage et conviction, ils ont brisé samedi la loi du silence, sont sortis de l’isolement dans lequel on veut les contraindre. Ils se sont affichés main dans la main bien décidés à faire entendre leur droit. Le Collectif réunionnais a déposé une motion en préfecture dans l’après-midi, accompagné des deux élus en présence. Outre la revalorisation de l’AAH à hauteur du SMIC afin de permettre aux personnes handicapées d’avoir « un réel revenu de subsistance », il demande à ce que les moyens soient localement mobilisés en faveur de l’application de la loi du 11 février 2005. « L’accessibilité, l’intégration professionnelle, l’accès à l’école de la République, l’égalité de traitement sont des domaines où nous attendons de voir la loi respectée », a soutenu Jean-Bernard Sangaria, représentant du collectif. « Il est temps que le gouvernement nous entende. » A La Réunion, la notion de compensation inscrite de la loi va nécessiter des efforts concrets de la part du gouvernement compte tenu des nombreux retards qu’enregistre notre département en terme de structures d’accueil, d’aménagement des lieux publics (à commencer par la préfecture). « Un handicapé qui se bat pour s’intégrer donne une leçon de vie aux autres », estimait le candidat Sarkozy le 4 avril en visite au centre de rééducation fonctionnelle de Kerpape. Espérons qu’il retiendra celle de samedi car le Collectif “Ni pauvres ni soumis” au plan national comme local n’est qu’au début de son mouvement.

Stéphanie Longeras


Quelques données pour rappel

En 10 ans, +21% bénéficiaires de l’AAH

Notre île compte une forte proportion de bénéficiaires de l’Allocation Adulte Handicapé (AAH) : 26 pour 1.000 personnes âgées de 20 à 59 ans, taux supérieur de 18% à la moyenne nationale. Depuis 10 ans, le nombre de bénéficiaires de l’AAH a progressé de 21%, passant de 8.871 allocataires en 1994 à 10.735 au 31/12/2004.

La capacité d’accueil en milieu protégé reste 3 fois moindre qu’en métropole

En 10 ans, le nombre de personnes handicapées travaillant en milieu protégé (en CAT exclusivement) a quasiment doublé. Cette activité représentait plus d’1/3 des personnes handicapées en 1991, la moitié en 1995 pour atteindre près des 2/3 en 2001 (64%), les hommes étant plus nombreux à bénéficier de ce genre d’activité (70% contre 47%). Malgré cette forte progression, la capacité d’accueil en milieu protégé reste 3 fois moindre qu’en métropole.

La capacité des foyers d’hébergement régresse

Les 5 établissements de l’île accueillent 134 travailleurs handicapés en 2004 (-31% par rapport à 1995). Environ 300 personnes handicapées sont accueillies dans les structures spécialisées de la région. Les capacités de l’ensemble de ces établissements progressent par rapport à 1995, même si ces équipements restent insuffisants : +37% pour les maisons d’accueil spécialisées, +100% pour les foyers de vie, +48% pour les foyers
d’accueil médicalisés. Par rapport à la métropole, notre région présente un déficit de places pour presque tous les établissements, à l’exception des foyers d’accueil médicalisés.
La région Ouest semble défavorisée face à ce problème d’hébergement puisqu’elle est dépourvue de foyers d’hébergement, de foyers de vie et de foyer d’accueil médicalisé.

Source Observatoire Régional dela Santé 2005 (www.orsrun.net)


Témoignages

Jean-Fred Festin, 38 ans

« 
On se sent coupable. On ne mérite pas ça  »

Il y a deux ans, Jean-Fred a dû faire appel à la presse pour dénoncer la suppression brutale et injustifiée de son AAH. La médiatisation de son cas a permis de rétablir la situation mais sans cette démarche ? « Ce n’est pas évident de devoir sans cesse demander, mais l’assistanat est indispensable pour nous », soutient Jean-Fred qui avoue qu’il faut souvent mettre sa fierté et sa dignité de côté. « Ensemble, on veut montrer qu’on est là, qu’on existe et que les porteurs de handicap ont quelque chose à dire (...) Avec 628 euros par mois, quand on enlève ses charges, il ne reste rien pour vivre. On est obligé de faire appel au soutien familial dans un contexte où la vie n’est facile pour personne. C’est très dur d’avoir toujours à demander la charité. On voudrait être plus autonomes. » Mais avec ce maigre revenu, les bénéficiaires de l’AAH ne sont pas solvables pour les banques, astreints à la précarité. « On a pas le droit de faire un crédit, pas le droit de vivre comme les autres mais seulement celui de combattre ou de baisser les bras. » Et les moments de découragements sont les plus fréquents. Jean-Fred a bien essayé de trouver du travail mais sans succès. « J’ai cherché dans tous les domaines d’activité, mais j’ai fini par me décourager. En tant qu’handicapé, la recherche est très compliquée et quand on est confronté au manque de volonté des chefs d’entreprise, c’est encore plus dur à supporter. » L’amende, dont doivent s’acquitter les entreprises qui à partir de 20 salariés n’embauchent pas une personne handicapée, n’est selon lui pas assez dissuasive ou persuasive. Le mieux serait que chacun prenne conscience que les personnes handicapées ont tout autant leur place que les valides dans la société. « Cette manifestation est aussi pour nous l’occasion de nous rendre visible, de chercher la reconnaissance. » Jean-Fred vit seul, il n’a pas d’enfants. Les problèmes financiers étaient devenus tellement prégnants dans le couple que sa compagne l’a quitté. « Ca m’a détruit moralement, confie-t-il. On ne peut pas construire notre vie, faire des projets comme tout le monde, avoir des loisirs... nous vivons dans l’incertitude constante. Et en plus de tout ça, on se sent coupable. On ne mérite pas ça. »

Suzie, Yvette, Augustine : des dames en colère

« 
On a aussi le droit de vivre quand même !  »

Dans le Jardin d’Etat, assises à l’ombre d’un large piéd’boi, nous interrompons la conversation de ces dames. Yvette, 58 ans, clouée à son fauteuil, s’insurge de ne pouvoir vivre décemment. « Quand on a payé le loyer, l’eau, la nourriture, la lumière... qu’est qu’il nous reste pour vivre ? Au 15 du mois, on n’a plus rien sur le compte. Ce n’est pas supportable (...) Moi aussi j’aimerais pouvoir recevoir des amis à dîner, leur faire un repas, mais ce n’est pas possible. On a aussi le droit de vivre quand même ! » » Face à elle Suzie 60 ans a la charge de sa soeur tétraplégique, Joëlle, 51 ans. « Elle adore les fruits, mais c’est difficile de lui en proposer tous les jours. Il faut sans cesse faire des choix. Elle sort de temps en temps avec une association et il faut ramasser de l’argent pour ça. Mais il faut bien qu’elle ait elle aussi des loisirs. » « Elle adore voyager », poursuit Augustine, 87 ans, maman de Joëlle. « Personnes handicapées ou âgées, on nous repousse de plus en plus ; on nous demande toujours d’attendre, d’attendre, mais rien ne vient. » Et Suzie de rappeler que le coût de la vie est à La Réunion beaucoup plus cher qu’en métropole et que certaines réformes du gouvernement ne favorisent pas le pouvoir d’achat déjà restreint des familles. « Regardez les médicaments qu’on doit payer aujourd’hui. Joëlle c’est à vie qu’elle doit en prendre », rappelle Suzie qui trépigne de tant d’injustices. Oui, ces dames l’avouent : elles sont en colère. « Nous allons continuer à nous mobiliser, avertit Suzie. Il faut que toutes les associations de l’île poursuivent leurs efforts pour que nous soyons entendus. Il faut que les valides, les élus... tout le monde nous rejoignent. » Gabriel veut alors réagir. Nous tendons l’oreille, lui laissons le temps de sortir les mots qui peinent à venir du fait de son handicap et la question s’énonce : « Il est où le maire ? »

Jean-Lucet, 35 ans

« 
Le travail, ça me donne un but  »

Depuis peu, Jean-Lucet bénéficie d’un fauteuil électrique. Les douleurs liées à son handicap rendaient nécessaires cet outil dont il connaît le prix et tient à nous le rappeler : 11.000 euros. Il dit avoir de la chance car c’est le directeur du CAT (Centre d’Aide par le Travail), Dominique Samuel, où il travaille tous les jours qui a fait la démarche pour lui. Pour Jean-Lucet, avoir une activité quotidienne donne un sens à sa vie. « Je n’ai pas de loisir, alors le travail ça me donne un but. J’aime ça », confie-t-il. Mais depuis qu’il a son fauteuil électrique, on lui refuse le transport. « Si vous pouviez en parler pour moi car je dois aller tous les jours au CAT mais le transporteur (qui se reconnaîtra) refuse de me prendre avec mon fauteuil. Je n’ai pas suffisamment de tickets pour prendre le taxi, alors je suis obligé de laisser mon fauteuil électrique au centre. Ca n’est vraiment pas pratique. » N’est-il pas possible de trouver une solution pour Jean-Lucet ? Comme si le handicap ne constituait pas une difficulté suffisante.

Propos recueillis par SL


Gélita Hoarau n’en restera pas là

« 
C’est inadmissible  »

La manifestation de ce samedi est d’autant plus légitime pour la sénatrice -que l’on sait déjà très impliquée aux cotés des autistes - qu’ « il s’agit généralement de pères et de mères de famille qui doivent faire face à toutes les demandes de la vie quotidienne avec un revenu qui les placent en dessous du seuil de pauvreté. C’est inadmissible. On ne voit pas comment ces citoyens à part entière peuvent vivre avec le coût de la vie que l’on connaît à La Réunion. Je souhaite vraiment que ces personnes aient accès à la formation professionnelle et à l’emploi. Pour préparer les citoyens de demain il faut d’abord miser sur la petite enfance en donner les moyens aux enfants d’aller à l’école et en fournissant les encadrants scolaires nécessaires. Comment intégrer le handicap dans la vie sociale ? Se demande le président Sarkozy. On nous parle sans cesse de la loi de 2005, c’est parfait mais il peut déjà commencer par là. Même en augmentant l’AAH de 25% comme promis, ce ne serait pas suffisant pour les bénéficiaires de La Réunion encore pénalisés par rapport à la métropole. » La sénatrice ne veut pas en rester là. Ce mouvement local étant le relais aussi d’un mouvement national, elle va rencontrer les responsables des associations participantes pour voir ce qui peut être mis en route, quelle suite donner à cette manifestation pour qu’elle rencontre une réponse concrète. Un soutien bien accueilli qui ne sera pas de trop.

SL

Luttes pour l’emploi

Signaler un contenu

Un message, un commentaire ?


Témoignages - 80e année


+ Lus