Témoignage d’une TOS précaire licenciée au 1er février

« Je n’ai jamais failli à ma mission, aujourd’hui, on me jette dehors »

28 janvier 2008, par Edith Poulbassia

Clarisse travaille depuis 5 ans dans un lycée. Cinq ans de précarité, 3 enfants à charge, un loyer à payer, bref, une vie à assumer. Pendant toutes ces années, on lui a promis de régulariser sa situation par concours ou titularisation. Elle a même participé à une formation, mise en place « pou bouche le zié ». Une fois de plus, elle va défendre ses droits devant les grilles du Rectorat.

La pilule ne passe toujours pas pour Clarisse*. La nouvelle, qui n’en est plus une, sonne pour elle comme une injustice. Clarisse a fêté la nouvelle année avec angoisse, elle ne dort même plus la nuit, nous confie-t-elle. Jeudi, elle sera au chômage. Après 5 ans de bons et loyaux services dans un lycée, en tant qu’agent de restauration, elle est purement et simplement licenciée. Le mot n’est pas trop fort. C’est comme cela que la jeune femme le vit, et c’est bien ce qui est en train de se produire aussi pour 119 de ses collègues. Au 1er février, ils n’ont plus qu’à aller pointer à l’ANPE. Le même gouvernement qui se plaît à annoncer chaque mois la baisse du chômage ne rechigne pas cette fois à rajouter quelques demandeurs d’emploi sur les listes déjà bien fournies des agences locales pour l’emploi.

« Il y en a qui disent : c’était précaire, il fallait s’y attendre. C’est plus compliqué ».

« Mais voyons, Clarisse, ne saviez-vous pas que cet emploi n’était que provisoire ? On ne peut rien faire pour vous, on verra ce que l’on peut faire... ». Pour résumer, ce sont les réponses qui ont été distillées jusqu’à présent à chaque manifestation des syndicats SGPEN-CGTR et FSU. Et à quelques jours de la date fatidique pour 120 TOS précaires, toujours rien de concret. N’est-ce pas incroyable ? On se renvoie la balle, l’organisation d’une table-ronde n’aboutit à aucune solution, personne ne décide, le gouvernement reste muet comme une carpe... Le personnel précaire va bien finir par se lasser.
Mais non, ils ne se lassent pas. Pour la énième fois, ce matin, Clarisse sera devant les grilles du Rectorat avec les représentants syndicaux. Comme elle l’a déjà fait devant la Préfecture, le Conseil général, le Conseil régional, l’année dernière. Clarisse s’accroche. Elle fera un long trajet en bus s’il le faut, à moins que des collègues lui proposent le covoiturage. Participer à cet ultime rassemblement, Clarisse le fait pour ses enfants et son mari, lui aussi en situation de précarité. Comment va-t-elle soutenir l’aîné de ses enfants qui suit des études supérieures ? Et les deux plus jeunes, dont l’un est au lycée, l’autre en Primaire ? Comment va-t-elle payer son loyer ? Ce sont les questions qui lui trottent dans la tête.
Clarisse a d’abord été embauchée au sein de l’établissement scolaire pour un contrat de 2 ans. Les contrats de 1 an, de 6 mois et enfin de 3 mois se sont enchaînés. Lors du recrutement, on lui avait pourtant exposé clairement les choses : les établissements scolaires ont besoin de personnel. Si vous êtes recruté aujourd’hui en contrat précaire, demain, vous aurez la possibilité de faire valoir votre expérience pour passer les concours et être titularisé. « On nous a demandé de faire notre inscription sur Internet pour les concours. J’ai appris dans des livres, mais on ne m’a jamais convoquée pour les épreuves », raconte Clarisse. Le Rectorat lui a proposé une formation, une fois par semaine sur une période de 3 mois, se souvient-elle. « On a su 3 jours après que la formation pour la gestion des cuisines, des espaces verts, le service général avait débuté. J’ai commencé à y aller. Mais il manquait de personnel de cantine dans le lycée où je travaille. Alors j’ai arrêté ».

« Maintenant qu’on a voté pour eux, que font nos députés à l’Assemblée nationale ? »

Si Clarisse est officiellement agent de restauration, en réalité il lui arrive se s’occuper de l’entretien, et même de la fermeture du lycée, d’assurer des remplacements. Cette rentrée à un goût amer pour elle, mais cette semaine elle l’a préparée comme si de rien n’était. Avec le même souci du travail bien fait. Ce lycée de près de 400 élèves fonctionne avec une vingtaine d’agents précaires, répartis entre la restauration, l’administration, l’entretien, la surveillance. Elle n’est donc pas seule à risquer de se retrouver sans emploi dès jeudi. Mais tous n’ont pas la force de défendre leur poste. « Jusqu’à présent beaucoup n’ont pas osé manifester. Ils avaient peur qu’on leur coupe leur paie, explique Clarisse. On nous dit qu’il y a 1200 TOS et administratifs précaires. Où sont-ils dans les manifestations ? La dernière fois nous étions 400, des professeurs s’étaient joints à nous. Ils ont commencé à comprendre ce qui se passe ».
Mais Clarisse attend encore plus de solidarité de la part de ses collègues titulaires de l’Education nationale et même de la population réunionnaise. « Mes collègues titulaires ne veulent pas réagir tout de suite. Ils n’en ont pas conscience, mais plus tard ce gouvernement s’en prendra aussi à leurs droits », Clarisse en est convaincue. Elle attends que tous les précaires se fassent enfin entendre, que les jours qu’elle a passé à les faire réagir vont enfin porter leurs fruits.
De la rencontre d’aujourd’hui avec le recteur, Clarisse espère une vraie solution et non un aveu d’impuissance.
« Il y a 2 ans je crois, le recteur Paul Canioni venait juste d’arriver, il avait promis devant les caméras de mettre en place des formations. Il avait beaucoup promis », se rappelle Clarisse. Elle se souvient aussi du dernier accueil qui leur a été réservé, les forces de l’ordre pour les déloger. « Et les élus, nos parlementaires, que font-ils ? On ne les entend pas s’exprimer. Maintenant qu’on a voté pour eux, que font nos députés à l’Assemblée nationale ? », s’interroge la jeune femme. « A part Huguette Bello, qui, à chaque manifestation, est à nos côtés, les hommes politiques ne nous soutiennent pas beaucoup », constate Clarisse. Elle aimerait les voir plus nombreux ce matin à 11 heures au Rectorat, aux côtés de ce personnel précaire.

Edith Poulbassia

* Clarisse est un prénom d’emprunt


Clarisse ne manque pas d’expérience

Cinq ans de contrats précaires dans un lycée, agent de restauration, Clarisse assure aussi les remplacements, les travaux de nettoyage, on lui demande parfois de fermer les portes de l’établissement.
C’est après 3 ans d’inscription à l’ANPE que Clarisse décroche cet emploi au lycée. Elle ne le doit pas à l’ANPE. C’est à force de chercher, chercher et encore chercher, autant dire une aiguille dans une botte de foin, qu’elle trouve un emploi et rompt ainsi avec le chômage. Recrutement sur lettre de motivation, curriculum vitae...
C’est précisément son expérience dans la restauration qui va jouer en sa faveur. « J’ai un niveau CAP, mais j’ai travaillé dans les cuisines d’une Maison de retraite, dans une cafétéria, en tant que vendeuse dans un snack-bar, à l’entretien dans une collectivité ». Soit 7 années d’expérience.

EP

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