Face à la circulaire du Rectorat... SGPEN-CGTR et Unatos-FSU durcissent le mouvement

« Je ne sais pas si on va gagner mais je sais que tout le monde va y perdre »

28 novembre 2007

343 emplois des filières administrative et vie scolaire de l’Education nationale seront supprimés d’ici au 1er semestre 2008, dont 120 avant le 1er février comme confirmé lundi par circulaire rectorale. Le SGPEN-CGTR et Unatos-FSU ne désarment pas. Ils appellent les personnels, précaires et titulaires, ainsi que les autres forces syndicales à les rejoindre.

A 14 heures aujourd’hui, les personnels précaires de l’Education nationale se mobiliseront devant la sous-préfecture de Saint-Pierre avant l’Assemblée générale à 14 heures 30 au siège de la CGTR Sud pour décider de la suite du mouvement. D’ores et déjà, le SGPEN-CGTR et Unatos-FSU annoncent le blocage des élections professionnelles au Rectorat le 4 décembre et un préavis de grève pour la rentrée scolaire de 2008.

L’Education nationale a «  institutionnalisé la précarité  »

Les filières administrative et vie scolaire des lycées et collèges de l’île comptent actuellement 1.000 personnels titulaires et 668 emplois précaires sous contrats CAE et CAV. La moitié de ces contrats sera supprimée d’ici au 1er semestre 2008, soit un emploi précaire sur deux. Paiement des bourses, secrétariat, intendance, surveillance dans et aux abords de l’établissement : « Derrière la souffrance humaine que l’on peut comprendre, c’est aussi le dysfonctionnement des services des établissements qui est en jeu, rappelle Patrick Corré, secrétaire général du SGPEN-CGTR. Il faut ajouter à cela les mesures gouvernementales de ne pas remplacer un départ à la retraite sur deux chez les enseignants ! » Et ce dernier de sous-tendre que la bataille d’aujourd’hui pour sauver ces dizaines d’emplois mais aussi le système scolaire est la résultante de la politique de l’Education nationale qui a fixé les règles, « institutionnalisé la précarité. » « Depuis 10 ans pour certains, aucune formation, aucun concours réservé ouvert aux précaires de droit public », rappelle-t-il. Quand la circulaire rectorale souligne aussi que tous les contrats de 24 mois arrivant à échéance cette année ne seront pas reconduits, c’est une véritable « douche froide » pour les 45 personnels en CAV des filières administrative et vie scolaire qui espéraient une prolongation. En effet, l’État a, à plusieurs reprises, avancé la possibilité de prolonger ces contrats par dérogation comme inscrit dans la loi. Un espoir froidement anéanti par cette circulaire. Le Rectorat y envisage en revanche la possibilité pour certaines fins de contrats de basculer sur des postes d’Assistant d’Education. « Sauf que le nombre de postes créés est bien en deçà du nombre de postes supprimés, note Patrick Corré. De plus, pour prétendre à un poste d’Assistant d’Education, il faut un diplôme de niveau V et la plupart ne sont pas qualifiés. » Pour Christian Picard, loin d’« une manne providentielle », ces postes d’Assistant d’Education sont insuffisants pour remplacer tous les surveillants précaires non reconduits et tous ceux déjà supprimés ces derniers mois. La violence qui sévit dans les établissements (même si certains chefs d’établissements ne veulent pas que cela se sache), est révélatrice selon lui des dysfonctionnements engendrés par les coupes franches antérieures et présagent de ceux encore à venir avec ces nouvelles suppressions.

Victoria/Robert/Dindar : un soutien en trompe l’œil

« Ils prennent les gens pour des idiots », s’élève Patrick Corré qui dénonce une partie de ping pong Rectorat/ Préfecture qui se renvoient la balle pour ne pas mettre en place la table ronde demandée par les personnels. « I pran anou pou d’kouyon », soutient à son tour Christian Picard, relayant là le sentiment des personnels précaires. « On nous entend quand on crie, mais quand la manifestation est terminée, dès le lendemain, la partie de ping pong recommence. » Les élus dans tout ça ? Seule la députée Huguette Bello apporte, selon eux, un solide soutien. « Pour les précaires, les autres, c’est du pipeau, relaye encore le secrétaire académique de l’Unatos-FSU. Ils ont l’impression d’être pris pour des imbéciles, des moins que rien. Ils crient sans être entendus ». En effet, les députés Victoria et Robert disent face aux manifestants que l’Académie a besoin des précaires alors qu’à Paris, ils votent un budget de l’Outre-Mer diminué ! Nassimah Dindar assurait quant à elle qu’il ne diminuerait pas ! « On fait juste de la broderie pour ne pas générer de désordre avant les élections », commente encore Christian Picard. La réalité et l’urgence qu’elle revêt est que d’ici l’année prochaine, un emploi précaire sur deux va être supprimé et qu’on ignore toujours le sort qui sera réservé aux TOS précaires (estimation de 800 qui s’ajoute au 1380 titulaires). Ces suppressions massives vont forcément peser sur les titulaires qui vont avoir un doublement de leur charge de travail alors qu’ils travaillent déjà, avec les précaires en poste, à flux tendu. Des titulaires que les deux syndicats appellent donc à se mobiliser.

Les Académies des DOM se mobilisent le 4 décembre

Une mobilisation qui devrait dépasser les côtes réunionnaises. Selon Christian Picard, les académies des autres DOM rencontrent le même problème. Une action commune sera donc engagée simultanément le 4 décembre dans chacun d’eux pour interpeller les ministères de l’Outre-Mer et de l’Education nationale. « On a tendance à croire que quand on parle de l’Education nationale, tout est rose : un travail tranquille, bien payé..., poursuit Christian Picard. Il ne faut pas oublier que les personnels en cause ont besoin de leur travail pour manger. La politique de Sarkozy est en totale opposition avec la réalité : ils ne veulent pas travailler plus pour gagner plus mais déjà travailler, même s’ils gagnent peu, pour manger. » Sachant que le Chef de l’Etat a fait des promesses à ses électeurs, que ces suppressions massives amorcent la privatisation des services de maintenance, de restauration scolaire au sein des établissements, éliminant ainsi au passage toute contestation par la grève, le mouvement des précaires a-t-il une chance d’aboutir ? « Je ne sais pas si on va gagner mais je sais que tout le monde va y perdre », soutient Christian Picard. Partant de ce constat, SGPEN-CGTR et Unatos-FSU appellent tous les autres syndicats à se lever pour la défense du service public d’éducation. De leur côté, ils engageront tous les recours pour aller jusqu’au bout. Ils rassemblent les dossiers des précaires employés au rabais par l’Education nationale depuis 10-12 ans et actuellement en fonction, mais sans contrat, pour engager des procédures auprès des Prud’hommes pour que « l’Etat ne s’assoie pas si facilement sur la loi. » Ils seront au rectorat le 4 décembre pour entraver la tenue des élections professionnelles et si d’ici là, aucune table ronde n’est organisée, la rentrée scolaire de 2008 s’annonce mouvementée.

Stéphanie Longeras


Témoignage

Mélanie, 44 ans : 10 ans de précarité et le chômage à la clé

« 
Le moral est bas mais il faut se battre  »

Cela fera 10 ans en 2008 que Mélanie travaille au service de gestion administrative du lycée de La Rivière à Saint-Louis, rebaptisé dernièrement lycée Jean Joly. 2 ans en CES, 5 en CEC et 2 en CAE et.... le 31 août 2008 : elle ira pointer à l’ANPE pour rejoindre les 30% de chômeurs que compte La Réunion.

Bons de commandes pour les fournitures, gestion des factures, des bourses, de la restauration scolaire, avec vérification du pointage des 250 demi-pensionnaires à l’heure des repas, avis aux familles pour le paiement des demi-pensions, réalisation du compte financier en fin d’année pour transmission à la Chambre Régionale des Comptes... telles sont les tâches qu’exerce Mélanie avec sa collègue titulaire depuis 10 ans dans l’établissement.

«  Je ne gagne pas beaucoup mais j’aime mon travail  »

« Je fais parfois des journées de 9/10 heures, revient le mercredi matin pour avancer dans mon travail, précise la mère de famille. Je peux récupérer ces heures, sans problème, mais je me donne à fond car j’aime mon travail et c’est une question aussi de conscience professionnelle. » Elle a commencé il y a 10 ans à 3.500 francs et perçoit aujourd’hui, 906 euros. Son mari travaille certes, mais deux salaires ne sont pas de trop pour assumer les études de leurs deux garçons, jumeaux âgés de 19 ans, l’un à l’Université, l’autre en Bac pro. « Je ne gagne pas beaucoup, mais j’aime mon travail : c’est ma dignité, ma vie professionnelle, explique Mélanie. J’avais auparavant travaillé 5 ans dans la comptabilité pour le privé et en 10 ans, j’ai appris beaucoup d’autres choses. Lundi, on a reçu une circulaire et une attestation pour aller pointer à l’ANPE. Psychologiquement, moralement, c’est très difficile. J’ai le sentiment d’avoir été asservie, que mon travail, mon investissement n’ont pas été reconnu, même si je me suis donnée à fond. Je déplore qu’il n’y ait pas eu de concours mis en place car j’aurais essayé de m’en sortir comme ça. » Mélanie nous dit qu’elle entretenait l’espoir que le Rectorat propose une solution pour elle et les autres précaires dans son cas mais « quand la circulaire arrive avec le tableau récapitulatif des emplois supprimés par établissement, on ne se fait plus d’illusion. »

«  Mes chances de retrouver un emploi sont faibles  »

Mobilisée depuis octobre, Mélanie a été reçue avec la délégation par Didier Robert, Jean-Paul Virapoullé, le Sous-préfet de Saint-Pierre, Jean-Pierre Aygalant de la Direction du Travail, un responsable du cabinet de Nassimah Dindar, de celui du Recteur... « Pendant 15 jours, on a été dans la rue, partout. On gagne déjà peu, mais j’ai la chance que mon responsable d’établissement me permette de rattraper ces jours. Il faudra travailler plus mais pour d’autres, on leur coupe net leurs journées. C’est déjà dur de vivre avec 500/700 euros avec un CAV et 600 euros pour un CAE de 20 heures alors je comprend que même si d’autres voulaient défendre leur emploi, ils ne pourraient pas se le permettre financièrement. » Un chef d’établissement compréhensif donc et qui est intervenu personnellement par courrier auprès du rectorat pour demander l’intégration de Mélanie, personnel indispensable, au service de gestion en tant que vacataire ou contractuelle. Mais il n’a reçu aucune réponse de son autorité de tutelle ! « Le mépris est total », commente Mélanie qui ne trouve guère plus de respect auprès des élus rencontrés. « On nous a dit que l’on faisait tout pour les contrats aidés, mais on vote un budget en baisse de 20 millions d’euros ! » « 10 ans, ce n’est pas 10 jours, poursuit Mélanie. Du jour au lendemain, je me retrouve à l’ANPE, c’est très dur moralement. D’autant qu’à mon âge, vu le taux de chômage, l’incapacité du secteur marchand à fournir des emplois à tout le monde, mes chances de retrouver un emploi sont faibles. Ce qui m’embêterait, c’est qu’on mette quelqu’un d’autre à ma place. Si l’on a plus de budget, c’est pour personne. Si l’on compte sur les contrats uniques pour nous remplacer, moi je n’ai aucune chance car il concerne les bénéficiaires des minima sociaux et je ne suis pas dans cette catégorie... Seule, ma collègue ne pourra pas tout assumer, c’est déjà difficile à deux : on traite à deux le listing des bourses pour qu’elles soient versées à temps au 15 décembre pour les fêtes. Seule, elles seront forcément différées. »
Mélanie sait qu’elle a peu de chance de rester à son poste, mais elle va quand même poursuivre la mobilisation. « Je vais essayer de me battre encore. Je ne sais pas si on va gagner, on ne le sera que si on mène la bataille. Je m’engage pour moi et pour tous mes collègues. Le moral est bas, mais il le faut pour le respect, la dignité, le travail. »

Propos recueillis par SL


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