Tribune libre

Journaliers communaux : les vraies questions ne sont pas posées

26 août 2005

Dans la longue, longue, très longue marche vers la résolution du problème des 10.000 agents communaux non titulaires (les journaliers), un moment, certains avaient rêvé qu’un texte au niveau national, loi ou décret, invente un dispositif pour enfin pouvoir les titulariser. Ces textes auraient permis de répondre à une attente qui pour certains dure depuis 10, 15, 20 ans, voire plus.
Ces personnes vivent au quotidien l’injustice d’une fonction publique à multiples vitesses.
Ils permettent au quotidien le fonctionnement de 24 communes (restauration scolaire, service technique, service administratif...). Ils sont partout et tous reconnaissent qu’ils ont un sens sans pareil du service public.

De mieux en mieux formés et toujours disponibles, ils occupent pour la plupart des emplois de catégorie C pour lesquels un concours n’est pas exigé. Ils font preuve d’une patience qui frise la maladie ; d’ailleurs certains craquent et finissent chez un psy.
Peu nombreux parmi eux sont ceux qui parviennent à s’en sortir, à réussir un concours de catégorie B ou A. J’en suis un. Les autres doivent se contenter des avancées qu’ils ont conquises dans la dignité. Ils doivent se contenter d’un protocole d’accord que certains maires bien intentionnés n’ont jamais signé. Ils doivent se contenter et se satisfaire, là où ce protocole a été signé, d’une “fonction publique locale à la métropolitaine” avec un secret espoir, celui de la titularisation avec indexation, leur permettant d’être traités d’égal à égal...
Ils étaient dernièrement encore disposés à attendre plusieurs années (point trop n’en faut cependant...) le rattrapage de la prime coloniale pour peu que la titularisation soit obtenue (20% dans un premier temps, puis 40%...).

Cet espoir légitime, ce rêve pourrait se concrétiser sans difficulté si la réalité réunionnaise n’était pas biaisée par la "sur-rémunération".
Sur le plan national, nous ne sommes pas à un plan près de lutte contre la précarité dans la fonction publique. Tous ces personnels précaires, s’ils exerçaient là-bas, pourraient devenir fonctionnaires territoriaux titulaires avec tous les droits y afférents et ce sans l’ombre ni d’une contestation, ni d’un procès. Mais voilà, ici c’est différent. Ici règne la fonction publique à plusieurs vitesses. Alors vous pensez ! Titulariser des employés communaux ! Quelle idée ! Et qui va payer ?
Les finances locales sont exsangues. L’État ne se sent pas concerné. Il n’est pas l’employeur de ces agents, il n’a donc pas à abonder les budgets communaux. Inutile d’attendre une Dotation Globale de Fonctionnement indexée ou une dotation spéciale. Ce n’est pas nous ! Et puis l’État donne suffisamment... Même s’il est lui-même responsable de cette situation qu’il a créée et amplifiée au fil des ans et des décennies.

Et dans ce contexte de "débrouilles-toi tout seul" où l’État ne sera ni la providence du maire, ni son soutien ou son recours pour résoudre ce problème, voilà qu’arrive (ouf sauvé !...) un nouveau texte paré de toutes les vertus "portant diverses mesures de transposition du droit communautaire à la fonction publique". Cette loi n’était pas prévue spécialement pour l’Outre-mer et encore moins pour La Réunion, contrairement à ce que certains veulent faire croire. Qu’à cela ne tienne, avec une circulaire (bonne ?...) d’application locale, l’État pourra occulter la lourde question financière, en arguant d’une protection juridique sans pareil. Et voilà que nos journaliers “autorisés” d’hier, personnels dit “intégrés” d’aujourd’hui vont devenir des titulaires de CDD ou CDI.
Quel Progrès ! Quelle avancée sociale majeure ! On s’en pâmerait d’aise et de plaisir !!!

Merci Monsieur l’État, vivement votre circulaire ! Enfin et grâce à vous, nos problèmes seront réglés et nous ne vous oublierons pas dans nos prières ou nos actes et actions dans les années qui viennent.
Mais, voilà... Car il y a un mais : cette circulaire porte en elle le germe de l’éclatement d’un travail long, laborieux et délicat qui était peut-être sur le point d’aboutir.
Tout est à refaire. Qui ira expliquer aux 10.000 personnes concernées qu’elles vont vivre une situation de parfaite protection juridique, mieux que les arrêtés d’intégration (déjà des CDI avant l’heure), mieux que la titularisation.
Cette nouvelle non-étape dans la résolution de ce problème vieux de 30 ans (eh non ! il ne date pas de 1984 comme le pensent certains) laisse un goût amer, un grand désarroi.

Une fois encore, parce que les vraies questions ne sont pas posées, les bonnes solutions ne sont pas apportées.
Imaginons un instant que la vérité soit faite sur la formation des prix, que le véritable différentiel soit établi entre le coût de la vie d’ici et celui “d’hexagone”, que la transparence soit de mise sur les revenus qu’ils soient du public et du privé, pourrions-nous espérer qu’alors une circulaire modifiera en plus ou en moins la sur-rémunération et accorder à tous, par mesure d’égalité, le même coefficient (en activité comme à la retraite) ; ce serait un véritable progrès, pour ne pas dire une révolution.
Au passage, les budgets locaux pourraient être abondés pour permettre aux collectivités de faire face à une double situation, celle créée par l’État : la sur-rémunération et celle permise par l’État : l’anarchie des prix.
Je note, par ailleurs, que la circulaire préfectorale fera de La Réunion le cheval de Troie des CDD et des CDI dans la fonction publique territoriale.
Pensez donc 10.000 CDI d’un coup ! Voilà même par voie de circulaire une mesure de transposition du droit communautaire particulièrement réussie, donc à généraliser, et avec ça, La Réunion et l’Outre-mer repris en exemple... salé.

Diantre, les prochaines semaines risquent d’être compliquées ...

Jean-Luc Caro,
fonctionnaire territorial et membre de l’UNSA


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