L’alimentation des populations défavorisées en France - 1 -

La pauvreté alimentaire progresse en France

12 juin 2007

Dans cette synthèse des travaux dans les domaines économique, sociologique et nutritionnel de 2005, parue récemment, l’alimentation prend une dimension à part entière de la pauvreté. Elle n’est plus seulement analysée comme un poste budgétaire sur lequel peuvent s’exercer des restrictions.
En tant que l’une des composantes majeures du bien-être, l’alimentation acquiert le statut de droit fondamental, à défendre sur le plan juridique de même que le logement. De fait, les formes de “pauvreté alimentaire” ont continué à exister dans les pays développés et semblent en progression.

Au niveau budgétaire, on observe deux caractéristiques principales de l’alimentation des ménages défavorisés : l’accroissement de la place relative de l’alimentation dans le budget total et le renforcement du poids de la consommation à domicile par rapport au hors foyer.
En effet, la place des dépenses liées à l’alimentation ne cesse de croître, notamment dans les foyers les plus pauvres. En 1995, le poste “alimentation” occupait la seconde place, derrière le logement, entre 18,2 et 23,5% du revenu total. Une enquête de 2004 révèle que pour les populations en dessous du seuil de pauvreté, la part budgétaire de l’alimentation varie entre 28 et 48% du budget.
Malgré l’importance de ce poste “alimentation”, des études montrent que les décisions concernant l’alimentation ne sont pas prioritaires. Souvent, les individus s’assurent d’abord du loyer, le paiement des factures liées au logement : gaz, électricité... avant celles des « besoins alimentaires bien souvent sous ses formes élémentaires relatives à la quantité plutôt qu’à la qualité... ».

Y a-t-il une alimentation spécifique pour les plus pauvres ?

L’alimentation n’est pas différente chez les ménages défavorisés par rapport au reste de la population, mais elle reflète les contraintes de faibles ressources, d’irrégularités du revenu ou de la nécessité de faire face à un choc de revenu. Rappelons que quelque soit le niveau social, les choix de consommation des ménages sont une question de revenu avant tout.
Si l’on en reste au niveau des grands groupes d’aliments, l’analyse des quantités consommées montre une faible différenciation selon le revenu, sauf en ce qui concerne les fruits et légumes, et dans une moindre mesure le poisson.
On sait néanmoins que la variété de la consommation est liée au statut socio-économique et que les prix moyens des produits consommés sont différents selon le niveau de revenu.
En outre, on sait que du point de vue alimentaire, les privations dans les ménages pauvres concernent les adultes, mais très rarement les enfants.

Dans le cadre des échelles de pauvreté en termes de conditions de vie, un score global de pauvreté a été élaboré en France à partir de 28 indicateurs de niveau de vie sur l’enquête Epcv de l’Insee en 2002. Il ne comporte que 3 items d’ordre alimentaire dans le domaine de la consommation.
Les « ménages dont les moyens financiers ne leur permettent pas de manger de la viande, du poulet ou du poisson tous les deux jours » représentent 5% de la population. Ces ménages se trouvent surtout chez les inactifs, les employés, dans les tranches d’âge des moins de 30 ans et des 40-49 ans et 50-59 ans. Ce sont plutôt des familles monoparentales ou des personnes seules.
Les « ménages dans lesquels il arrive qu’une personne passe une journée sans prendre au moins un repas complet par manque d’argent (au cours des deux dernières semaines) » concernent 3% de l’ensemble des ménages.
Et enfin, la restriction au niveau de la sociabilité alimentaire, « ménages dont les moyens financiers ne leur permettent pas de recevoir des parents ou des amis, pour boire un verre ou pour un repas (au moins une fois par mois) » touche 9% des ménages.
Selon l’étude Re-Vivre, la première restriction alimentaire, c’est-à-dire la plus fréquemment citée (échantillon de 657 individus), porte sur la viande (49%), puis le sucre et les produits sucrés (23%), suivis par le pain et les produits céréaliers (16%).

L’alimentation des familles pauvres : un facteur d’isolement ?

Un des principaux enseignements de l’ensemble de ces études porte sur la place occupée par l’alimentation dans la vie familiale et sociale. En milieu de pauvreté, l’alimentation n’assure plus le rôle structurant des rythmes quotidiens, mais reflète l’ensemble des difficultés rencontrées par les ménages : l’irrégularité des rythmes du sommeil (insomnies, horaires irréguliers) se répercute sur l’irrégularité des horaires et des sauts de repas ; l’isolement engendré par la désorganisation de la cellule familiale se manifeste dans le désintérêt vis-à-vis des repas.
De plus, elle contribue à renforcer l’isolement des personnes qui ne peuvent plus répondre à sa fonction sociale de convivialité : les difficultés financières conduisent à refuser et/ou renoncer aux invitations si l’on estime ne rien pouvoir offrir de bon à ses hôtes. En se dégradant, l’alimentation se transformerait ainsi d’un vecteur de socialisation à un vecteur d’isolement.

En matière de lieux d’achat, les études divergent, mais la majorité montre que les familles pauvres fréquentent les grandes surfaces et les discounters. Par contre, les lieux d’achat se modifient selon la période du mois. Les ménagères préfèrent les grandes surfaces et discounters en début de mois et se tournent davantage vers les commerces de proximité, qui leur accordent un crédit, à la fin du mois.
Soulignons que les rythmes d’achat sont toutefois incompressibles à la nature de certains produits et restent identiques aux rythmes d’achat de la population générale : le pain est acheté au jour le jour, les produits laitiers à la semaine, les fruits et légumes au jour le jour ou à la semaine ; les conserves, produits d’épicerie et surgelés plutôt achetés au mois.
Outre la grande distribution et les discounters, les familles cherchent à diversifier les lieux d’acquisition des produits et ont recourt aussi à des filières informelles, au crédit, à la récupération des fruits et légumes sur les marchés de rue, aux réseaux de solidarité amicale et surtout familiale, aux stratégies d’échange ou de don entre bénéficiaires d’aide alimentaire. Concernant l’aide alimentaire, deux enquêtes mentionnent le sentiment de stigmatisation que provoque la distribution de produits périmés : « On nous donne des produits périmés. C’est parce qu’on nous considère comme périmés, on ne sert plus à rien ». Même sentiment pour les SDF.

L’alimentation des Sans domicile fixe

En l’absence d’une définition unique de SDF, les recherches distinguent la population mouvante des Sans domicile fixe (SDF) et des clochards vivant plutôt dans l’enceinte du métro et faisant la manche. Quelles que soient ces différences, l’élément majeur à retenir est le caractère de contrainte de l’alimentation des SDF. Ceux qui ont recours à l’achat d’aliments doivent faire face à de fortes contraintes financières et ceux ayant recours à des services d’aide alimentaire n’ont pas le choix des aliments servis. Plus généralement, les recherches s’interrogent sur les deux principaux versants de l’alimentation des SDF, liés aux modes d’acquisition des denrées : la dépendance et l’autonomie alimentaires.
La dépendance alimentaire renvoie au don d’aliments, qui s’effectue sous différentes formes et dans différents types de structures. Les aliments distribués peuvent être regroupés sous 3 grandes catégories : les soupes/sandwiches, les colis, les repas servis à table. La première consiste en une distribution de soupe et d’un sandwich. Ouvertes à tous sans contrôle des bénéficiaires, elles sont rapides et n’occasionnent que peu de contact entre les bénévoles et les bénéficiaires. Les colis touchent moins les SDF que les personnes en situation de précarité dans la mesure où ils imposent de pouvoir préparer les denrées brutes. Quant aux distributions de repas, elles demeurent minoritaires. Tous les SDF n’ont pas recours à ces structures. Certains préfèrent se procurer eux-mêmes leurs denrées ; d’autres ne peuvent les fréquenter lorsqu’ils ne correspondent pas aux critères requis par les institutions (âge, sexe, ressources, volonté de se réinsérer) ; d’autres encore ne s’y rendent pas lorsque les institutions sont trop éloignées du quartier dans lequel ils se trouvent, ou qu’elles accueillent des “clochards” auxquels les SDF ne souhaitent pas être assimilés.

Certains SDF ne recourent pas aux distributions alimentaires et cherchent à se procurer de la nourriture par leurs propres moyens : “manche”, récupération, vol et différents systèmes de “débrouille”. La manche peut également prendre la forme d’une quête directe d’aliments, à la sortie de certains commerces par exemple, ou bien de tickets-restaurants dans le métro ou dans la rue. Cette pratique est souvent couplée à celle de la récupération d’aliments dans les poubelles, sur les tables des restaurants et aux emplacements des marchés. La “débrouille” consiste en différentes méthodes employées pour obtenir légalement de la nourriture : services rendus à des commerces d’alimentation en échange de quelques denrées ; entretien de relations “privilégiées” avec des commerçants, qui donnent de la nourriture sans contrepartie etc...
Les contraintes qui pèsent sur l’alimentation de ces personnes renforcent leur isolement et elles ne voient pas comment sortir de ce cercle vicieux de la pauvreté.

Au lendemain d’élections présidentielles et à l’heure où les candidats aux Législatives se pressent pour recueillir les votes de la population, il est important de prendre conscience que dans notre pays, au 21ème siècle, de nombreuses personnes souffrent quotidiennement de la pauvreté, et notamment de la pauvreté alimentaire.
Que faire pour augmenter le pouvoir d’achat des plus démunis ? Ce n’est sûrement pas en augmentant la TVA, comme le gouvernement Fillon souhaite le faire...

Sophie Périabe

(Source : Synthèse des travaux dans les domaines économique, sociologique et nutritionnel, issue du projet “L’alimentation des populations défavorisées comme dimension spécifique de la pauvreté en France” soutenu financièrement par l’Observatoire nationale de la pauvreté et de l’exclusion sociale et coordonné par France Caillavet, laboratoire de Recherche sur la Consommation (Corela), département de Sciences sociales).


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Messages

  • Je suis salarié à temps plein dans le privé avec un diplôme universitaire en poche.

    J’ai 44 ans, je vis seul et je ne peux pas consacrer plus de 15Euros par semaine en frais de nourriture.

    Je dois d’abord veiller à ce que mon véhicule fonctionne bien (sinon je perd mon job - pas de transport en commun là où je suis), mon loyer représente plus de 33% de mon salaire.

    Quand je retire les frais de transport, le loyer, l’électricité, le gaz, le téléphone, l’eau, les impôts, il me reste au mieux 100 Euros en fin de mois pour manger. Le moindre incident devient vite une véritable galère.

    Je cède mes tickets restaurant qui me sont alloués chaque mois à un proche. Je ne suis pas du tout fast food. Et si je regarde du coté des restaurants : 1 ticket ne donne droit qu’à une maigre salade 20 jours seulement dans le mois...

    Je songe à renoncer au téléphone pour améliorer le quotidien - ce qui ne fera qu’accroître l’isolement.

    J’ignore à quoi ressemblera le quotidien lors de la retraite. Il ne pourra pas être meilleur. Alors pourquoi vivre ? En attendant, je résiste le temps que mes filles gagnent leur autonomie en priant qu’elles accèdent au vrai bonheur.


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