La question du recrutement dans la fonction publique et dans l’encadrement

La priorité : lutter contre le chômage des jeunes diplômés

19 avril 2007

Comme à La Réunion, la question de l’emploi est en débat en Martinique. Quelles sont les conditions requises pour occuper un poste à responsabilité synonyme de salaire décent dans un pays concerné simultanément par le chômage massif, l’accroissement démographique et un solde migratoire positif ? Pour des syndicalistes martiniquais, la réponse se décline dans un mot d’ordre : « À compétence suffisante nous exigeons la priorité à l’emploi aux Martiniquais ». Cette obligation de mettre en œuvre d’autres règles est également une urgence à La Réunion.

La question de l’emploi telle qu’elle est connue à La Réunion est vécue sous le même angle dans d’autres régions d’Outre-mer. Ainsi en Martinique, les conditions dans lesquelles sont nommés les fonctionnaires d’État appelés à servir dans cette Région d’Outre-mer, en particulier celles et ceux qui ont la responsabilité d’enseigner, fait débat. Force est de constater que face à une jeunesse formée vivant dans l’angoisse permanente du chômage, la réponse apportée par le système actuel de gestion des personnels alimente les frustrations et le sentiment d’injustice : sur trois enseignants nommés en Martinique, deux sont originaires de la France métropolitaine et n’ont donc de fait aucun lien avec ce pays. Autrement dit, chaque année, plus de 66% des postes qui ne sont pas pourvus par les enseignants déjà nommé dans le pays échappent aux Martiniquais.
Cette situation est dénoncée par le mensuel martiniquais "Asé pléré annou lité" dans son édition de septembre dernier. Sur la question des 200 enseignants métropolitains du Second degré nommés à la rentrée dernière à la Martinique, "Asé pléré annou lité" constate que « bon nombre d’entre eux sont en surnombre dans des disciplines où il existe déjà des personnels titulaires suffisants ou encore des Martiniquais diplômés non-titulaires qui continuent à vivre les difficultés de la précarité et l’angoisse du non-réemploi à chaque nouvelle rentrée ».
Quant au Premier degré, un nombre important de Métropolitains est venu occuper les postes que le mouvement local ne pouvait pas pourvoir, estime "Asé pléré annou lité" : « pour 52 départs de Martinique, nous observons 104 rentrants en échange (soit exactement 2 fois plus dont un bon nombre de non-originaires) au lieu de la stricte égalité des permutations. (...) Il n’y a eu aucune permutation de poste "manuelle" (non informatisée) avec les autres académies, interdisant ainsi à des compatriotes de rentrer et un nombre limité de recrutement sur concours de professeurs des écoles ».
Ces deux exemples sont les faits dénoncés par notre confrère.

48% des jeunes au chômage

En Martinique, plus de 71% d’une génération accède aujourd’hui au Baccalauréat, estime la Préfecture de Région, ce qui veut dire que ce sont chaque année des milliers de jeunes qui poursuivent des études en vue d’acquérir la formation requise pour exercer des postes à responsabilité. Dans un pays qui, tout comme La Réunion, est durement touché par le chômage et la pauvreté, la poursuite d’étude d’un jeune signifie beaucoup de sacrifices de la part de la famille. Mais ils prennent ce pari sur l’avenir en estimant que ce sacrifice sera justement récompensé.
Or, la persistance du chômage massif est là pour doucher les espoirs les plus tenaces. Selon la Préfecture de la Martinique, le taux de chômage des 16-24 ans atteignait fin 2003 plus de 48%, et le RMI concerne directement un Martiniquais sur 14. Quant au taux de chômage global officiel, il dépasse les 20%.

Mot d’ordre syndical

À la lecture des statistiques relatives aux nominations d’enseignants non-originaire de leur pays, les jeunes martiniquais diplômés peuvent légitimement se poser des questions. En effet, à quoi bon faire des études si les portes de l’emploi durable avec un salaire décent sont fermées dans le pays ? Et cette question explosive doit être bien comprise comme l’origine d’un énorme sentiment de frustration.
Une réponse syndicale est proposée par l’Union générale des travailleurs martiniquais, élaborée lors de son congrès d’avril 2006. Elle se décline en un mot d’ordre qui n’est pas sans rappeler "Donn créole travay" de la CGTR : « À compétence suffisante nous exigeons la priorité à l’emploi aux Martiniquais ». Et derrière ce mot d’ordre, un appel « aux personnels de se préparer à se mobiliser pour défendre les intérêts de l’École en Martinique au service du peuple martiniquais », écrit "Asé pléré annou lité".
En conclusion, notre confrère lance également un appel à la jeunesse de son pays : « que les jeunes scolarisés, notamment dans les lycées, puissent prendre conscience de l’opportunité qui se présente pour notre pays à l’horizon 2010 en matière d’emploi et qu’ils s’informent activement, s’orientent et se préparent avec tout le sérieux nécessaire à occuper les 41.000 postes qui seront disponibles dans de nombreux secteurs d’activités »
41.000 emplois à pourvoir dans quatre ans, et un appel à la jeunesse pour se former, s’informer et s’orienter pour occuper ses postes. Voici le sens de l’appel lancé en Martinique. Or, dans la situation actuelle, lorsque des postes sont à pourvoir, les règles actuelles font qu’une partie échappe aux travailleurs martiniquais. Une partie qu’ils considèrent trop importante, eu égard au taux de chômage intolérable touchant leur pays. Ce qui pousse à vouloir expérimenter d’autres règles, promouvoir d’autres mentalités, afin d’être capable d’être au rendez-vous à l’horizon 2010 sous peine de voir le potentiel de toute une jeunesse sacrifié à jamais.

L’obligation d’innover

« À compétence suffisante, nous exigeons la priorité à l’emploi aux Martiniquais » : ce mot d’ordre syndical répond à une urgence martiniquaise et aux défis que doit relever la société de ce pays. À La Réunion, les indicateurs sont encore plus révélateurs : taux de chômage supérieur à 30%, la moitié de la population en dessous du seuil de pauvreté, fort accroissement démographique. Ils font aussi état d’une jeunesse suffisamment dynamique pour entreprendre des études débouchant sur l’obtention des diplômes nécessaires pour obtenir un poste d’encadrement. Or, tout comme en Martinique, toutes les politiques mises en œuvre jusqu’à présent n’ont pas permis de faire reculer le chômage. Et notre île est touchée par le même phénomène qu’en Martinique. En effet, lors de la dernière rentrée, ce sont plus de 800 enseignants qui sont venus de Métropole. Un fait qui ne peut qu’interpeller les jeunes diplômés réunionnais au chômage ainsi que leur famille. Un fait dénoncé par plusieurs organisations dont le PCR qui propose notamment la création d’un Institut régional de formation pour mieux préparer les jeunes réunionnais à accéder aux postes à pourvoir dans la Fonction publique.
Face à cette situation, il est de la responsabilité de tous d’agir en adaptant les règles de recrutement en matière d’emploi durable.
Car force est de constater qu’actuellement, ces dernières persistent à ne pas prendre en compte l’injustice massivement vécue par toute une jeunesse prête à lutter pour faire avancer le développement du pays, mais à qui le cadre actuel impose le chômage ou l’émigration.

Manuel Marchal


Quelques chiffres

Les enseignants martiniquais écartés au profit des Métropolitains

Origine des enseignants du Second degré nouvellement nommés en Martinique à chaque rentrée :

Année 2004 2005 2006
Nouveaux arrivants : 269 263 302
Originaires : 71 99 103
Non-originaires : 198 164 200
% 74% 63% 66%

Lors de ces trois dernières rentrées, plus de deux enseignants sur trois nouvellement nommés à la Martinique ne sont pas originaires de ce pays. Pourtant, tout comme les Réunionnais, les Martiniquais ont un immense trésor, c’est leur jeunesse. Et comme à La Réunion, la jeunesse martiniquaise est touchée de plein fouet par le chômage. Et comme à La Réunion, des propositions émergent pour lutter contre cette injustice.


Taux d’illettrisme en Martinique : 35%
Taux d’accès d’une génération au Bac : 71%

L’illettrisme est un sujet qu’on estime préoccupant en Martinique même si aucune mesure précise n’est aujourd’hui disponible. L’illettrisme des jeunes est mieux connu puisque les résultats des évaluations réalisées à l’entrée en sixième, pendant les journées d’appel de préparation à la défense et dans le cadre du régiment de service militaire adapté fournissent quelques indices. En revanche, l’illettrisme des adultes est peu connu. La mission de lutte contre l’illettrisme cherche à faire inclure la Martinique dans la prochaine enquête “Information et vie quotidienne” de l’INSEE. En dépit des imprécisions, le taux d’illettrisme est évalué à 35% de la population contre 14% en métropole.
A côté de cette situation préoccupante, l’élévation du niveau de formation est une réussite de la Martinique. Le taux d’accès d’une génération au baccalauréat, à 71,3%, est supérieur à celui observé dans bien des Académies métropolitaines.

(Source : Préfecture de Martinique)


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