Taxiteurs et coiffeurs dans le collimateur d’Attali

La qualification n’est pas un obstacle à l’économie

7 février 2008, par Edith Poulbassia

Licence gratuite pour les taxis, fin du Brevet professionnel pour ouvrir un salon de coiffure... Les artisans ne trouvent pas du tout convaincantes les propositions du rapport Attali pour libérer la création d’entreprises. Libre concurrence ne signifie pas anarchie au risque de mettre en péril des activités et la qualité des services. C’est ce qu’ils ont exprimé hier à la Chambre de Métiers et de l’Artisanat.

Les artisans ne veulent pas laisser au gouvernement le temps d’appliquer les propositions du rapport Attali.(Photo EP)

On ne peut pas dire que le rapport Attali remporte un vif succès auprès des artisans. Les principaux concernés, les taxiteurs et les coiffeurs, mais aussi d’autres professions comme les esthéticiennes, les ambulanciers, les pâtissiers, se sont retrouvés hier à la Chambre de Métiers et de l’Artisanat pour montrer leur opposition à certaines propositions de ce rapport. Ils s’associent ainsi à une motion que la CMA va adresser aux élus pour défendre les intérêts des artisans de La Réunion. L’économie ne pourra supporter que de telles propositions soient mises en œuvre localement, c’est l’argument qu’ils avancent. Toute déréglementation afin de favoriser l’installation des entreprises pour des activités comme les taxis ou les coiffeurs risque de créer « un désordre économique dans le monde artisanal, une anarchie totale dans l’économie. Et au lieu d’un service de qualité, nous aurons un service économique à tout va comme en Chine, et donc des produits qui ne correspondent plus aux normes », imagine Franck Robert de la CMA.

Des licences de taxis qui ne valent plus rien

Sur le plan national, les taxiteurs transportent 1 million de personnes chaque jour, 60% d’entre elles sont vulnérables. À La Réunion, il y a 520 taxis. « Avec le rapport Attali, cette chaîne de transport va être détruite, c’est la mort annoncée de notre profession », Hary-Claude Caro, Président du syndicat des artisans taxis de La Réunion (SATR), en est convaincu. Le rapport Attali propose en effet que le préfet délivre les licences pour l’activité de taxiteur. « On risque de déstabiliser la profession. Une licence coûte aujourd’hui entre 40.000 et 60.000 euros, beaucoup ont hypothéqué leurs biens pour l’acheter, des jeunes qui veulent s’installer ont du s’endetter. Si, aujourd’hui, le préfet délivre le droit d’exercer, ces licences ne valent plus rien », explique Hary-Claude Caro. Depuis 1995, c’est une commission départementale et communale qui évalue les besoins de chaque commune en taxis, et décide de délivrer ou non les licences. Les taxiteurs craignent qu’une déréglementation mette fin à l’équilibre économique de chaque commune. D’autant plus qu’ils subissent déjà les conséquences du travail illégal. « Si nous manifestons aujourd’hui, c’est pour éviter qu’une décision se prenne encore une fois de façon arbitraire, sans dialogue, sans concertation. Il faut arrêter de monter au créneau pour la forme. Nous ne voulons pas que l’Etat accepte de créer des emplois précaires pour déstabiliser ceux qui sont pérennes », conclut-il.

La croissance au détriment de la qualité

« Supprimer l’obtention d’un Brevet professionnel, c’est menacer la sécurité des clients, et le savoir-faire de la profession. Nous manipulons des produits chimiques qui ne sont pas dangereux parce qu’ils sont entre de bonnes mains. Pourquoi n’enlève-t-on pas le Permis de conduire aux taxiteurs, le diplôme aux vétérinaires, aux docteurs », compare Maurice Profit, du syndicat des coiffeurs de La Réunion (SDCR). Il rappelle que la profession de coiffeur est réglementée depuis 1946, et le Brevet professionnel existe depuis 1983. Après 1992, ce brevet est devenu obligatoire. Avant, il y avait 480 entreprises de coiffure, aujourd’hui, 710 sont référencées. Preuve que la qualification n’est pas un frein au développement de l’économie. Maurice Profit ne compte pas les 20% de travaux clandestins dans cette activité. Pour redresser l’économie et l’emploi, les coiffeurs auraient préféré une baisse de la TVA et des charges sociales.
Penser que la croissance économique va être relancée au détriment de l’économie est une aberration que les artisans veulent immédiatement dénoncer, et ne pas laisser au gouvernement le temps d’appliquer les propositions du rapport Attali.

Edith Poulbassia

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Les artisans ne veulent pas laisser au gouvernement le temps d’appliquer les propositions du rapport Attali.

encadré

Esthéticiennes et ambulanciers : des professions solidaires

• Corinne Bédier, Confédération nationale artisanale des instituts de beauté (CNAIB)

« Nous ne sommes pas directement concernés, mais nous apportons notre soutien aux taxiteurs et aux coiffeurs ».
Corinne Bédier s’explique : les esthéticiennes sont confrontées à la concurrence déloyale. « Pour exercer, il faut un niveau CAP ou 3 ans d’expérience dans un institut de beauté. Mais nous assistons à un débordement des installations. À La Réunion, 20% n’ont pas la qualification requise ». Alors, les esthéticiennes sont naturellement opposées à toute déréglementation.

• Jean Idmont, Syndicat des ambulanciers

« Nous ne sommes pas concernés, mais nous exprimons notre solidarité aux coiffeurs et taxiteurs. Les conséquences de ce rapport peuvent être désastreuses sur l’emploi et la pérennité des entreprises », estime Jean Idmont. La déréglementation pour faciliter l’installation ne peut se faire sans concertation, sans un dialogue social. C’est pourquoi, le syndicat accompagne la motion qui va être adressée aux politiques pour tenir compte des intérêts des artisans de La Réunion.

EP


Manifestation des taxis devant la Préfecture

Le Syndicat des artisans taxis de La Réunion (SATR) ont suivi le mouvement national. Rendez-vous était donné hier en début d’après-midi devant la Préfecture pour permettre aux collègues du Sud et aux autres d’assurer leur service le matin pour les scolaires.
Une cinquantaine de taxiteurs ont fait le déplacement pour demander le retrait de ces propositions du rapport Attali. Une délégation a été reçue par la Préfecture pour un entretien d’une vingtaine de minutes. Les taxiteurs ont ainsi exposé d’autres revendications. La suppression pour 2008 de l’examen de capacité professionnelle qui autorise à conduire les véhicules et le travail clandestin devant les grandes surfaces et les aéroports.


La coiffure : deuxième secteur de l’artisanat

En 2006 : la coiffure, c’est 36.000 entreprises, dont 5.300 nouvelles entreprises. « C’est le triple du taux de reprise du secteur artisanal assorti d’un taux de survie à 5 ans de 68% bien plus élevé que la moyenne nationale », précise la Fédération Nationale des Coiffeurs. Et en termes d’emplois et de formations : 115.000 salariés pour seulement deux tiers des entreprises de coiffure, 24.000 apprentis, second secteur de l’artisanat à former des jeunes par la voie de l’apprentissage. « Nos contrats d’apprentissage aboutissent dans la quasi-totalité des cas à un emploi permanent, ajoute le syndicat, nombre d’entre eux devenant le moment venu chef d’entreprise ».

EP


Les propositions d’Attali

Plus de taxis dans les villes
Octroyer gratuitement, par une procédure d’attribution étalée sur 2 ans, une licence incessible à tous les demandeurs inscrits fin 2007.
Après l’ouverture de l’offre de taxis et de VPR, autoriser les taxis à répercuter sur le prix des courses les augmentations du gazole/essence avec une prime, tout en conservant un tarif maximal.
Autoriser plusieurs chauffeurs à utiliser la même plaque de taxi, à condition de surveiller que les chauffeurs ne dépassent pas le nombre d’heures de travail autorisées par jour (par exemple, en instaurant une carte de déblocage pour chaque voiture).
Associer pleinement le ministère en charge des Transports, aux côtés du ministère de l’Intérieur, à la gestion de l’offre de taxis pour mieux tenir compte des intérêts des usagers.
Autoriser les préfets à se substituer au maire dans l’attribution de nouvelles licences de taxis dans les villes où l’évolution du nombre de taxis n’a pas suivi l’évolution démographique.
Fluidifier le marché secondaire en autorisant sans délai la vente des licences actuellement détenues.
Les autres propositions concernent les taxis de la région parisienne.

Des coiffeurs aussi
Le rapport préconise de supprimer le Brevet professionnel pour ouvrir un salon. Un CAP serait demandé ou 5 ans d’expérience dans un salon sous la responsabilité d’un titulaire de CAP. Le Brevet professionnel n’est pas une garantie de protection du consommateur, notamment à cause du développement des coiffeurs à domicile. L’accès à ce métier est bloqué par les professionnels en activité, malgré la mise en place de la VAE (Validation des Acquis et de l’Expérience).


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Messages

  • Comment expliquer que pour ouvrir un institut de beauté, avec solarium, il suffit d’avoir un CAP esthétique ? N’est pas aussi grave dans ce cas là que la coiffure ? Aucun risque de "brûler" une cliente ? Aucun risque de réactions allergiques ? Je suis coiffeuse (Cap) et esthéticienne (Cap), et je pense sincérement que le bp n’est pas obligatoire, ce qui prime c’est l’expérience. C’est le seul moyen de faire face au cas par cas.

  • le bp est devenu absolete a l’heure ou les grande surface distribut les meme produit soit disant chimique librement et les coiffeuss a domicile ?ont elles un bp ?

  • Voilà que le rapport Attali fait apparaître une illustration de la gouvernance française, pour ne prendre que le métier des taxis. Car si à l’époque bien lointaine les licences de taxis étaient réservées à des français, de bonnes souches, l’image du taximan est tombée en désuétude, avec ou sans casquette, les licences pour Paris surtout sont devenues des rentes de situation. C’est à dire que peut-être que ce que pense Mr Attali pourrait bien convenir pour Paris, et Paris ou quelques autres grandes communes de France, mais en même temps pas pour les autres régions métropolitaines ainsi que celles des DOM ou PTOM. Ce rapport, je ne le connais pas, il est quand même pondu par un ancien conseiller du Président François Mittérand, et s’il l’a fait c’est qu’on le lui a demandé. On va tiré à boulet rouge sur son rapport portant son nom, mais jamais ni sur lui, ni sur celui qui l’a commandé. Comme les états généraux à 8 volets qui voudraient ne pas laisser La Réunion sur le bord du chemin, ils ont oublié que La Réunion était en pleine MER DE l’océan Indien.

    Faut-il encore attendre que La France nous donne les moyens de pêcher dans nos eaux, plutôt qu’elle nous nourrit avec des sardines "Robert" ?

    Si la concertation ne doit se présenter que comme un vote, la comptabilisation des non-votants devrait être considérée comme un refus de la politique que l’on croit être désirée.


Témoignages - 80e année


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