
L’Etat se modernise : supprime ou fusionne des commissions
La simplification à tout prix
24 décembre 2007

« Dans le cadre de la politique de modernisation et de simplification de l’Etat entreprise par l’Etat », le 13 décembre, le Préfet de La Réunion a procédé à l’installation du Conseil départemental de prévention de la délinquance, d’aide aux victimes et de lutte contre la drogue, les dérives sectaires et les violences faites aux femmes. Une décision nationale, sans concertation locale préalable bien sûr, car pour ce gouvernement, moderne : il décide d’abord, on discute après.

A l’ouverture de cette réunion à huis-clos, à laquelle la presse a néanmoins été conviée sans pouvoir y assister, le Préfet avait donné le ton, en utilisant la présence des médias pour annoncer, au lendemain des « émeutes de Saint-André », la nécessité de plus de fermeté à l’égard de la délinquance (voir notre édition du 14 décembre).
(Photo SL)
L’État remet en cause le fonctionnement de ses institutions et procède donc à « la suppression ou à la fusion de 92 commissions déconcentrées », comme l’indique un communiqué de la Préfecture. 50 commissions administratives sont ainsi contenues en 17 « commissions-pivot » à l’échelle nationale. Quant aux autres, dont la qualité, le champ de compétence institutionnel, n’est pas précisé, elles ont certainement dû être supprimées. Pas soucis de simplification.
Simplification complexe
A La Réunion, ce nouveau Conseil départemental de prévention de la délinquance, d’aide aux victimes et de lutte contre la drogue, les dérives sectaires et les violences faites aux femme comprend 4 sous-commissions : prévention de la délinquance ; lutte contre la drogue et prévention des conduites addictives ; prévention et aide aux victimes ; violences faites aux femmes. Toutes sont présidées, comme le veut la loi, par le Préfet, également à la tête du Conseil qui compte à sa vice-présidence la Présidente du Département, Nassimah Dindar, et le Procureur de la République, François Muguet. Le social, la justice et l’Etat. La puissance publique est aussi très largement représentée au sein des commissions (« sous » ou « pivot », on ne sait pas très bien). Police, gendarmerie, TPG, DDE, DRDFE, DRASS, Rectorat, DDJS, DPJJ, pénitentiaire, DTEFP mais aussi des magistrats, des représentants des collectivités locales, des associations, des personnalités et... y siégeront en tant que membres, élus pour 3 ans. Ce Conseil se réunira une fois par an pour aborder une multitude de dossiers, sous des angles tout aussi divers : examen du rapport de la délinquance ; propositions d’actions préventives en matière de délinquance des mineurs, de mouvements sectaires, de violences faites aux femmes, de violence dans le sport ; élaboration d’orientations de la politique de sécurité routière, du plan départemental de lutte contre la drogue et les conduites addictives, etc. Les sous-commissions feront elles l’objet de réunions spécifiques dans le courant de l’année 2008, avec une première vraisemblablement attendue en février. Pour l’heure, qu’il s’agisse du nom à rallonge de ce Conseil ou de ses nombreuses missions sur des thématiques variées, l’objectif de simplification défendu par l’Etat dans son auto-réforme ne transparaît pas.
« Une démarche de régression »
Là ou il peut apparaître néanmoins, c’est dans le fait que désormais, la CODEV (COmmission DEpartemementale contre les Violences faites aux femmes) et le COPIL MILDT (comité de pilotage de lutte contre la drogue et la toxicomanie) sont intégrés au Conseil. « Je tiens à rassurer celles ou ceux qui s’inquiètent de l’avenir de la CODEV, précisera le Préfet lors de la réunion d’installation. Celle-ci continuera ses travaux au sein de la formation spécialisée de lutte contre la violence faite aux femmes. La lutte contre cette forme de violence, particulièrement développée et choquante à La Réunion, constitue en effet l’une de mes priorités. » Cette précision n’aura pas suffit à convaincre la Présidente de l’UFR et Députée de La Réunion, Huguette Bello, qui estime que « ce n’est pas une avancée. Il n’y a pas là de progrès. » « Alors que les violences faites aux femmes, inscrites parmi les 10 priorités de l’ONU, tuent plus que les cancers et les accidents de la route en Europe, voient la mort d’une femme tous les 3 jours en France, je déplore que les moyens pour lutter contre ce fléau ne soient toujours pas mis en place. On a besoin de juges spécialisés, de psychologues qui soient payés pour assurer le suivi des auteurs en prison - ce qui n’est pas le cas aujourd’hui à La Réunion -, de mettre en pratique l’expulsion du mari violent du domicile conjugale... C’est un problème qu’il faut prendre à bras le corps, mais on ne s’engage pas sur cette voix. » Huguette Bello a bien sur faire entendre son mécontentement, partagé par d’autres associations, estimant que l’on est confronté à « une démarche de régression ». Le projet de loi contre les violences faites aux femmes qu’elle a déposé voilà plus de deux mois à l’Assemblée Nationale et dans lequel elle demande au gouvernement d’étudier la possibilité de mettre en place une loi cadre en France, n’a pas encore été retenu comme sujet de débat.
Délinquance : la vraie priorité
Un débat qui n’était pas non plus à l’ordre du jour de cette réunion d’installation, simple formalité, ou la présence des associations n’a servi que de caution (voir encadré). Bien que le Préfet soutienne vouloir faire de la lutte contre les violences faites aux femmes sa priorité, celle du gouvernement reste le renforcement de la lutte contre la délinquance. La loi du 5 mars 2007 a ainsi permis, sous l’autorité des maires, un travail pluridisciplinaire sur la question, alors que le décret du 7 juin 2007, qui marque la création de ce Conseil, a élargi la lutte aux conduites addictives, à l’insécurité routière, aux violences et incivilités de toutes natures. En découle également la création du fonds interministériel de prévention de la délinquance (FIPD). Signe que si l’on veut traiter globalement et efficacement un problème comme celui aussi crucial des violences faites aux femmes, on le peut. C’est juste une question de volonté et de priorité.
Stéphanie Longeras
Réaction de Ginette Payet, Présidente de l’ARIV
« Venue pour cautionner quelque chose de médiocre »
« J’ai eu l’impression qu’on était là pour cautionner la création de ce Conseil, valider quelque chose sans avis à donner », explique Ginette Payet qui juge ce Conseil « extrêmement décevant et surprenant ». Elle a justement demandé à intervenir suite aux discours officiels. Elle a d’abord observé que le terme de « dérives » par rapport aux mouvements sectaires ne convenait pas notant que « cela veut dire qu’il existe une marge officielle de tolérance, un seuil d’acceptation. » Pour Ginette Payet, « si on a un gros problème de sectes, c’est que l’on n’ouvre pas toujours les yeux, qu’il y a un manque de vigilance en première intention, pas de prévention d’où un seuil de tolérance. On réagit dans l’urgence. » Que nenni, pour les autorités, les sectes c’est tolérance zéro. La présidente de l’ARIV a profité de son micro-temps de parole pour s’étonner que le Conseil n’aborde pas la question des enfants, des violences qu’Internet par exemple leur sert. « Avant d’avoir un verre d’alcool ou une cigarette à la main, les enfants ont des portables ou circulent des choses pas très saines. » Cette seconde remarque a été acté comme recevable. Elle déplore également le fait que les violences intra-familliales ne sont pas considérées au sein de ce Conseil comme la base des autres problèmes adjacents (délinquance des mineurs, addictions...). Elle pensait enfin qu’au sortir de cette réunion, les associations invitées seraient au moins au sein de quelle sous-commission elles allaient siéger. « Je pensais naïvement qu’une carte de voeux allait nous être distribuée pour nous demander quelle commission nous concernait le plus, précise encore Ginette Payet. Mais on ne sait même pas donné les moyens de découvrir les acteurs sachant que nous sommes capables de leur apporter de vraies connaissances. » Mais cette invitation ressemblait plus à une formalité obligatoire pour la Préfecture qui a même convié deux associations qui n’existent plus depuis deux ans. C’est elle qui à l’évidence répartira d’office les rôles de chacun, pilotera et tranchera. « Je suis venue pour cautionner quelque chose de médiocre », résumera enfin la présidente de l’ARIV.
SL
Commentaire
Pas de démagogie, de polémique ni même de débat quand l’Etat dit la loi.
Laissons le temps aux bonnes volontés d’unir leurs énergies pour faire vivre ce Conseil et donc conseiller, prévenir, aider et lutter contre toutes ces vilaines choses qui détériorent la cohésion sociale de notre société. Rassemblés dans ce tout, les jeunes, les déviants et les violents qui « koudkony bann madam » constituent les pousses gênantes que cette République renaissante, naissante d’une rupture, ne veut pas voir proliférer dans sa cour comme « shoushou su trèy Salazi ». Soyons assurés que l’Etat aura inscrit à son plan de modernisation une phase d’analyse, de réflexion, d’ajustement sachant qu’il expérimente la politique de rupture, le changement. Espérons juste ne pas être des souris de laboratoire sur lesquels on testerait un pesticide visant à éradiquer les vilaines racines du mal. Espérons que notre espace vital n’en pâtisse pas. Espérons le fond de ce projet de modernisation, la teneur effective de ce Conseil ne soit pas à l’image de sa méthode d’installation. Espérons que La Réunion possède un barreau de conscience sur l’échelle nationale. Espérons que l’Etat, sous couvert de simplification n’oublie pas que, comme chacun s’accorde à le dire et à le vivre au quotidien : notre société et notre monde sont complexes. Et cette complexité appelle à l’ouverture et à la pluralité des démarches, des conceptions : au débat. Espérons que cette dite modernisation ne vise en fait qu’à l’amélioration de notre qualité de vie, de bien-être et de bien penser. Espérons.
SL
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