Après la tragédie aux Brasseries de Bourbon

La violence au travail

19 décembre 2005

Il est beaucoup question depuis un certain temps de la violence. Des violences en tout genre qui remplissent les pages des médias et, il faut le reconnaître, qui font vendre du papier ou exploser l’audimat.
Il en est une cependant dont on parle peu, pour ne pas dire pas du tout, et qui est là en permanence, du matin au soir, du lundi au samedi et du 1er janvier au 31 janvier ; une violence qui, probablement, n’est pas sans relation avec toutes les autres : c’est la violence au travail.

Il a fallu ce drame horrible de la semaine dernière à l’occasion de l’arbre de Noël des Brasseries de Bourbon pour que, tout d’un coup, l’opinion découvre les conséquences de la violence au travail. Avec à la clé, 1 mort et 2 blessés graves, sans oublier les dizaines de personnes gravement choquées, en premier lieu la famille du défunt, traumatisée, qui traînera derrière elle ce drame qu’elle ne comprend pas et qu’elle ne comprendra jamais.

Ne pas s’arrêter à la folie

La facilité consisterait à mettre ce geste sur le compte d’un coup de folie : quand on ne comprend pas un geste - ou qu’on ne veut pas le comprendre puisqu’on n’a pas compris, quand il le fallait, ses causes - il est plus facile, voire plus confortable, d’incriminer la folie. C’est d’abord oublier que ce qu’on appelle communément folie est la traduction d’une souffrance bien réelle.
Mais encore, ce serait en tout cas folie que de s’arrêter là, tant, aujourd’hui, harcèlement en tous genres, mauvais traitement ou maltraitance, mépris, humiliation sont devenus le lot quotidien de centaines, voire de milliers de salarié(e)s sur leur lieu de travail. Le tout pour finir par un licenciement ; licenciement sec pour la moindre faute supposée, licenciement déguisé - comme cela semble être le cas dans l’affaire des Brasseries de Bourbon - au terme duquel, contre un peu d’argent voire une vague promesse, le salarié se retrouve sans recours, mais surtout convaincu qu’il a été roulé et n’arrête pas de culpabiliser.

Licencier n’est pas banal

Un licenciement n’est pas quelque chose de banal. À plus forte raison lorsqu’on a passé 20 ans, comme c’était le cas de ce salarié, voire plus, dans l’entreprise. C’est un déchirement. C’est un pan de vie qui s’effondre. C’est une perte de repères : on avait l’habitude de se lever à telle heure, d’être à son poste de travail à une autre, de retrouver ses collègues de travail avec qui, au fil du temps, on avait tissé des liens ; d’amitié le plus souvent, mais d’inimitié également parfois.

Devant, c’est le vide

C’est une partie de sa vie qu’on laisse derrière soi, et devant, c’est le vide. C’est un sentiment d’injustice immense : comment ? Après avoir trimé, consacré, donné à l’entreprise une partie de sa vie, au point de s’en sentir un peu propriétaire, comment peut-on, d’une manière ou d’une autre, en être chassé ?
Ce sont également, sur le plan familial des conséquences parfois désastreuses. Vis-à-vis du conjoint ou de la conjointe, vis-à-vis des enfants, du reste de la famille : comment se justifier de cet échec, car le licenciement est vécu comme tel.

Harceler, non plus, n’est pas banal

Le harcèlement, ce poison distillé chaque instant, en toutes occasions et tous les jours n’est pas moins banal.
Contrairement à ce que d’aucuns voudraient faire croire, un salarié qui se plaint de harcèlement ne cède pas à une mode ; ce n’est pas non plus un "tire au flanc" et ce n’est pas quelqu’un qui ne veut plus travailler pour aller aux ASSEDIC. Non.
Le harcèlement est un procédé vieux comme le monde. Ne dit-on pas d’ailleurs que lorsqu’on veut se débarrasser de son chien, on l’accuse de rage ? C’est le même procédé appliqué à des hommes et des femmes que l’on veut dégoûter de leur travail, de tout ce qu’ils font et même de ce qu’ils ne font pas. Tout cela pour les déstabiliser et les pousser à la faute et, pire, au départ "volontaire" qui les amène à faire abandon de leurs droits, à se culpabiliser encore plus.

Les exemples ne manquent pas

C’est telle vendeuse dans un commerce de la région Ouest, venue nous voir pour se plaindre de son sort. Licenciée dans des conditions litigieuses d’une première entreprise où elle avait passé près d’une vingtaine d’années, elle se trouvait maintenant dans une autre depuis une quinzaine d’années. La cinquantaine passée, elle était moins "craquante" qu’à ses débuts, lorsque le libre-service d’aujourd’hui n’était qu’une boutique. Passée d’âge, elle était l’objet de harcèlement pour la pousser vers la sortie. Elle était rendue à avoir peur d’aller retirer un courrier recommandé - un de plus - que lui avait adressé son employeur ! Voilà où elle en était rendue ! "Et surtout, nous dit-elle, parle pas de ça. Va fait embête à moin !" Comme si elle ne l’était pas déjà, la pauvre. On imagine les répercussions d’une telle situation sur la famille, sur le conjoint - qui l’incitait à agir contre son employeur, ce qu’elle refusait obstinément -, sur les enfants...

Comme dans certaines municipalités

C’est le cas de ces représentants du personnel d’une société de transport, créée par une grosse boîte de l’agro-alimentaire, et qui l’espace d’une année n’a jamais eu un mois de salaire plein. Non pas qu’ils se consacraient trop à leurs mandats, non pas qu’ils ne voulaient pas travailler, mais tout simplement parce que, habitant l’Ouest ou Saint-Denis et travaillant au Port, ils avaient été déplacés arbitrairement sur le Sud. Tout cela pour les obliger matin et soir à subir les embouteillages et ainsi, profiter du moindre faux-pas pour les sanctionner et en définitive pour les dégoûter de leur travail.
C’est là, soit dit en passant, un procédé largement en usage, il y a de cela une vingtaine d’années, dans certaines municipalités où l’on déplaçait les employés dont on voulait se débarrasser vers les écarts les plus retirés de la commune et surtout les plus éloignés de leur domicile.

Une violence qui pousse à la violence

Alors, si le harcèlement au travail n’est pas une violence, c’est à se demander ce que c’est. Pire, c’est une violence qui, en retour, pousse à la violence.
Et comment croire que cette violence-là, exercée sur des hommes et des femmes sur leurs lieux de travail, soit sans relation avec toutes les autres violences que l’on retrouve chaque jour dans la presse ?
Alors, autant en parler, autant les dénoncer avant qu’elles ne débouchent sur ces situations comme celle que l’on a connue il y a une semaine. Mais il serait encore mieux si, au sein des entreprises - privées et publiques - on arrivait à comprendre que les salarié(e)s ne sont pas des kleenex mais bien des êtres humains.

Isménie


Allez di partout...

"Les personnes sans abri qui travaillent"...

La formule a été utilisée par le Premier ministre pour annoncer que "les personnes sans abri qui travaillent" pourraient désormais être hébergées pendant un mois alors que jusqu’à présent, elles ne pouvaient l’être que pendant une semaine.
Ainsi, quiconque pouvait croire que seuls les chômeurs, seules les personnes sans travail, seuls les "exclus" comme on les appelle pouvaient être des personnes sans-abri ou des SDF (Sans domicile fixe) doit se détromper. Aujourd’hui, en France, 5ème puissance économique de la planète, il y a des hommes et des femmes qui travaillent mais qui sont sans abri.
Il y a des hommes et des femmes qui travaillent mais qui doivent se rendre aux "restos du cœur" de Coluche ou chez l’Abbé Pierre pour pouvoir se nourrir et nourrir leur famille ; ce que l’on a vu il y a une semaine à la télévision, les responsables de ces organismes s’inquiétant, à juste raison, du nombre toujours plus grand de personnes venant frapper à leurs portes.
Il y a des hommes et des femmes qui travaillent mais qui, pour se baigner, doivent se rendre dans les douches publiques (quand il y en a dans leur ville), parce qu’ils ne peuvent pas le faire chez eux.
Ils font tous et toutes partie de ces quelque millions d’hommes et de femmes que l’on appelle aujourd’hui en France les “travailleurs pauvres” ; une nouvelle catégorie sociale, pour ainsi dire.
Le travail n’est plus en ce 21ème siècle en France une garantie contre la misère. Il ne nourrit plus son homme, comme on dit. Mais il n’arrête pas pour autant d’engraisser le capital qui, lui, à la différence des humains, ne s’est jamais aussi bien porté.
Si ce n’est pas là une violence, c’est à se demander ce que c’est.


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